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ZWINGLIANISME. ZWINGLI ET LA GUERRE


été de nos jours un sujet de controverse. Au début du siècle, E. Egli louait le pacifisme du réformateur suisse et le proposait en modèle aux ecclésiastiques d’Angleterre, qui appuyaient leur nation dans la guerre des Boers (cf. Zwingli ùber den Krieg. Ein Wort an die Geisllichen Englands, dans Protestantische Monatshejle, t. iv, 1900, p. 194-197). Lors de la première guerre mondiale, Karl Barth et Martin Rade se donnèrent la réplique : le premier crut reconnaître ici cet « autre esprit » dont parlait Luther, et, contre toute attente, c'étaient les luthériens qui faisaient figure de bellicistes, tandis que Zwingli et les siens défendaient la cause de la paix. V. Kôhler mit bientôt les choses au point (cf. Zwingli und der Krieg, dans Die christliche Well, xxix, 1915, n. 34, col. 675682). Il montra que le pacifisme érasmien n’avait été adopté par le cercle d’humanistes suisses à la tête duquel se trouvait Zwingli (cf. C. R., vii, 232, avec la note) que parce qu’il servait alors (on était en 1515, au lendemain de la défaite de Marignan) l’intérêt national : il ne préjugeait donc en rien de l’orientation profonde de la doctrine zwinglienne. De fait, on découvre sous les formules mêmes dont Zwingli se sert pour condamner la guerre durant cette période — W. Kôhler examine spécialement Eine gSlUiche Vermahnung an die Eidgenossen zu Schwyz (16 mai 1522 ; C. R., i, 165 sq.) — un autre courant de pensée qui tendrait plutôt à la légitimer.

Non sans un certain fatalisme, Zwingli écrit qu’il faut qu’il y ait des guerres, comme il y a des scandales. Malheur sans doute à ceux qui en sont les fauteurs ; mais parfois la guerre est comme une verge dans la main de Dieu. Dans ce cas, Dieu l’a donc voulue, encore que Zwingli évite cette conséquence et montre plutôt Dieu comme habile à tirer le bien du mal. Le même Zwingli qui stigmatise le service mercenaire évoque avec fierté les victoires helvétiques du passé : Morgarten, Sempach et Nàfels. Dieu lui-même a conduit ces batailles : « C’est lui qui a donné aux Confédérés victoire, honneur et bien. C'étaient des combats pour la protection de la patrie et pour la liberté, et les soldats de Schwyz qui y ont pris part étaient « de pieuses gens ». Les prescriptions du Sermon sur la montagne ne valent donc pas pour les guerres de libération, preuve que les intérêts patriotiques font chez Zwingli concurrence aux thèmes religieux.

2° Nous croyons pouvoir compléter les observations de W. Kôhler. Il convient d’abord, à notre gré, d'éliminer de cette question la diatribe de Zwingli contre le mercenariat et la guerre au service de l'étranger (cf. W. Œchsli, Zwingli als Slaatsmann, dans Ulrich Zwingli. Zum Gedàchlnis der Zurcher Reformation 1519-1919, Zurich, 1919, spécialement : ii, Zwingli im Kampj gegen Solddienste und Pensionen, p. 94-114) ; elle n’est pas ici ad rem. Elle montre seulement la clairvoyance de Zwingli qui, à rencontre de bien des esprits, s’est refusé à voir dans les campagnes d’Italie la continuation glorieuse, encore que mêlée de revers, des guerres de libération. La fameuse Lettre à Vadian, écrite au lendemain de Pavie (automne 1512 ; C. R., i, 23 sq.), où s’exhale la ferveur guerrière, se réfère à des impressions premières, renforcées par des souvenirs antiques, sur lesquelles Zwingli est revenu. Il a compris que la grandeur de son pays n'était pas là, dans la guerre de métier, qui payait sans doute ses promoteurs et la clientèle qui en vivait, mais qui se soldait pour le pays tout entier par un terrible déficit moral. Devant pareille entreprise, il avait beau jeu d'être pacifiste. Mais on aurait tort d’isoler ses déclarations et de les mettre au compte de la guerre en général. Notons aussi que la condamnation de la guerre mercenaire s'étend aux guerres de conquête

déchaînées par des despotes ambitieux qui en attendent un agrandissement de pouvoir et de prestige, ou simplement le moyen de payer leurs créanciers (C. R., iii, 436, 14).

Enfin, grâce à ce sens du social qui lui est propre et le distingue de Luther (cf. Julius Richter, Lulhers Slellung zum Kriege, dans Die christliche Welt, 1915, n. 10, p. 194), Zwingli paraît bien enseigner la responsabilité collective de ceux qui prennent part à une guerre injuste (du premier type) : « Tous ceux qui participent à une campagne sont solidairement coupables de tous les massacres qui s’y commettent. Ils forment tous ensemble une collectivité ou multitude, poursuivent le même dessein, ne font tous qu’une même œuvre, y prennent chacun leur bénéfice, encore que l’un puisse pécher plus que l’autre, au prorata de sa coopération au mal (C. R., ii, 335, 25).

3° La vraie pensée de Zwingli sur la guerre n’est pas à chercher dans ses « Avertissements » à la nation suisse, ou mises en garde contre le service mercenaire, qui datent (cf. aussi Eine treue und ernstliche Vermahnung an die Eidgenossen, 2 mai 1524, C. R., m, 97 sq.), mais dans des traités d’allure plus didactique tels que l’exposé des 67 thèses, le Lehrbuchlein (Quo paclo ingenui adolescentes formandi sunt, 1 er août 1523) ou les commentaires sur l'Écriture. Voir aussi Commentaire, C. R., iii, 758, 21. Dans YAuslegung des 40. Artikels (C. R., ii, 335, 20), Zwingli enseigne que le commandement : Tu ne dois pas tuer, vaut sans doute pour la guerre mercenaire qui est « une chose inhumaine, honteuse, peccamineuse », mais non pour les guerres conduites par l’autorité sur l’ordre de Dieu, en particulier les guerres de vindicte qui ont pour but de punir un roi coupable devant la justice divine — Zwingli cite l’exemple de la campagne de Sattl contre Agag et les Amalécites. Dieu peut ordonner alors « de tuer sans droit » ou motif apparent (on recht tôden). Il s’agit ici plutôt d’expéditions punitives, auxquelles on donne une légitimation en les référant à la volonté divine, source du droit, voire supérieure au droit. Zwingli dépasse déjà ici nettement la position luthérienne, qui justifie la guerre par l’autorité qui la commande, le droit de guerre étant indu dans le ius gladii. Il s’inspire de l’Ancien Testament qui lui dicte son interprétation générale de l’histoire, et spécialement de celle du peuple suisse, Gesta Dei per Helvetios. Ainsi, avons-nous vii, a-t-il interprété le passé, et, comme les voies de la Providence sont immuables, il ne doute pas que Dieu ne se serve à nouveau dans l’avenir du peuple suisse pour faire justice de ses ennemis. Le point de vue religieux et le point de vue national se rapprochent et coïncident, et c’est le spiritualisme zwinglien qui fait la soudure.

Dans le Lehrbuchlein il est encore plus formel : « L’idéal pour un chrétien serait de s’abstenir de toute guerre, pour autant que la situation générale et la tranquillité publique le permettent » (C. R., ii, 546, 23) ; mais qu’il s’agisse de la guerre ou de la paix, il faut avant tout se rallier au conseil supérieur de la Providence. Dieu, qui a aidé David dans la lutte contre Goliath et défendu contre leurs ennemis les Israélites désarmés, « nous protégera sans aucun doute, ou, s’il lui paraît bon d’agir autrement, 17 armera nos bras au combat ». Si donc la guerre devient une nécessité, « il faut avoir exclusivement pour but de défendre la patrie et ceux que Dieu nous ordonne (de protéger) » (ibid., 547, 6). « Formule assez élastique », note W. Kôhler (art. cit., p. 680), « qui met le droit moral de la guerre dans la main de la politique », mais d’une politique qui est censée puiser en haut ses lumières.

Dans le Commentaire sur saint Luc, d'époque postérieure (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 561-565), la