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ZWINGLIANISME. POLITIQUE ZWINGLIENNE


Zurich et les villes de l’Allemagne du Sud : ce qui, outre le résultat tactique de faire sortir la métropole de sou isolement et de briser toute tentative d’encerclement, avait l’avantage politique de détacher ces villes du Reich et de les amener dans l’orbite de la Confédération, voire de préparer le rattachement de Constance à la Suisse. Nous laissons aux historiens le soin d’apprécier cette thèse (cf. du point de vue catholique : O. Vasella, dans Zeitschrift fur schweizerische Kirchengeschichte, xxxix, 1945, p. 171 sq.). Sur la politique étrangère de la Confédération à cette époque et la part qu’y ont prise les réformés, cf. W. Gisi, Der Anteil der Eidgenossen an der europâischen Politik, 1517-1521, dans Archiu fur schweiz. Gesch., xvii, 1871, p. 63 sq. ; H. Escher, Die Glaubensparteien in der Eidgenossenschaft und ihre Beziehungen zum Ausland, vornelimlich zum Hause Habsburg und zu den deutschen Protestanten, 1527-1531, Frauenfeld, 1882.

Il est bien clair que, si dans cette course aux alliances l’initiative est partie d’ailleurs, Zwingli, dès qu’il sentit son œuvre menacée, s’est mis à rechercher des alliés avec entrain, utilisant les nombreuses relations de l’humaniste et du réformateur dans un but politique. La confiance qu’il avait mise jadis dans la vertu immanente de la Parole, il la plaçait maintenant dans la politique d’alliance (cf. Lettre à Andréas Osiander, 6 mai 1527 : Non prseteribunt très anni, quin Italia, Gallise, Hispaniæ, Germania pedibus in nostram ierint sententiam ; C. R., ix, 130, 1).

Et puis il n’entendait pas se laisser arracher l’initiative des opérations, d’où son Plan zu einem Feldzug, composé vers la fin de 1524 (C. R., iii, 539 sq.) ; d’où son désenchantement à la suite de la première paix de Kappel, son horreur des compromis et des demimesures (Proviantsperre) ; sa démission de l’été 1531, qui lui permit de rétablir la situation à son profit et, ayant obtenu un vote de confiance du Conseil, de se lancer de plus belle vers la guerre préventive, dont il fut lui-même victime.

7° H. Dreyfus (op. infra cit., p. 156) attache trop d’importance au plan de campagne que nous venons de citer : toute la politique zwinglienne des dernières années y serait déjà indiquée en traits lumineux, les événements subséquents ne seraient que le déroulement du programme ici arrêté. En fait, c’est là seulement une esquisse, prématurée d’ailleurs et qui est restée sur le papier. Son principal intérêt est de nous découvrir, si nous ne le savions déjà par ses compositions poétiques et politiques antérieures (cf. C. R., 1, 1 sq., 39 sq.), que Zwingli excellait à saisir tous les éléments politiques d’une situation et à déterminer la ligne de la politique helvétique, entendez celle qu’il jugeait la plus convenable aux buts qu’il poursuivait dans l’intérêt de la Confédération.

Par ailleurs, ainsi que W. Kôhler l’a montré (cf. Huldrych Zwingli, 1943, p. 191), Zwingli n’a été initié que cinq ans plus tard à la grande politique européenne, en 1529, lors du voyage de Marburg. Son arrêt à Strasbourg, qu’on a nommé « le bureau de renseignements central » de l’époque (L. von Murait), fut fécond. Bucer s’y révéla un agent de premier ordre ; il le renseigna sur les intentions des princes catholiques allemands et de l’empereur lui-même. A Marburg, les conférences politiques continuèrent en marge de la controverse eucharistique : alors vraiment Zwingli devint le politique réaliste. Il prit goût au jeu de la politique, forma avec Philippe de Hesse et Ulrich de Wûrttemberg ce qu’on a appelé le t triumvirat de la politique évangélique d’alliance ( W. Kôhler ) (cf. M. Lenz, Zwingli und Landgraf Philipp, dans Zeitschrift fur Kirchengeschichte, t. iii, 1879, p. 2862, 220-274, 429-463) ; il semble même qu’il ait été tenté par la Machtpolitik, toujours au service de

l’Évangile bien entendu ; mais, comme le remarque encore W. Kôhler, « laissons hors de conteste la légitimité de ces plans et de cette action sur le terrain politique : même celui qui voit en Zwingli un politique génial doit accorder que cette Realpolitik a été faite certes pour la foi chrétienne, mais qu’elle se développe avec une autonomie souveraine selon ses propres normes et qu’elle n’est nullement gênée par les considérations de l’éthique chrétienne » (Zwingli und der Krieg, ut supra, p. 681).

8° Cependant cette observation n’est pas ultime, et W. Kôhler lui-même ne paraît pas avoir saisi le ressort secret de la politique zwinglienne : si hardie, si téméraire même qu’elle nous paraisse et si éloignée des réalités et de l’esprit même de la foi, elle rentrait, pour son auteur, dans la grande aventure de l’évangélisme et était soulevée par le même Esprit. Jamais sans doute ces deux extrêmes, qui sont comme les deux pôles entre lesquels oscille la pensée zwingUenne, n’avaient paru avec un tel relief : le mysticisme spiritualiste et le réalisme pratique. Chez Zwingli, le politique, le guerrier même sont portés par une vague spiritualiste, disons mieux, prophétique, qui transfigure la réalité, voit le but dans les moyens, la sublimité du but compensant le machiavélisme des moyens, et, tout en laissant à Dieu le mérite de la victoire, entend faire tout ce qui dépend de l’homme pour la hâter. Ajoutez d’ailleurs que sa théologie elle-même reçut une incidence politique, du fait que, selon lui, les obstacles confessionnels devaient tomber devant les nécessités politiques, dès lors qu’on était uni sur l’essentiel, et que, d’autre part, dans son attitude à l’égard du pouvoir impérial, il n’était pas retenu par les mêmes préjugés que les théologiens luthériens (cf. supra).

9° Dans la suite, ce qui n’était chez Zwingli qu’à l’état de résolution ou de tendance deviendra un courant dans le protestantisme, car, on ne saurait l’oublier, t sur les épaules de Zwingli et de Calvin se tiennent Cromwell et Roger Williams » ( W. Œchsli). Si l’on demande à quoi est due, en définitive, cette étroite union, ce mélange de la politique et de la religion dans la doctrine de Zwingli, nous répondrons qu’il faut l’attribuer à sa notion particulière de l’une et de l’autre : « Laissez vos curés se disputer entre eux au sujet de la foi et des sacrements, écrivait-il aux Confédérés (C. R., iii, 110, 4) ; pour vous, tenez-vousen à la religion et au Dieu de vos ancêtres. » Il s’agissait sans doute dans sa pensée d’une religion qui, en prônant la souveraineté de Dieu sur la vie humaine en ses diverses manifestations, de préférence sociales, encourageait le culte des vertus domestiques et civiques. Aussi, quand il se retournait de Dieu vers le peuple lui-même et passait de l’éthique au social (Volkstum), Zwingli y découvrait toujours la même vérité inspiratrice : le peuple périt faute de la vraie connaissance de Dieu (cf. C. R., i, 59, 1. 197 : In uns ist gar ghein goltes lieb…). Entre politique et religion, il n’y avait pas pour lui dualité, puisqu’il retrouvait Dieu au tréfonds de l’âme populaire, dans la conscience nationale dûment orientée. Cette conscience nationale lui préexistait, c’est le mérite de l’ouvrage de H. Dreyfus de l’avoir souligné (cf. Die Entwicklung eines politischen Gemeinsinns in der schweizerischen Eidgenossenschaft und der Politiker Ulrich Zwingli, Zurich, 1926) ; mais lui-même a contribué puissamment à la façonner. Il s’est inséré dans un courant (le nom de patrie, Vaterland, appliqué à la Suisse apparaît dans la littérature au tournant du xvie siècle ; voir, chez Zwingli lui-même, C. R., iii, 103, 16 et passim), s’est laissé porter par lui, quitte à lui imprimer ensuite la direction que lui suggérait son génie propre, sa personnalité.