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1557 TRINITÉ. L’A. T., LA SAGESSE 1558

qu’il est capable de mettre en parallèle la sagesse*et la folie. A-t-il pensé qu’il pouvait y avoir en Dieu, ou à côté de lui, une Sagesse subsistante et personnelle ? On peut en douter. Les rabbins ont parfois entendu de la Tôrah ce qui est dit ici de la Sagesse et ont vu en elle l’architecte ou l’instrument dont Dieu s’est servi pour la création ; plusieurs d’entre eux ont même affirmé la préexistence de la Tôrah auprès de Dieu à titre de réalité substantielle ; cf. J. Bonsirven, Le judaïsme palestinien au temps de Jésus-Christ, Paris, 1935, t. i, p. 250-251 ; et cette transposition suffit à mettre en évidence la facilité avec laquelle on peut interpréter notre texte dans le sens d’une véritable hypostase. Mais, d’autre part, nous n’avons pas le droit d’attacher trop d’importance aux spéculations rabbiniques sur la Tôrah ; et le monothéisme strict des Proverbes ne nous permet guère de voir ici autre chose qu’une audacieuse figure. La Sagesse dont il s’agit ici est glorifiée dans toute la mesure possible ; elle reste un attribut divin. Ajoutons d’ailleurs, et ceci est capital, que les termes employés sont de telle nature qu’ils entraînent tout naturellement l’esprit vers une interprétation plus large : lorsque le mystère de la très sainte Trinité aura été pleinement révélé, on songera sans effort au texte des Proverbes et on trouvera en lui les premiers linéaments de la révélation. Ce ne sera pas le seul cas où un auteur inspiré aura en quelque sorte dépassé sa pensée propre et ouvert les voies à de nouveaux enseignements divins.

La doctrine de la préexistence de la Sagesse est reprise dans l’Ecclésiastique : « Je suis sortie de la bouche du Très-Haut (la Vulgate ajoute ici : engendrée la première avant toute créature) ; et comme un brouillard je couvris la terre. J’établis ma tente sur les hauteurs les plus élevées et mon trône sur une colonne de nuée. Seule j’ai parcouru la voûte du ciel et je me suis promenée dans les profondeurs de l’abîme. Dans les flots de la mer et sur toute la terre, dans tout peuple et sur toute nation j’ai exercé l’empire. Parmi tous j’ai cherché un lieu de repos et dans quel domaine je devais habiter. Alors, le Créateur de toutes choses me donna ses ordres et celui qui m’a créée fit reposer ma tente ; et il me dit : « Habite en Jacob, aie ton héritage « en Israël. » Dès le commencement et avant tous les siècles j’ai été créée et je ne cesserai pas d’être jusqu’à l’éternité. J’ai exercé mon ministère en sa présence dans le tabernacle, et ainsi j’ai fixé mon séjour en Sion. » Eccli., xxiv, 3 sq. C’est encore la Sagesse elle-même qui prend la parole, mais au lieu de s’adresser aux hommes ; elle élève la voix dans l’assemblée du Très-Haut : n’avons-nous qu’une simple prosopopée, ou bien la Sagesse est-elle présentée comme une véritable personne ? À cette question, nous apporterons la réponse que nous avons déjà faite à propos des Proverbes, et l’on aurait sans doute bien étonné l’auteur « l’Ecclésiastique, si on la lui avait posée en tenues clairs. Dans la mesure où la Sagesse se distingue de Dieu, elle est une vertu morale à laquelle doivent aspirer les fidèles du judaïsme, puisque c’est chez eux qu’elle a établi sa résidence de préférence à tous les autres peuples. Cependant, elle agit, elle parle, comme si elle avait une existence personnelle, et ces formules ouvrent bien large la porte aux interprétations de l’avenir.

L’Ecclésiastique, rédigé en hébreu par un Juif palestinien, témoigne de l’hésitation avec laquelle les compatriotes de Ben-Sirach s’engagent dans la voie des personnifications réelles, l’eut-être le livre de la Sagesse, œuvre d’un Alexandrin, marque-t-il un progrès i il ce suis. L’écrivain sacré ne nous dit-il pas en effet : « (La Sagesse) est le souffle de la puissance de Dieu, une pure émanation de la gloire du Tout-Puissant ; aussi rien de souillé ne peut tomber sur elle. Elle est la splendeur de la lumière éternelle, le miroir sans tache de l’activité de Dieu et l’image de sa bonté. » Sap., vii, 25-26. Mais il dit également : « Elle est elle-même (ou bien : il y a en elle) un esprit intelligent, saint, unique, multiple, immatériel, actif, pénétrant, sans souillure, clair, impassible, aimant le bien, sagace, ne connaissant pas d’obstacle, bienfaisant, bon pour les hommes, immuable, animé, libre de soucis, tout puissant, surveillant tout, pénétrant les esprits les plus purs et les plus subtils. » Sap., vii, 22-23. On reconnaît sans peine dans cette litanie des expressions stoïciennes : c’est assez dire que l’auteur de la Sagesse a subi des influences helléniques et qu’on a le droit de l’interpréter en fonction de ces influences. Il importe assez peu, dès lors, que la Sagesse soit elle-même un esprit, ou qu’il y ait en elle un esprit, et même qu’elle paraisse se distinguer de la toute-puissance de Dieu dont elle est le souffle. Le stoïcisme nous oriente plutôt dans le sens de l’immanence que dans celui de la transcendance. Il ne faut pourtant pas oublier qu’ici encore les formules dépassent la pensée qu’elles cherchent à traduire. L’épître aux Hébreux reprendra plus tard, pour les appliquer au Verbe, les expressions de la Sagesse, et il se trouvera que ces expressions traduiront aussi bien que possible le mystère de la nature intime du Verbe. C’est donc que ces expressions sont riches d’une plénitude de sens qui peut demeurer d’abord inaperçue et qui, sous l’influence de l’Esprit-Saint, se manifeste par la suite. L’auteur de la Sagesse ne pressent pas le dogme chrétien de la Trinité ; mais il parle de telle manière qu’il suffira à l’auteur de l’épître aux Hébreux de reproduire ses formules pour en découvrir la richesse.

6° Les intermédiaires dans les écrits juifs non inspirés.

Esprit, Parole, Sagesse, ces trois termes, nous venons de le voir, figurent dans les livres de l’Ancien Testament pour désigner soit des manifestations de la puissance créatrice ou sanctificatrice de Dieu, soit des qualités de connaissance et d’action accordées aux hommes par Dieu qui les possède en plénitude et les transmet à qui il lui plaît. Les écrits du judaïsme palestinien emploient les mêmes expressions ; et, souvent, pour éviter de faire intervenir directement Jahvé dans les affaires du monde, ils le remplacent par son Esprit ou par sa Parole, quand ce n’est pas par son Nom ou par sa Gloire.

L’Esprit est souvent mentionné dans les apocalypses ou dans les écrits rabbiniques où l’on dit assez volontiers que l’Esprit-Saint parle ou agit ; mais on voit sans peine qu’en pareil cas l’Esprit tient la place de Dieu et s’exprime en son nom : il n’a pas de personnalité distincte. Bien plus, on ne le voit même plus exercer son influence sur des hommes choisis, sur des prophètes, car il n’y a plus alors de prophètes et les Juifs des temps post-exiliens souffrent profondément de ce silence de Dieu, de cet éloignement de l’Esprit-Saint. À la place de l’Esprit de Dieu, apparaissent des esprits multiples, qui sont préposés à la conduite des astres, aux transformations des éléments, à la vie des hommes. De ces esprits, les uns sont bons, les autres mauvais, de sorte qu’entre eux se livrent d’impitoyables combats. Qu’on lise des ouvrages tels que les Testaments des Patriarches ou le Livre d’Hénoch, on est stupéfait du rôle que jouent désormais les esprits dans la pensée religieuse des Juifs ; et il est remarquable que, pour désigner Dieu, l’auteur des paraboles d’Hénoch n’ait pas trouvé de nom plus caractéristique que celui de « Seigneur des esprits ». C’est bien cela en effet. Du haut du ciel qui est son séjour, Dieu règne sur les esprits et ceux-ci commandent à la grêle, à la neige, à la gelée, aux brouillards, à tous les phénomènes de la nature, cf. Hénoch, lx, 16-20 sq. On a comparé cette concep