Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/123

Cette page n’a pas encore été corrigée

1775

    1. TRINITÉ##


TRINITÉ. LES DOCTRINES ANTITRINITAIRES

1776

n’est pas homme non plus ; son corps est divin de la substance de la déité, cf. Trechsel, op. cit., p. 105 ; en son âme et en sa chair, il y a déité substantielle et la même puissance, substanlialis deitas et potentia eadem. Restitutio, p. 87. Ces spéculations nébuleuses n’empêchent pas Servet de se livrer à des élans de prière mystique. Dial. de Trinitate H, dans Restitutio. Cf. Tollin (tr. fr. de Mme Picherat-Dardier), Michel Servet, portrait et caractère, Paris, 1879.

C’est sur ces données métaphysiques que Servet construit la synthèse de la religion chrétienne. En voici le résumé par A. Réville, art. cit., p. 382 :

Dieu… a voulu se révéler et s’est révélé sous trois modes : la parole, le Christ et l’esprit. La parole ou le Verbe est le monde idéal, la lumière incréée, omnium imagines… in sapientia ipsa… in luce omnia consistant, l’homme et le Christ y compris. Pour que ce Christ prévu, prédéterminé, apparût, le monde et son histoire était nécessaire. C’est ainsi que le monde a été fait par (per) le Christ et en vue de sa venue en chair. Mais, comme de toute parole provient un souille, de même, du Verbe créateur émane l’esprit, l’âme du monde, qui anime aussi les hommes et fait leur respiration. Cet esprit procédant par des productions encore imparfaites (Adam, la Loi, les prophètes, les figures de l’Ancienne Alliance) a trouvé sa parfaite expression en l’homme Jésus, dans la naissance duquel la substance du Verbe ou de la lumière incréée a tenu lieu de semence paternelle. Les vrais éléments supérieurs, le feu, l’air, l’eau se sont unis à la manière terrestre dans le sein d’une vierge ; d’où il suit que la nature corporelle du Christ est aussi divine que son âme… Grâce à cette incarnation ou plutôt à cette « sarcogénèse », l’esprit, troisième mode révélateur de Dieu, s’est pour ainsi dire affranchi de tout ce qui le limitait et l’obscurcissait. Il nous vient du Christ, délivré depuis la résurrection de tout ce qui pouvait encore, même en Jésus vivant de la chair terrestre, troubler sa pensée. Spiritus sanctus est ipse oris Christi halitus. Il implante dans l’homme la nature divine et la vraie immortalité.

Les protestants italiens réfugiés en Suisse. —

On ne parle ici que des Italiens n’appartenant pas directement à l’école socinienne. — Citons : Francesco le Calabrais, Titiano et surtout Camillus Renatus, tous trois en Suisse depuis 1542, et s’accordant dans une doctrine d’un subjectivisme complet, qui annule l’incarnation objective du Verbe et ramène à la persuasion intérieure du salut le rapport religieux de l’homme avec Dieu. Ce sont des modernistes avant la lettre.

Bernardin Ochino, d’abord franciscain, confesseur de Paul III, natif de Sienne, passe au protestantisme et se réfugie en 1542 à Bâle. On peut l’appeler le second fondateur de l’unitarisme. Ses vues sont exposées dans son Catéchisme (1561) et surtout dans ses Dialogues (1563), composés en italien et traduits en latin par Castellion. La question de la Trinité est agitée en l’un de ces dialogues entre Ochin et son esprit. L’esprit dit que la doctrine de la Trinité est à réviser, non moins que les autres. Cf. Trechsel, op. cit., t. ii, p. 240. L’esprit estime que le Nouveau Testament ne réclame pas la foi en la Trinité. Et cependant, devant les réponses d’Ochin, l’esprit se déclare vaincu. Réponses d’une faiblesse voulue. Voir Ochin, t. xi, col. 916 sq.

Matthieu Garibaldo, jurisconsulte de Padoue, expose dans une lettre (Genève, 1554) sa théorie sur le Père et le Fils, deux hypostases réelles, distinctes, l’une et l’autre Dieu, l’un envoyant, l’autre envoyé, l’un corporeus, l’autre corporalus. Il admet trois dieux : le Père, prince des dieux, le Fils et le Saint-Esprit, dieux à son service et subordonnés, ministeriales et subordinatos. Lettre de Haller à Bullinger, 14 septembre 1557, citée par Trechsel, op. cit., t. H, p. 298, note 3. L’unité divine du Père et du Fils n’est autre chose que la participation à une même nature divine abstraite, un peu comme Paul et Apollos étaient unis entre eux dans le même apostolat. Cf. Réville, art. cit., p. 380. Singulier mélange de trithéisme et d’arianisme, que Calvin, dans sa correspondance avec Wolmar, réprouve énergiquement. Voir Doumergue, op. cit., t. vi, p. 475. Emprisonné à Berne, Matthieu consentit, pour éviter la mort, à signer une rétractation et à accepter tous les symboles, « celui de Nicéc et celui d’Athanase » (septembre 1557). On le laissa néanmoins en prison, où il mourut de la peste (1558). Voir Trechsel, op. cit., t. ii, Appendice xiv, p. 466, 467.

Georges Blandrata, de Saluées (1515-1590), était médecin et Calvin, à maintes reprises, en fait un portrait peu flatteur, mettant ses correspondants en garde contre « ce monstre ». Voir les textes dans Doumergue, op. cit., p. 477 sq. Blandrata venu à Genève, posa à Calvin d’innombrables questions, servetica deliramenta, dit le réformateur. Parmi ces questions revenaient celle des personnes de la Trinité et de l’idée que s’en étaient faite Justin et Tertullien. Un de ses disciples, Jean-Paul Alciati, piémontais, accusa Calvin et ses fidèles « d’adorer trois diables, pires que toutes les idoles de la papauté, parce qu’ils croyaient en trois personnes ». Voir aussi Vie de Calvin, dans Corp. Reform., t. xlix, col. 86. Ces attaques de 1’ « Église italienne » déterminèrent Calvin à réunir une conférence (1558) où la question trinitaire fut discutée et qui aboutit à la rédaction d’une confession de foi orthodoxe que tous les membres s’engagèrent à signer. Blandrata et Alciati se retirèrent en Pologne, où Lismaninus les accueillit favorablement, malgré les avertissements de Calvin. Alciati devait mourir à Dantzig, en 1565.

Blandrata continua ses attaques antitrinitaires, d’abord sous forme de petites sentences où il préconisait le subordinatianisme ; mais très habilement il évite de froisser de façon trop directe le sentiment des calvinistes trinitaires. Ce fut seulement en 1562 qu’il démasque le fond de sa pensée en douze articles qu’il soumit au synode d’octobre 1562. Voici les plus caractéristiques : 1. Le fondement de toutes les erreurs est de dire que le Père, le Fils et le Saint-Esprit est un Dieu ; 2. Celui qui invoque Dieu absolument un dans la Trinité a un « Dieu gonflé » (Deum conflatum), un « Dieu turc » (turcinum) sans Fils ; 11. Les mots « trinité, personnes, essence », sont des mots papistes ; 12. Tous ceux qui ne pensent pas ainsi sont des sabelliens. Dans Corp. Reform., t. xlvii, col. 573. Cf. Doumergue, op. cit., ꝟ. 486. Après ce synode, où l’on ne put s’entendre, le protestantisme polonais se scinda : calvinistes et blandratistes. Le calvinisme reprit bientôt le dessus et Blandrata quitta Cracovie pour la Transylvanie, où il défendit l’unitarisme avec Franz David et périt, dit-on, assassiné par un neveu, en 1590.

Valentin Gentilis, de Cozenza, en Calabre, avait refusé de signer la profession de foi de 1558 proposée par Calvin à 1’ « Église italienne ». Toutefois, en présence de Calvin, le 20 mai, il accepta d’y souscrire. Mais il porta bientôt le débat en chaire devant le grand public et cette incartade lui valut la prison et un procès en règle. Cf. Henry Fazy, Procès de Valentin Gentilis et de Nicolas Galbo (1558), dans Mémoires de l’Institut national genevois, t. xiv, 1878-1879 ; Trechsel, op. cit., t. ii, p. 316-390. Devant ses juges, il présenta deux confessions de foi. Il y niait la première personne, le Père, en l’essence unique » ; une telle personne serait « sophistique » et « doit estre raclée entièrement du mystère de la Trinité ». Cette essence unique qui serait Dieu, ajoutée aux trois personnes, également dieux, formerait « non pas une Trinité, mais une quaternité en Dieu ». Le Père n’est donc pas la première personne en l’essence divine, il est « ceste seule essence ». Le Père « est le seul vray Dieu, et baillant essence ». Le Fils, « la Parole, c’est la splen-