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1779 TRINITÉ. LES INTERPRÉTATIONS PHILOSOPHIQUES 1780

comme hérétiques ; mais, en dépit des excommunications, les doctrines antitrinitaires ne cessèrent d’avoir des défenseurs dans l’Église des étrangers. Quand éclata l’hérésie socinienne, l’Angleterre lui offrit un terrain propice et, malgré la brièveté de son séjour à Londres, Lelio Socin y exerça néanmoins une réelle influence. En 1651 parut à Londres la deuxième édition du catéchisme de Rackow, bientôt suivie de la traduction des autres écrits les plus importants des frères polonais. L’accueil fait aux idées sociniennes fut si favorable qu’en 1731 Edouard Combe ne craignit pas de dédier à la reine Caroline la traduction anglaise du De auctorilate Scindée Scripturse de Fauste Socin. Thomas Lushington, chapelain de Charles I er, traduisit quelques-uns des commentaires de Crell sur le Nouveau Testament.

Le plus célèbre des unitaires fut John Biddle (16011662), qui arriva au doute sur la Trinité avant d’avoir lu les traités sociniens. Seize mois de détention dans la prison de Newgate ne l’empêchèrent pas de publier Douze arguments tirés de l’Écriture contre la divinité du Saint-Esprit (1647). Un peu plus tard, du fond du cachot où il avait été enfermé pour avoir nié la Trinité (2 mai 1648), il publie encore deux ouvrages : La confession de foi touchant la Trinité conformément à la sainte Écriture ; Témoignages d’Irénée, de Justin martyr… concernant le Dieu unique en trois personnes. Après sa mort, son collaborateur Firmin fit paraître en quatre séries (de 1693 à 1700) ses Anciens traités unitariens (Old Unitarian Tracts). En 1665, le libraire Richard Moone publiait la traduction du De Deo uno et Pâtre de Jean Crell.

Sous le règne de Guillaume III, les unitaires eurent plus de liberté. Clarke, dans la Doctrine scripturaire de la Trinité, se montre nettement subordinatien. Milton, l’auteur du Paradis perdu, est arien dans son Traité de la doctrine chrétienne et, comme Biddle, nie la divinité du Saint-Esprit. Locke, l’auteur de L’entendement humain, laisse percer ses sympathies unitaires, soit dans sa correspondance avec l’arminien Philippe de Limborch, soit dans le manuscrit posthume, Adversaria theologica (deux colonnes de passages pour ou contre la Trinité, la colonne contre étant la mieux fournie). Des arguments analogues furent développés par Newton dans son Exposé historique de deux notables éclaircissements de l’Écriture, adressé à Locke, et dans ses Observations sur les prophéties de Daniel et de l’Apocalypse.

A la fin du xviiie siècle, l’unitarisme passe aux États-Unis. Son principal foyer est, aujourd’hui, au Massachusetts. En 1822 se fonda V Association unitaire britannique et étrangère, dont le siège est à Londres. A l’art. Unitarisme seront donnés les détails historiques du développement de cette doctrine. Il suffisait ici d’en retracer la marche doctrinale.

Conclusion : la position des unitaires protestants en face de leurs coreligionnaires trinitaires. —

Les antitrinitaires se dressent tous comme des adversaires de la métaphysique et des spéculations grecques. Mais ils sont subtilement raisonneurs et semblent hypnotisés par la question de la Trinité qu’ils passent leur temps à nier, à étudier, à discuter. Certes, /épondent les trinitaires, la Trinité est un mystère, mais elle est aussi un postulat auquel la raison, partant des faits religieux, de la Bible et des expériences du cœur et de la raison elle-même, doit logiquement arriver. En arrivant, elle trébuche ; soit. Mais cela ne compromet en rien ni les textes de la Bible, ni les expériences du cœur et de la conscience. La Trinité, répondent-ils encore, est la meilleure hypothèse qu’on puisse faire ; à supposer que cette hypothèse ne soit pas parfaite, il n’y a pas à s’en étonner : l’essence divine dépasse la compréhension humaine.

Les antitrinitaires partent de l’idée de la Trinité, l’analysent et en déduisent leurs négations ou leurs affirmations. C’est du raisonnement pur, qui n’a pas d’autre valeur que celle du raisonnement, valeur petite et incertaine au point de vue religieux. Les trinitaires s’élèvent à la question de la Trinité en partant d’une angoisse de la conscience et du cœur, la préoccupation de leur salut. Les antitrinitaires descendent de la question de la Trinité en partant d’un embarras et d’une révolte de l’intelligence.

Les trinitaires raisonnent à contre-cœur. Calvin ouvre la discussion avec les Italiens en déclarant : « La confession de foi qui est au symbole des apôtres devrait bien suffire à tous chrestiens modestes. Et c’est seulement pour « obvier à toutes les astuces et cautèles » de Satan qu’il se voit obligé à franchir cette limite raisonnable, désirable, des discussions… ». — Les antitrinitaires raisonnent avec passion, avec délices. Le raisonnement est leur vie. Nous avons un curieux récit de Bèze sur Gentilis : « Ce malheureux doué d’un esprit sagace, mais subtil et sophistique, peu de temps après le supplice de Servet, se procura son livre et la réfutation de Calvin. Voilà son début. Il est là au milieu des « spectres », des « idées », des hérésies de Paul de Samosate, de Sabellius, d’Arius, des questions d’essence, de personnes. Il s’aperçoit que ce qui est dit dans les Écritures de l’unique essence de Dieu, des trois hypostases, ne cadre pas avec la raison et il décide de soumettre la sagesse divine à l’humaine raison. » Calvin, Opuscules, Paris, 1842, p. 1957.

Parmi les antitrinitaires, on observe un double mouvement : celui de Servet, celui de Lelio Socin, le premier plus mystique, le second plus rationaliste. Mais, dans les deux cas, c’est la suprématie du moi, de l’individu sur la Bible et l’expérience chrétienne. Cf. Doumergue, op. cit., p. 487-498.

Le pasteur Doumergue n’hésite pas à rapprocher les extrémistes du xvie siècle des excès qu’il appelle 1’ « ultraprotestantisme » du xixe. Op. cit., p. 449-450. Dès lors qu’on rejette toute règle de foi en dehors de la Bible et de l’interprétation qu’on en peut faire sous l’inspiration personnelle du Saint-Esprit et sa propre expérience religieuse, on peut se demander si les « extrémistes » du xvie siècle et les « ultras » du xix « ne sont pas, les uns et les autres, dans la logique même du système.

III. LES INTERPRÉTATIONS PHILOSOPHIQUES. —

L’interprétation mystique. —

La remarque faite en dernier lieu explique que, dès le début du protestantisme, se soit fait jour, même parmi les protestants, une conception du christianisme autre que celle de Luther ; c’est la conception des mystiques et des théosophes.

Le premier théosophe, qui n’a appartenu qu’à moitié à la Réforme, est Théophraste Paracelse, contemporain de Luther. Pour lui, le Christ est la lumière de la nature ; et il cherche à découvrir la connexion intérieure entre la révélation dans la nature et la révélation par le Christ. Pour les théosophes, la Trinité se réduit aux rapports de Dieu avec l’homme : Dieu, par un effet de son amour, a uni étroitement notre âme à notre corps ; mais le Christ, lumière de la nature, nous communique par son Esprit (l’Esprit-Saint) le germe d’un corps nouveau d’ordre spirituel et qui ne trouvera sa réalisation que dans le corps céleste du Christ, par le corps que nous recevrons à la résurrection.

Valentin "Weigel († 1558) ne considère l’Écriture que comme un simple témoin historique : la lettre de l’Écriture est un noyau qu’il faut briser pour atteindre le Christ glorieux, livre vivant de la vérité. Cette vérité est d’expérience subjective : elle existe en nous et c’est le témoignage de l’Esprit qui appelle à la lumière