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    1. TROIS-CHAPITRES##


TROIS-CHAPITRES. LE SCHISME D’AQUILÉE

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traire les deux métropoles de Milan et d’Aquilée allaient bientôt causer à Pelage et à ses successeurs les plus cruels déboires.

L’évêque de Milan, Dacius était mort à Constantinople en 552, avant les dernières sentences portées par Vigile. Le gouvernement byzantin le fit remplacer par Vitalis, qui, en dépit de cette désignation, était partisan des Trois-Chapitres. Quand Pelage, sur qui il avait cru pouvoir compter, devint pape en reniant ses convictions antérieures, Vitalis se sépara de lui, d’accord en cela avec son collègue d’Aquilée qui lui avait donné la consécration. Et quand celui-ci mourut, vers 557, ce fut l’évêque déjà schismatique de Milan qui consacra le nouvel évêque d’Aquilée, Paulin. De ce chef toute l’Italie du nord se séparait de l’obédience de Pelage. Celui-ci le prit de très haut et, quand Paulin assuma le titre de patriarche et fit mine de se mettre à la tête des évêques de Vénétie et d’Istrie, le pape se tourna vers le représentant de Narsès, le patrice Jean, en contestant non seulement les droits et titres de l’évêque d’Aquilée, mais la validité même de son ordination. Jafîé, n. 983. Paulin le prit de plus haut encore et excommunia le patrice ; le pape eut le chagrin de voir le frère de ce dernier, le patrice Valérien, au lieu de soutenir Jean avec énergie, intervenir comme médiateur. Pelage, en effet, aurait voulu que Jean agît d’autorité et procédât contre l’évêque récalcitrant. Jafîé, n. 1011, 1012. Valérien, au rebours, agit de telle sorte que les évêques de la région se serrèrent davantage autour de Paulin. C’était aux yeux de Pelage un scandale ; le bras séculier, disait-il, devait intervenir, arrêter les deux faux évêques de Milan et d’Aquilée et les diriger sur Constantinople. Quant aux évêques de la région qui pouvaient encore avoir des scrupules au sujet des Trois-Chapitres, qu’on les adressât à Rome, où les réponses pertinentes leur seraient données. Paulin avait parlé de réunir ses évêques en synode pour délibérer sur l’attitude à prendre par rapport aux décisions du Ve concile. C’était intolérable. « Jamais il n’avait été permis, jamais il ne le serait, qu’un synode particulier se rassemblât pour juger un concile général. Si quelque doute s’élevait au sujet d’un concile général les explications devaient être demandées aux sièges apostoliques [ad apostolicas sedes, est-ce une faute pour apostolicam sedem ?] Quant aux récalcitrants il ne restait plus qu’à les faire rentrer dans l’ordre par le pouvoir séculier. » Jafîé, n. 1018. C’est la première fois que, dans le registre de Pelage, il est fait appel à l’autorité du Ve concile. En même temps Pelage insistait auprès de Narsès pour qu’il sévît contre les schismatiques. Jaffé, n. 1019 ; cf. n. 1038. Mais Narsès était pour une politique d’apaisement. Il ne fit rien dans le sens demandé et le schisme s’installa dans l’Italie du Nord. Telle quelle la situation se maintint pendant une quinzaine d’années, sous les pontificats de Pelage I effet de Jean III (560-573).

3. Ralliement de Milan à Rome. Renforcement du schisme d’Aquilée.

Les complications amenées par l’invasion lombarde auraient bientôt leur répercussion sur l’état religieux de l’Italie du nord. Entrés par les Alpes juliennes au printemps de 568, les Lombards sont maîtres de Milan en septembre 569, et Pavie devient leur capitale en 571. Le titulaire du siège de Milan, Honorât, n’avait pas attendu leur arrivée ; il franchit l’Apennin et vint s’installer à Gênes, en territoire byzantin, avec une partie de ses clercs, gouvernant de là, tant bien que mal, ce qui restait d’évêques dans son ressort. Il mourut en 572. Son successeur, Laurent, plus perméable à l’influence byzantine, consentit à se rendre à Rome et à formuler une déclaration très explicite d’obéissance au Siège apostolique. Cela ne veut pas dire que tous les évêques du ressort milanais aient fait aussitôt leur soumission à Rome ni que toute tension ait cessé dans l’Italie subalpine. On y resta fort longtemps chatouilleux sur la question des Trois-Chapitres. Une curieuse lettre de saint Colomban s’est conservée qui en dit long sur cet état d’esprit. Quand celui-ci en 612-615 séjournait à Bobbio, il s’adressa au pape Boniface IV (608-615), pour le supplier de réunir un concile libre qui en finirait une bonne fois avec les soupçons d’hérésie qui continuaient à peser sur le Saint-Siège. Cf. P. L., t. lxxx, col. 274. Mais, somme toute, à partir du milieu du viie siècle les difficultés étaient à peu près apaisées.

Il en allait tout autrement dans le ressort d’Aquilée. Ici encore, devant l’invasion lombarde, beaucoup d’évêques avaient fui et s’étaient réfugiés dans les nombreuses îles du fond de l’Adriatique. C’est à Grado que s’installa Paulin, qui, depuis 570 ou environ, se parait du titre de patriarche d’Aquilée. Inaccessible aux Lombards, cette région des îles vénitiennes devait rester longtemps encore sous la domination byzantine. Mais celle-ci avait toutes raisons de se montrer tolérante vis-à-vis des dissidents, depuis surtout que Justin II avait remplacé Justinien. En 579 le patriarche Élie fondait à Grado la cathédrale Sainte-Euphémie, mise ainsi sous le patronage de la jeune martyre qui avait protégé, en 451, les délibérations de Chalcédoine ; c’est là qu’il réunit peu après en concile les évêques d’Istrie et de Vénétie. Vainement le pape Pelage II (579-590) essaya-t-il de rallier ces dissidents. Trois lettres successives leur furent adressées, où le pape exposait sa foi, répondait à leur argumentation, montrait, à grand renfort d’extraits de Théodore, que celui-ci était hérétique, que la lettre à Maris ne pouvait être considérée comme faisant partie des actes du grand concile et que Théodoret avait lâché bien des expressions répréhensibles. Jafîé, n. 1054-1056 ; texte dans P. L., t. lxxii, col. 706 sq., édition plus récente dans A. C. O., t. iv, vol. ii, p. 105-132. Cf. art. Pelage II, t.xii, col. 670 sq. Rien n’y fit. De guerre lasse, Pelage II fit appel au bras séculier, demandant à l’exarque Smaragde d’expulser Élie. Molestés, les schismatiques s’adressèrent à la cour de Constantinople. Voir leur lettre à l’empereur Maurice, dans Baronius, an. 590, n. 28, et mieux dans A. C. O., ibid., p. 132-135. Le basileus, désireux d’éviter des complications religieuses, donna l’ordre à l’exarque de laisser Élie en paix. Ibid., p. 136.

Pourtant, à quelque temps de là, Smaragde trouva le moyen de faire veniràRavenne le successeur d’Élie, Sévère, et le contraignit à accepter la communion de l’archevêque de cette ville et donc, au moins indirectement, celle de Rome. Mais, quand il revint dans ses lagunes, Sévère fut mal accueilli par les siens. Cela ne l’engagea guère à prêter l’oreille aux sollicitations du pape saint Grégoire, Jafîé, n. 1203, cꝟ. 1198, qui, rebuté lui aussi, fit en fin de compte appel aux services de l’exarque. L’empereur Maurice intervint pourtant à nouveau en faveur des schismatiques. Toutefois l’action de saint Grégoire ne laissait pas de désagréger peu à peu le bloc des dissidents. Sévère était mort en 607, l’intervention du gouvernement de Ravenne parvint à faire nommer comme patriarche un personnage favorable à l’union avec Rome. Ce fut, dans le patriarcat schismatique, le signal d’un nouveau schisme. Les défenseurs obstinés des Trois-Chapitres passèrent sur la terre ferme et, dans les ruines d’Aquilée, se rassemblèrent en un synode qui élit comme patriarche un moine nommé Jean. De ce moment il y aura dans la région deux patriarcats l’un à Grado, qui s’unit à Rome, l’autre à Aquilée qui demeura schismatique ; ce dernier avait sous son obédience les évêques en territoire lombard, Grado au