Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/155

Cette page n’a pas encore été corrigée
1839
1840
TRINITÉ. MISSIONS VISIBLES

Esprit possède de lui-même et par nature la sainteté qu’il communique ; (par là) le nom de « saint » n’aurait pour lui qu’une valeur relative. Il ne serait pas plus naturellement saint que le Verbe n’était fils d’après les ariens ; dans les deux cas, ces deux notes seraient prises au sens métaphorique et ne s’appliqueraient pas plus en propre aux deux personnes divines qu’aux divers êtres créés ». P. Galtier, op. cit., p. 67.

j) Les Pères latins parlent aussi de la mission invisible du Fils ou du Saint-Esprit. Mais leur pensée apparaît claire et précise. Une mission divine, explique saint Augustin, n’existe que grâce à une manifestation temporelle de la personne envoyée. De Trin., t. II, c. v, n. 9, P. L., t. xlii, col. 850. Dans le Nouveau Testament, l’incarnation marque la venue visible du Fils, comme les communications de la Sagesse aux patriarches et aux prophètes marquent sa venue invisible dans l’Ancien Testament. Ibid., t. IV, c. xx, n. 28, col. 907. Ces missions n’entraînent aucune infériorité en celui qui est envoyé ; la mission ne le fait pas être, elle le fait connaître, car « comme être né, c’est, pour le Fils, être du Père, être envoyé c’est, pour lui, être connu comme étant du Père ; comme être le don de Dieu (pour le Saint-Esprit), c’est procéder du Père ; être envoyé, c’est être connu comme procédant du Père ». Ibid., n. 29, col. 908. Cf. Cont. serm. arianorum, t. I, n. 4, ibid., col. 685. La formule augustinienne mitti est cognosci est classique. De Trin., t. IV, c. xx, n. 29, t. xlii, col. 908.

Si la grâce de l’habitation confère à l’âme un mode de présence de Dieu différent de l’ubiquité divine, cette habitation par une personne n’est pas exclusive de l’habitation des autres personnes. Il faudrait méconnaître absolument leur inséparabilité pour oser dire que, là où est le Saint-Esprit, le Père et le Fils ne sont pas. Epist., clxxxvii, n. 16, t. xxxiii, col. 837838. Voir la même doctrine chez Fulgence de Ruspe, Ad Thrasimundum, t. II, c. xv, P. L., t. lxv, col. 263 C ; cf. Epist., xiv, q. iv, ibid., col. 427.

Ce qui n’empêche pas Augustin d’attribuer au Saint-Esprit le don de Dieu à l’âme. Voir ci-dessus et De fide et symbolo, n. 17, 18, t. xl, col. 190-191. Mais il l’explique ainsi : « L’amour qui est de Dieu et qui est Dieu est proprement l’Esprit-Saint, par qui est répandu en nos cœurs la charité de Dieu qui fait habiter en nous toute la Trinité. » De Trin., t. XV, n. 31-37, t. xlii, col. 1082-1086. Voir, pour plus de détails sur l’enseignement des Pères, Petau, De Trinitate, ]. VIII, c. iv-v ; Ruiz, De Trinitate, disp. CIX.

3. Doctrine des théologiens.
Interprétant ces données scripturaires et patristiques, les théologiens constatent qu’à la mission invisible des personnes de la Trinité est attachée une habitation des personnes divines.

Pour nous en tenir ici aux considérations générales, disons d’abord que les missions invisibles et l’habitation des personnes ne peuvent se produire que dans les âmes justes. C’est le sens obvie de tous les textes qu’on a lus plus haut. Sans doute, Dieu, par sa grâce actuelle, peut toucher et mouvoir l’âme du pécheur, surtout de celui qui a conservé « informes » les vertus de foi et d’espérance. Mais, par ces touches passagères, Dieu n’acquiert pas un mode nouveau de présence ; il n’y a donc pas encore là de mission invisible. C’est ainsi que le concile de Trente parle du Saint-Esprit non adhuc quidem habitante, sed tantum movenle. Sess. xiv, c. iv, Denz.-Bannw., n. 898. Il est nécessaire, en effet, que le mode de présence, fondement des missions invisibles, soit habituel et différent du mode de présence naturel per essentiam, potentiam et præsentiam. C’est donc par la réalité de la grâce infusée à l’âme et des dons qui l’accompagnent, que Dieu établira en nous un mode de présence nouveau, justifiant

les missions invisibles. Seul, en effet, le don de la grâce permet à l’homme d’atteindre Dieu par des actes de foi, d’espérance et de charité, dépassant l’ordre naturel ; les dons gratuitement donnés, dons des miracles ou des prophéties, ne manifestent une mission des personnes divines qu’à la condition de manifester d’abord la grâce en celui qui en est favorisé. Si ces dons gratuits étaient accordés sans la grâce sanctifiante, « on ne dirait pas, purement et simplement, sans détermination, que le Saint-Esprit a été donné au prophète ou au thaumaturge, mais que celui-ci a reçu l’Esprit de prophétie, l’Esprit des miracles » ? S. Thomas, I », q. xliii, a. 3, ad 4um. (Pour la doctrine générale, voir le corps de l’article.)

La mission invisible des personnes de la Trinité se réalise donc dans l’âme vivifiée par la grâce, soit qu’elle acquière celle-ci pour la première fois, soit qu’elle la recouvre après l’avoir perdue. S. Thomas, ibid., a. 6. Mais il faut encore ajouter qu’elle se renouvelle dans l’âme à chaque accroissement de grâce et de charité. Ibid., ad 2um et ad 3 UB >. Cf. Suarez, De Trinitate, t. XII, c. v, n. 17-19. Chaque accroissement donne à l’âme une amitié plus ferme et plus intime avec Dieu. S. Thomas, In 7 om Sent, dist. XV, q. v, a. 1, sol. 2, ad l um. Cette affirmation semble rallier, avec des divergences plutôt verbales que réelles, cf. Suarez, n. 16, l’ensemble des théologiens. Elle est d’ailleurs tout à fait conforme à l’enseignement de saint Augustin, De Trin., t. IV, c. xx, n. 28, t. xlii, col. 907 ; Epist., clxxxvii, n. 17, 26-27, t. xxxiii, col. 838, 842. Voir la note 1 de Terrien, La grâce et la gloire, t. i, t. I, c. iv, p. 246.

Enfin, les missions invisibles ne peuvent concerner que le Fils et le Saint-Esprit. Sans doute, le Père habite l’âme juste avec le Fils et le Saint-Esprit, cf. Joa., xiv, 23 ; mais le Fils et le Saint-Esprit ayant seuls un principe d’origine, seuls peuvent être dits envoyés. S. Thomas, I », q. xliii, a. 5. On peut toutefois se demander quelles sont les missions invisibles du Fils, quelles sont les missions du Saint-Esprit. « Tous les dons, dit saint Thomas, sont attribués comme tels au Saint-Esprit, parce qu’il est lui-même, en tant qu’amour, le premier de tous ; mais il en est pourtant qui, vu leur caractère particulier, s’approprient au Fils et ce sont ces dons-là qui entrent dans l’idée de mission. » Ibid., ad l am. Par sa nature même, le Verbe, dont la procession éternelle est selon l’intelligence, est manifesté dans l’âme par les dons surnaturels se rapportant à la connaissance surnaturelle de Dieu. Mais ce n’est pas un don quelconque qui manifeste la procession divine du Verbe. « Le Fils, dit encore saint Thomas, est bien le Verbe ; mais non pas un Verbe quelconque, mais le Verbe spirant l’amour… Aussi ne suffit-il pas d’une perfection quelconque de l’intelligence pour qu’on puisse parler de sa mission. Il y faut une disposition de l’intelligence, qui provoque en elle un jaillissement d’amour, qua prorumpat in affectum amoris. » Ibid., ad 2um.

Quant à la mission invisible du Saint-Esprit, elle se rapporte principalement à toute manifestation de l’amour surnaturel de Dieu. De sorte qu’en se plaçant au point de vue de l’effet dans l’âme juste, les deux missions invisibles du Verbe et de l’Esprit-Saint se confondent et s’unissent dans la racine même de la vie surnaturelle, la grâce sanctifiante ; elles ne se distinguent, sans toutefois se séparer, que dans leurs effets, la mission du Verbe se terminant à l’illumination de l’intelligence, la mission du Saint-Esprit à l’embrasement de la volonté. S. Thomas, ibid., ad 3 am.

4. Le magistère.
L’Église n’a pas, à proprement parler, porté de définition touchant les missions divines. Quelques documents toutefois en parlent expressément. Le XIe concile de Tolède déclare que « le Saint-