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TRINITÉ. MISSIONS VISIBLES

un mode nouveau de présence soit que, par sa puissance, il exerce en un lieu une opération nouvelle, soit que, par sa providence, il prenne un soin particulier d’une créature, soit que, par son essence, il devienne présent à un être d’une manière plus spéciale, comme c’est le fait du Verbe par rapport à l’humanité qu’il s’est unie dans le mystère de l’incarnation. Cela posé, il est facile de comprendre que Dieu, présent partout et toujours, puisse « venir » en un lieu en acquérant un nouveau mode de présence en ce lieu, ou « s’en aller », s’il vient à abandonner ce mode de présence. L’eucharistie nous offre ici un exemple obvie. Cette « venue » et ce « retrait » se font évidemment sans la moindre mutation en Dieu ; ils marquent simplement un effet nouveau dans le terme extrinsèque qui seul reçoit le changement en raison d’une relation nouvelle avec Dieu, relation de raison de Dieu à la créature, relation réelle de la créature à Dieu.

Ce qu’on peut dire de Dieu en général, on peut le dire des personnes divines (avec la restriction qu’on apportera tout à l’heure en ce qui concerne le Père), chaque fois qu’un effet, propre ou approprié à une personne, se produit ad extra. Ainsi Dieu « visite » son peuple, quand ce peuple est l’objet d’une protection plus spéciale ; ainsi l’Esprit Saint est « venu » féconder la vierge Marie, en raison de la conception virginale.

3. Rapport des missions aux processions.
Quand il s’agit de mission des personnes divines, on ne saurait supposer en la personne qui envoie un acte spécial de volonté, commandement ou conseil, ni une impulsion nouvelle imprimée à la personne envoyée : dans la vie trinitaire, toute l’influence se réduit à la procession d’origine.

De ce principe, il faut immédiatement tirer une conséquence. D’une manière générale, sans doute, les trois personnes divines « accompagnent » toujours la mission de l’une d’entre elles : la mission divine est corrélative à un effet produit ad extra et tout effet ad extra est commun aux trois personnes. Voir ci-dessus, col. 1822 sq. Mais puisque, pour être « envoyée » la personne divine doit recevoir une mission et qu’en Dieu cette mission ne peut être que la procession d’origine, le Père, principe sans principe, ne saurait être envoyé. La mission est donc propre au Fils et au Saint-Esprit. Toutefois, avec le Fils et le Saint-Esprit, le Père peut « venir ». Cf. Joa., xiv, 23.

Cette affirmation, qui semble évidente au premier abord, a cependant soulevé entre théologiens quelque controverse et saint Thomas lui-même a varié de sentiment à ce sujet. Tout d’abord, à la suite de Pierre Lombard, In I" m Sent., dist. XV, q. i, a. 2, il avait admis que la mission divine consistait principalement et formellement dans la production ad extra d’un nouvel effet. C’était également l’interprétation de saint Bonaventure. Mais, dans la Somme théologique, I », q. xliii, a. 2, et ailleurs, le Docteur angélique affirme clairement que la mission divine comporte essentiellement une procession et une origine éternelles, à laquelle se rattache un terme temporel : habitudo divines personæ ad suum principium non est nisi ab œterno. Loc. cit., ad 3 nm. Scot et les scotistes retiennent encore l’interprétation de saint Bonaventure. Question de mots plus que de doctrine, puisque tous admettent que seules sont dites envoyées les personnes du Fils et du Saint-Esprit, termes d’une procession divine. Cf. Salmanticcnses, De Trinitate, disp. XIX, dub. ii, n. 26. Les deux éléments sont nécessaires. Voir plus loin, col. 1833. Une difficulté pourrait être soulevée sur ce point en raison de ce que le Fils est dit « conduit par l’Esprit Saint », Matth., iv, 1 ; Luc, iv, 1 ; cf. Ls., xlviii, 16 ; lxi, 1 (ces deux derniers textes pourraient être appliqués au Christ). Difficulté aisément soluble : rien n’empêche qu’un effet particulier de la mission

plus générale du Fils, effet relevant de la nature humaine, soit placé sous l’influence spéciale de l’Esprit Saint. D’ailleurs, en ce qui concerne Isaïe, le texte hébreu signifie non pas l’Esprit-Saint, troisième personne de la Trinité, mais la divinité. Cf. Pesch, De Deo trino, n. 654 ; XIe concile de Tolède, Denz.-Bannw. n. 285.

4. Définition et division. —
En tenant compte de ces nuances théologiques, on pourrait définir la mission d’une personne divine : « l’éternelle procession de la personne envoyée en relation avec un effet temporel produit dans la création. » Galtier, n. 394. Un double élément est ici indiqué, qui permet de réduire le léger conflit auquel on a fait allusion. La procession divine comporte tout d’abord la procession éternelle, marquant l’influence du mandant sur l’envoyé et se prolongeant dans le temps par l’acquisition d’une relation nouvelle à la créature ; ensuite l’effet temporel, produit par la personne envoyée et qui justifie le nouveau mode de présence, fondement de la nouvelle relation. On notera que cet effet temporel doit être un effet libre. Cf. Galtier, n. 394, 397 ; Billot, p. 642.

On divise les missions divines en missions visibles et missions invisibles. La mission est visible ou invisible selon que la personne envoyée acquiert dans le monde créé un nouveau mode de présence visible ou invisible. Mission visible du Fils : l’incarnation ; du Saint Esprit : les langues de feu à la Pentecôte. Mission invisible du Fils dans l’âme où il vient habiter avec le Père, Joa., xiv, 23 ; du Saint-Esprit, par les effets invisibles de la grâce sous toutes les formes : illumination, révélation, justification, etc.

Jean de Saint-Thomas établit entre l’une et l’autre mission trois points de ressemblance et trois points de dissemblance. Ressemblances : l’une et l’autre mission sont ordonnées à la manifestation de la personne envoyée et de sa mission ; à une communication spéciale des personnes divines à la créature vers laquelle sont envoyées ces personnes ; à la sanctification de cette créature ainsi ramenée vers sa fin surnaturelle. Dissemblances : la mission visible est réalisée dans un effet sensible qui manifeste et représente la personne envoyée, soit par une union substantielle à la créature (mystère de l’incarnation), soit par une apparition qui est le signe de la personne envoyée et de la sanctification par elle opérée, tandis que la mission invisible est réalisée uniquement dans l’effet intérieur et spirituel de l’âme qu’elle sanctifie. La mission visible attire d’une certaine manière la personne divine en ce monde ; la mission invisible entraîne plutôt la créature vers Dieu. Enfin, dans la mission visible, une personne se manifeste sans l’autre ; dans la mission invisible, le Fils et le Saint-Esprit sont envoyés, mais le Père vient avec eux. De Deo trino, disp. XVII, a. 2, n. 3.

Missions visibles.
1. Existence.
Le fait de la mission visible du Fils et du Saint-Esprit est si clairement indiquée par l’Éciiture qu’il est, sans contestation d’aucun théologien, un dogme de la foi. En ce qui concerne la mission visible du Fils dans l’incarnation, les textes abondent chez saint Jean : I Joa., iv, 9, 10, 14 ; cf. Joa., iii, 17 ; iv, 34 ; v, 24, 36-38 ; vi, 29, 38, 39, 40, 44, 58 ; vii, 16, 18, 28, 29, 33 ; viii, 16, 18, 26, 29 ; x, 36 ; xi, 42 ; xii, 49 ; xiii, 20 ; xiv, 24 ; xvii, 3, 8, 18, 21, 23, 25 ; xx, 21. Voir aussi Rom., viii, 3 ; Gal., iv, 1. En ce qui concerne la mission visible du Saint-Esprit, elle est promise par le Christ, Joa., xiv, 26 ; xv, 26 ; cf. xvi, 7, 13 ; réalisée à la Pentecôte, Act., il, 1-5 ; cf. Gal., iv, 6. L’apparition des langues de feu n’est pas d’ailleurs la seule mission visible du Saint-Esprit. Voir plus loin.

La mission visible du Fils est unique. C’est l’incarnation. Mission substantielle, en ce sens qu’elle fut réalisée par l’union hypostatique. Voir Hypostatique