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TRINITÉ. PHILON LE JUIF


du Seigneur des Esprits, et son nom devant la tête des jours. Et avant que le soleil et les signes fussent créés, avant que les étoiles du ciel fussent faites, son nom fut nommé devant le Seigneur des Esprits. Il sera un bâton pour les justes, afin qu’ils puissent s’appuyer sur lui et ne pas tomber ; il sera la lumière des peuples et il sera l’espérance de ceux qui souffrent dans leur cœur. Tous ceux qui habitent sur l’aride se prosterneront et l’adoreront ; et ils béniront et ils glorifieront et ils chanteront le Seigneur des Esprits. Et c’est pour cela qu’il a été élu et caché devant lui, le Seigneur, avant la création du monde et pour l’éternité. La sagesse du Seigneur des Esprits l’a révélé aux saints et aux justes. » Hénoch, xlviii, 2 sq.

Il ne faut pas exagérer la portée de ces textes ni des textes analogues que l’on peut trouver dans les autres apocalypses apocryphes. D’une part, nous ne savons pas si ces livres étranges ont eu beaucoup de lecteurs et s’ils ont exercé une influence étendue. De l’autre, les lois mêmes du genre, apocalyptique exigent des exagérations manifestes, des tableaux grandioses, si bien qu’il est difficile de savoir la portée exacte que les auteurs attribuaient à leurs descriptions. Malgré ces réserves, nous gardons le droit de souligner la transcendance du Messie que viennent de nous faire connaître les Paraboles d’Hénoch. Le Messie reste un roi qui doit briser les ennemis de Dieu et venger les justes. « Mais ce roi vainqueur est en même temps le juge universel devant qui doivent comparaître non seulement tous les hommes, saints et pécheurs, mais les anges eux-mêmes. Et sa personne dépasse toutes les saintetés et toutes les grandeurs d’ici-bas. Il apparaît comme un des anges saints ; cependant, il est distinct des anges et supérieur à eux ; il est appelé le Fils de l’homme, et en effet on l’aperçoit au ciel se mêlant aux justes glorifiés et habitant avec eux ; il préexiste à la création du monde et habite près de Dieu sous ses ailes ; c’est son élu, son assesseur, et il reçoit avec lui les bénédictions et la gloire que les hommes lui rendent. C’est le type le plus idéal conçu par le messianisme juif avant le christianisme. » J. Lebreton, op. cit., p. 173.

Nous ne prétendons assurément pas trouver dans ces passages relatifs aux temps messianiques et au Messie des révélations suffisantes de la Trinité. Les textes que nous avons cités et ceu-v que nous pourrions encore apporter montrent assez combien demeure imprécise l’idée même du Messie qui doit être le chef de ce royaume nouveau où sera accomplie toute justice. Il est entendu que le Messie doit être un homme, et même, au témoignage d’Isaïe, un homme souffrant pour nos péchés, mis à mort à cause de nos iniquités. Pourtant cet homme sera plus grand que les autres. Élu par Dieu, il aura avec le Seigneur des relations uniques qui lui permettront de le regarder comme son Père. Il sera élevé au-dessus de toutes les créatures et des anges eux-mêmes. N’est-ce pas assez pour amener les esprits réfléchis à se poser des questions et à se demander si un personnage doué de telles prérogatives n’appartient pas à une sphère qui dépasse celle du monde créé ? Il ne semble pas que les Juifs, même les meilleurs d’entre eux, se soient posé de telles questions. Mais lorsque Jésus se sera présenté au monde, lorsqu’il se sera fait reconnaître pour le Messie, les intelligences seront prêtes à s’ouvrir et à comprendre : c’est dans la direction ouverte par les oracles messianiques que l’on cherchera d’abord la solution des problèmes soulevés par ses affirmations au sujet de ses rapports avec Dieu. Plus tard seulement, on se souviendra que la doctrine de la Sagesse offre de son côté des principes de solution, et l’on reviendra à cette doctrine pour y découvrir les indispensables compléments des oracles messianiques.

IV. philon d’Alexandrie.

Il est d’usage, lorsqu’on étudie les origines du dogme de la Trinité, de s’arrêter quelque peu à l’examen de la doctrine de Philon d’Alexandrie. Nous sacrifierons à cet usage, mais non sans quelque regret. Car il y a, semble-t-il, un abîme entre les enseignements de Philon et ceux du Sauveur, tels que nous les font connaître les écrits du Nouveau Testament : on ne voit pas comment le philosophe alexandrin aurait pu exercer quelque influence, même lointaine, sur les premiers développements de la théologie chrétienne.

Quand Philon commence à exercer son activité littéraire, il y a longtemps que les Juifs d’Alexandrie se sont posé le problème des relations entre la Loi de Moïse et la philosophie hellénique. Le problème est, pour eux, capital ; car si attachés soient-ils à la Loi et aux traditions ancestrales, il ne peut leur échapper que les païens au milieu desquels ils vivent ne sont pas nécessairement des ignorants ou des dépravés. La sagesse profane mérite d’être étudiée et parfois les exemples qu’elle a inspirés sont dignes d’être suivis. Pour un certain nombre de Juifs même, la tentation est grande de laisser là la Loi et ses préceptes qui ne servent qu’à creuser le fossé entre eux et les païens et de faire bon accueil à la philosophie. Philon se propose, après d’autres, mais beaucoup plus complètement que tous les autres, de résoudre l’antinomie apparente et de montrer à ses compatriotes d’abord, aux autres ensuite, que le judaïsme renferme la véritable sagesse et qu’il est l’école de la véritable vertu. L’allégorisme lui permet de pousser à fond sa démonstration ; il n’est pas l’inventeur de la méthode, mais il l’emploie avec plus de rigueur que personne et il parvient de la sorte à mettre en évidence toutes les richesses enfermées dans les saintes Lois. Il n’est pas l’homme des concessions et ceux qui se refusent à voir en lui un véritable Juif se trompent sur le sens profond de son activité. Bien loin de vouloir attirer les Juifs à la sagesse profane, il espère acquérir les païens à la loi juive et, plus encore, retenir ceux de ses frères qui seraient tentés de s’évader.

Dieu.

Nous ne devons donc pas nous attendre à trouver, dans les œuvres de Philon, des atténuations de la doctrine traditionnelle ; et, lorsqu’il s’agit d’affirmer le monothéisme, le philosophe alexandrin est aussi catégorique que possible.

Dieu est unique : à peine est-il besoin de le rappeler, tant la chose va de soi ; et, à première vue tout au moins, il est présenté d’une manière plus abstraite que concrète : il est celui qui est, celui qui est vraiment, l’être, l’être véritable, ou encore la cause de tout, l’esprit de l’univers, l’âme du monde, le démiurge, le créateur de l’univers, le père de tout, le père du monde, etc. Tous ces noms mettent en relief le caractère philosophique des affirmations de Philon. D’ailleurs celui-ci va plus loin encore lorsqu’il prétend que Dieu ne peut être ni nommé ni connu par l’homme : « Tout ce que peut faire la raison humaine, écrit-il, c’est d’arriver à connaître qu’il existe une cause de l’univers ; vouloir passer outre et connaître sa nature et ses qualités, c’est une sottise extrême. » De posteritate Caîni, 168, Mangey, t. i, p. 258. Et ailleurs : « Dieu n’est pas comme l’homme ; il n’est même pas comme le ciel ni comme le monde. Car ces choses sont des formes déterminées et sensibles : Dieu au contraire n’est même pas compréhensible par l’esprit, sinon en tant qu’il est ; car ce que nous comprenons de lui c’est son existence et, en dehors de son existence, rien. » Quod Deus sit immutabilis, 62, t. i, p. 282. Ailleurs encore : « Parmi les hommes, les uns sont amis de l’âme, les autres amis du corps ; les premiers, pouvant se mêler aux natures intelligibles et incorporelles, ne comparent l’être à aucune idée des choses créées, mais