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TRITHÈME (JEAN)

à la règle et aux cérémonies serait publiée pour servir de manuel à tous ceux qui dépendent de notre chapitre. » Recessus capitulorum annualium unionis Bursfeld, ms. de l’abbaye de Beuron, p. 68. D’un mot, la première « région claustrale » étant celle des monastères qui ne vivent pas selon la règle, les deux autres

« régions » correspondent sommairement à ce qu’on

appellera, un siècle plus tard, la voie illuminative et la voie unitive. « La lecture portera le moine à la méditation, et celle-ci engendrera en lui la componction, surtout la méditation de la passion du Sauveur. »

« L’entrée dans la région supérieure n’est possible

qu’à ceux qui, dans la seconde, se sont livrés au travail de la purification intérieure… » De cette dernière, Trithème, faute d’expérience personnelle prolongée, ne donne qu’une description assez imprécise, prise à la sainte Écriture : « Elle est tout repos et tranquillité ; c’est la vraie demeure des spirituels. On y goûte une félicité comparable à celle du ciel ; Dieu y est tout en tous… » Il y recommande une grande défiance à l’endroit des visions et des vocations particulières. Voir des citations abondantes dans Un écrivain ascétique de la fin du xve siècle, de la Rev. liturg. et monast., 1927, p. 64-78.

Un résumé de la doctrine de Trithème se lit dans l’une de ses premières lettres : Lectio sacra mentem provocat, meditatio compungit ; oratio quærit, contemplatio invenit. Lettre iv, Busæus, fol. 928. On en conclura que cet abbé de la fin du xve siècle « est bien de l’ancienne école bénédictine, qui suppose la séparation complète d’avec le monde, et qui consiste foncièrement en une vie d’étude faite en vue de la sanctification personnelle ». U. Berlière, Rev. liturg. et monast., 1927, p. 74. De même, en ce qui concerne la méthode d’oraison, « alors que les méditations méthodiques sont déjà en honneur chez Gérard Groot et Jean de Kastel, Trithème ne fait pas allusion à une telle méditation à heure déterminée, puisque la vie du moine, étant toute de recueillement, ne réclamait pas l’introduction d’un exercice plus systématique ». U. Berlière, op. cit., p. 76.

Enfin deux œuvres édifiantes de Trithème ont fait l’objet de travaux récents de la part de moines bénédictins ; mais ils relèvent plutôt du genre oratoire que du genre didactique. Ce sont d’abord, les Discours de Trithème aux chapitres généraux de la congrégation de Bursfeld. Quinze fois, au moins, de 1492 à 1516, l’abbé de Spanheim, puis de Wurzbourg fut appelé, par l’estime de ses confrères, à y prendre la parole sur l’état des monastères et les réformes à y introduire. Neuf discours nous sont parvenus : huit dans l’édition de Busæus, et un neuvième publié par dom Bonav, Thommen, d’après le ms. de Vienne, nat. 5172, dans Prunkreden des Abt J. Trilhemius, 2 fasc, Sarnen, 1933-1935. Ce dernier discours, prononcé en 1499, forme le t. ii de la publication ; dans le t. i, l’auteur donne une analyse développée des neuf sermons, en avertissant que le prédicateur, ayant en vue des réformes plus ou moins urgentes, est amené, par son cahier de visites, à insister sur les déficiences à corriger : de là son ton pessimiste. D’ailleurs toutes ces déclarations sont des discours d’apparat, conformes aux règles de la rhétorique de l’époque, sur le cursus le développement mesuré. Ils témoigneraient, s’il en était besoin, du zèle infatigable de l’orateur à revenir sur les points essentiels de cette vigoureuse réforme.

Un autre ouvrage du même genre oratoire : les Exhortations à ses moines de Spanheim, avait été édité en 1496 et en 1574 : dom Govino, moine bénédictin de Praglia, a donné des douze premières une élégante traduction italienne, publiée à Padoue en 1927. Ces Esortazioni, mieux encore que les Discours, dénotent chez Trithème un souci de la forme qui l’apparente aux écrivains spirituels de l’époque suivante.

Mais la doctrine de Trithème « reste éminemment traditionnelle ; et c’est ce qui lui donne sa place à part à ce tournant de l’histoire de l’ascèse, quand se clôt la période médiévale et que se développe l’humanisme qui ouvre les temps modernes. » U. Berlière, Introduction aux Esortazioni reproduite dans la Revue liturg. et monast., Maredsous, 1927, p. 78.

Opuscules théologiques. — Ils ont un certain mérite de méthode, nouveau également pour l’époque ; celui de revenir aux sources de l’Écriture et des Pères ; dans des lettres que Richard Simon publie avec éloge, Lettres choisies, t. iv, p. 131-140, l’abbé bénédictin s’élève contre les docteurs qui « citaient Aristote plutôt que Jésus-Christ ». Cependant, il n’a donné de sa méthode que des essais fragmentaires, comme Curiositas regia, 1511, 1515, 1522, 1533, …1603, réponse à huit questions théologiques proposées par l’empereur Maximilien, et XXXV quæstiones in Evangelium Johannis, adressées à Ulric Kreitwys, chanoine de Cologne, en 1496, retouchées en 1508, dont un manuscrit autographe est à Upsal ; cf. A. Nelson, Kyrkshistoriks Arsskrift, Upsal, 1932, p. 297. Du reste, Trithème prétendait que le théologien devait être familier avec les philosophes, les orateurs et les poètes : O utinam omnes theologi nostri temporis oratoriam colerent ! …Neque ignoramus quantam injuriam hodie suscipiani poetæ a theologis quibusdam indigeslis et crudis. Lettre à Morderer de 1492.

Œuvres scientifiques et pseudo-cabalistiques. — Ce sont peut-être les plus connues, celles en tous cas qui occasionnèrent à leur auteur le plus de désagrément. La plus ancienne en date est une diatribe contre la sorcellerie, Antipalus maleficiorum, édité bien plus tard, en 1555. Mais Trithème, toujours curieux, continua ses recherches en ce domaine réservé ; il donna : Philosophia naturalis de geomancia, en 1509 ; un Traité d’alchimie, traduit en allemand et imprimé en 1555 ; surtout sa Polygraphia en six livres remplis d’images cabalistiques et imprimés en 1518 à Oppenheim, édition devenue fort rare, traduite en français par G. de Collange et publiée à Paris en 1541, reprise mol pour mot par le fameux plagiaire hollandais D. de Hottinga en 1620 ; enfin la Steganographia, hoc est ars per occultam scripturam animi sui voluntatem absentibus aperiendi, Francfort, 1606. Là encore, les termes bizarres dont se sert l’auteur, par exemple spiritus diurni, spiritus nocturni, pour marquer, dans un chiffre donné, les lettres qui ne signifient rien, firent passer cet essai pour un livre de magie. De toute cette production, il ne faut dire ni trop de bien, ni trop de mal. Les bénédictins ont sans doute fait beaucoup d’honneur à l’abbé de Spanheim en le rangeant parmi les premiers interprètes des notes tironiennes, Nouvelle diplomatique, t. ii, p. 126 ; t. iii, p. 150. Mais ses ennemis, parmi lesquels d’abord un Français, Bouelles (Bovillus), eurent tort de voir de la diablerie dans son fait. Après ses premiers opuscules contre les sorciers, Trithème répondit ingénument aux attaques en disant qu’il n’aspirait « ni à pénétrer des mystères, ni à faire des prodiges » ; mais qu’il avait lu néanmoins des ouvrages de divination pour se mettre plus à même de les réfuter. Apparemment, le savant abbé s’était pris à son jeu, et y avait engagé ses lecteurs. Il se vit soupçonné d’erreurs graves et, dans ce milieu effervescent du début du xvie siècle, Il fut lui-même accusé de magie : le comte palatin Frédéric II livra aux flammes l’autographe de la Stéganographie. Bien plus, la renommée fit de Trithème un nécromancien, qui évoquait les morts et les démons, et le mêla à des histoires de sorciers pour lesquels ni les dates ni les lieux ne concordent. Sigismond, abbé de Séon en Bavière, prit sa