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    1. ZWINGLIANISME##


ZWINGLIANISME. LE PROP H ÉTISME ZWINGLIEN

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Conclusion, génie et destinée de Zwinoli. — En définitive, Zwingli appartient à la lignée de ces hommes des frontières, qui se sont senti une vocation à l’égard d’un pays auquel sans doute un léger déplacement de bornes eût suffi à les rendre à tout jamais étrangers. De son village natal, il voyait l’Autriche, le sol de l’ennemi héréditaire. Il grandit dans l’ambiance de la guerre souabe et fut expulsé de l’Université de Vienne en 1498-1499, sans doute à la suite d’un différend politique (cf. O. Farner, Huldrych Zwingli, t. t, Zurich, 1943, p. 190). En 1516, il dut quitter sa paroisse de Glarus à raison de son attitude politique. A Zurich, il se servit de sa chaire comme d’une tribune (cf. C. R., i, 73, etBullinger, Reformationsclironik, i, 51) ; il n’hésita pas à prendre parti publiquement à l’occasion des grandes décisions politiques de la Cité et en vue même de les déterminer (C. R., ii, 313, 13 sq.). Il s’attribua même une sorte de magistère à l’égard des autres cantons, comme en témoignent ses t Avertissements » et les épîtres dédicatoires de ses différentes œuvres (sur la Christianx fidei expositio dédiée à François I er, cf. Paul Brûschweiler, Les rapports de Zwingli avec la France, Thèse, Paris, 1894, et V. Kôhler, Zu Zwinglis franzosischen Bùndnisplànen, dans Zwingliana, t. iv, 1928, p. 302 sq.). Il eût sans doute joué le rôle d’un directeur de la conscience nationale, n’était advenue la Réforme. Cependant, s’il prit parti pour celle-ci, c’est qu’elle lui paraissait susceptible de rendre au peuple suisse la santé morale et la cohésion intime qu’il était en voie de perdre. Tout au cours de son activité réformiste, il ne poursuivit dès lors qu’un but : réaliser une Confédération unie et rénovée sous l’égide de l’évangélisme.

Il serait vain de demander lequel a le primat dans ses intentions : l’esprit réformé ou le zèle patriotique. Car, nous l’avons souligné, replacées dans sa psychologie concrète, ces valeurs s’incluent pour lui mutuellement. Du diagnostic de la situation de son peuple, il remontait à Dieu, et de Dieu, en qui il voyait surtout le maître souverain, il redescendait, par un nouvel élan de son âme religieuse, vers ce même peuple objet d’une providence spéciale (cf. C. R., iii, 110, 7). Par ailleurs, le caractère totalitaire de l’évangélisme rendait tout compromis avec le catholicisme impossible, et il n’eut jamais même l’idée d’une Confédération divisée confessionnellement comme elle l’est aujourd’hui. Par là s’expliquent son âpreté et son bellicisme : il était sans cesse placé devant l’alternative : tout ou rien — et de même à l’échelle européenne, ce qui s’alliait bien aussi avec l’absolu de son propre tempérament. De là aussi son intolérance, car, W. Œchsli lui-même en fait l’aveu, ce qui choque, c’est de voir que Zwingli exigeait des V cantons (catholiques) pour les réformés une liberté de foi, que lui-même à Zuricli n’accordait pas aux catholiques » (Zwingli als Staalsmann, ut supra, p. 143).

On en a fait un précurseur des libertés démocratiques de la Suisse moderne et un pionnier de la Constitution de 1848 (cf. Stæhelin, ii, p. 353). En fait, s’il lui avait été donné de réaliser ses projets, la Confédération eût présenté une tout autre structure que celle qui lui est échue : la direction religieuse et politique (Fûhrung) eût été attribuée à Zurich et à Berne, « comme deux bœufs attelés à un chariot qui tirent au même joug (Zwingli), à moins que Zurich n’eût évincé Berne ; et l’ensemble des cantons évangéliques reliés entre eux et à ces deux villes mattresses eût, à son tour, agi sur les destinées du reste de l’Lurope et l’eût Incliné dans le sens de la Réforme. La défaite de Rappel ( 1 531 j est venue à temps arrêter ce développement : c’est une de ces rencontres historiques où le sort du catholicisme a été décidé sur un champ de bataille. Ce qui est resté du testament

politique de Zwingli, il est assez difficile de le démêler. Retenons que chez lui la politique est élevée presque au plan de la Heilsgeschichte, et qu’à son tour la religion tend à s’abaisser au niveau de la politique et de la caractéristique morale d’un peuple (Volkstum). Et ce qui, finalement, fait l’équilibre entre ces deux tendances, en même temps qu’il donne au complexe son orientation et son élan, c’est le prophétisme. En descendant dans l’arène politique, Zwingli croyait accomplir son office prophétique et continuer, à l’égard du peuple suisse, l’œuvre des prophètes d’Israël. Ainsi, selon la remarque de H. Escher, « chez Zwingli l’homme d’État est en très étroite relation avec le pasteur et le prophète. Ce que celui-ci reconnaît comme nuisible à son œuvre doit être éliminé impitoyablement par celui-là. De la conception que Zwingli se faisait de l’office prophétique découle cet effet à la fois puissant et unique, qui confère à la politique zwinglienne un élan et une force d’expansion singuliers ; à leur tour, ces facteurs ont conduit à méconnaître les situations réelles et à abandonner les fondements indispensables à un sain développement, erreurs qui, dans la suite, devaient être payées si cher (Zwingli als Staatsmann, dans Zwingliana, t. v, 1931, p. 300-301).


VIII. Synthèse : le prophétisme zwinglien.

Récapitulons quelques-unes des idées maîtresses de cet article :

1° Zwingli part de la notion du Dieu transcendant, spirituel, absolument pur de tout contact avec ce qui n’est pas lui, universellement agissant et souverainement libre. La religion consiste à s’unir à ce Dieu en une appréhension mystique, qui laisse de côté tout le créé. La créature ne compte que pour autant qu’elle a quelque affinité avec le Dieu-Esprit ou est le champ des opérations divines. Entre le Créateur et la créature il y a un abîme que seule la foi permet de franchir : par la foi, en effet, l’homme se déprend de soi-même et s’abandonne entièrement au Dieu créateur et provident.

Zwingli lutte pour la spiritualité de la religion : Dieu est Esprit et n’admet qu’une adoration en esprit. Les éléments extérieurs ne servent de rien : lettre même inspirée, parole du prédicateur, sacrements. Tout cela cède et disparaît devant l’action divine qui touche immédiatement l’esprit (mens) de l’homme, sans intermédiaire créé. La foi, contact d’esprit à esprit, est aussi pure et spirituelle dans son objet que surnaturelle par son origine. Les sacrements n’ont point d’efficacité ; ils symbolisent une opération purement spirituelle accomplie en dehors d’eux et avant même qu’ils n’entrent en jeu. Zwingli se refuse t à attribuer à une chose sensible ce qui est le fait de Dieu seul et à changer le Créateur en créature et la créature en Créateur » (Sch.-Sch., vol. iv, p. 118).

L’hétérogénéité absolue, la tension entre Dieu et la créature, se reconnaît à tous les étages de l’édifice dogmatique zwinglien : en anthropologie, et c’est le dualisme corps-âme ; en christologie, et c’est la séparation des deux natures ; en morale, et c’est la division des deux justices, parallèle à la distinction de l’homme intérieur et de l’homme extérieur, qui elle-même traverse la sociologie.

Cette tension est encore accrue du fait de la double prédestination, qui confère un caractère tragique à la destinée humaine. Zwingli cependant s’arrêtait de préférence à Vélection, qui a pour principe la bonté divine, et il puisait dans cette vue une conllance et un dynamisme qui expliquent la liaison constante chez lui de la foi et des œuvres, comme aussi son activité personnelle fortement engagée dans le social et le politique. D’où Vactivisme réformé. Il reste néanmoins que la notion volontariste de Dieu qui est la sienne