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ZWINGLIANISME. DROIT DE PROPRIÉTÉ


les prêts souvent usuraires du temps. (Il tient d’ailleurs un autre langage en 1525 ; cf. C. R., iv, 27.) Le prêt à intérêt était interdit par le droit canon ; les légistes cependant tournaient ses prescriptions à l’aide d’une fiction (C. R., ii, 516, 30 sq.). L’emprunteur gageait sa terre et ses revenus ; l’intérêt correspondait non à la somme prêtée, mais à ceux-ci. Il n’empêche qu’il était tenu au versement intégral de l’intérêt convenu, même quand la terre, champ ou vigne, ne rapportait rien : c’était là déjà une injustice que dénonce Zwingli.

b. Est-ce à dire qu’il enseigne que le débiteur ne soit pas comptable ? Non pas. Car au-dessus des intérêts particuliers du prêteur et de l’emprunteur il y a la règle de la justice : celle-ci oblige à rendre à chacun selon son dû (Rom., xiii, 7, cf. C. R., iii, 387, 18 sq.). Dès qu’un prêt a été consenti et qu’il est conforme aux stipulations de l’autorité, le contrat doit être observé ; dans le cas contraire, si le contrat est usuraire et illégal, il peut être considéré comme nul et non avenu. L’autorité est donc garante des prêts contractuels. Les recommandations de Zwingli à son endroit portent sur deux points (C. R., iii, 451, 21 sq.) : corriger les abus concernant les prêts contractés, en favorisant par exemple la rémission des rentes perpétuelles ; éliminer complètement, si possible, le prêt à intérêt dans l’avenir en veillant à ce qu’aucun nouveau prêt ne soit contracté. Dans le détail, les suggestions de Zwingli varient : partisan d’abord d’une échelle mobile de l’intérêt gradué d’après le rapport des terres hypothéquées (1523-1524), il se rallia ensuite à l’intérêt fixe 5% qui paraît déjà avoir été l’usage du temps (Luther, de 4 à 6%). Estime-t-il ce taux un maximum en 1525 (Ratschlag belreffend Ausschliessung vom Abendmahl fur Ehebrecher, Wucherer, etc., G. R., iv, 32 sq.), il le juge plus tard convenable et conforme au droit des gens (Commentaire sur Jérémie, 1531 ; Sch.-Sch., vol. vi, 1. 1, p. 158). Cf. P. Meyer, op. cit., p. 58 sq.

c. Il est clair que Zwingli ne pense pas dans ce domaine autrement que l’Église et la tradition moyenâgeuse. Le prêt à intérêt est contraire à l’Écriture (C. R., iii, 390, 7). Mettre l’accent sur l’obligation de celui qui l’a contracté, au nom des exigences de l’ordre social, n’équivaut nullement à le légitimer (ibid., iii, 391, 14 sq.). Car en même temps on renvoie le créancier à sa conscience : à lui de répondre de cette opération devant Dieu (C. R., iv, 356, Il sq.). On maintient seulement qu’une injustice ne saurait en réparer une autre (ibid., iii, 389, 10). On continuera donc à prêcher contre le prêt à intérêt (C. R., iv, 356, 14), et on rappellera aux chrétiens que l’idéal est que chacun « prête (muluum det) à son prochain sans espoir de gain, comme l’enseigne le Christ, imitant ainsi la conduite du Père céleste, qui nous octroie tout gratuitement » (Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 566).

Zwingli n’a pas entrevu le principe de la fécondité de l’argent. Concrètement d’ailleurs, tel qu’il était pratiqué de son temps, le prêt à intérêt correspondait moins aux intérêts du riche en quête d’un placement pour ses capitaux qu’aux besoins du pauvre, acculé à la faillite et à la détresse. De la part du premier, le prêt équivalait à une charité ; ne convenait-il pas que le second lui-même, pour ne pas demeurer en reste, récompensât son bienfaiteur à sa manière ? De même que l’un avançait le capital, l’autre donnerait l’intérêt. De la sorte, le prêt à intérêt se trouvait soulevé du plan de la justice contractuelle à celui de la charité. On se doit de relever sous la plume de Zwingli cette constatation assez peu usuelle : Ut enim caritas exigit, ut qui rem habeat egenti mutuum det, sic eadem caritas exigit ut quandoquidem opitulatus sit frater, ego vicissim beneficium rependam (Sch.-Sch., vol. vi, 1. 1, p. 157).

b) Dans la question de la dîme, Zwingli adopte une attitude semblable (cf. C. R., ii, 609 sq. ; iv, 338 sq., 434 sq., 530 sq.). Aux paysans ameutés par les prédicants anabaptistes, qui demandent la rémission d’une partie au moins de la dîme, il fait répondre par le Conseil (qui rédige les mandements d’après ses rapports ) et il répond lui-même que la dîme une fois consentie est due en justice. Une abrogation de la dîme amènerait d’ailleurs des perturbations dans la vie économique (C. R., iii, 399, 17). Tout au plus le Conseil promet-il de s’employer auprès des propriétaires pour obtenir d’eux l’exemption de la f petite dîme ». Ensuite d’ailleurs, sans doute instruit par l’expérience, il renverra les paysans eux-mêmes aux seigneurs. Si la difficulté pouvait se régler à l’amiable quand il s’agissait de propriétaires domiciliés sur le territoire de Zurich et des communes annexes, il n’en était plus de même dans le cas des * étrangers > (c’est-à-dire des propriétaires résidant dans d’autres cantons). Dans ce cas, on espérait seulement que l’exemple de Zurich édifierait et ferait loi (cf. C. R., n, 611). Enfin, contre les récalcitrants, il restait toujours à Zwingli cette arme souveraine : le recours au jugement divin. Toute rébellion attirera sur ses fauteurs la colère de Dieu (ibid., iv, 439, 6). C’est toujours le même esprit de justice inexorable que nous avons déjà relevé.

A la différence du prêt à intérêt, Zwingli est enclin à reconnaître le bien-fondé de la dîme, du moins comme institution ecclésiastique, quitte cette fois à en corriger les abus (C. R., iv, 356, 22). Ceux-ci venaient des ventes de dîmes au dehors, transferts, etc. Le principe est que la dîme doit servir à l’entretien des pasteurs (ou des maîtres) et des pauvres du heu. Elle a été instituée dans ce but (C. R., iii, 454, 10 ; iv, 404, 19), et, si elle n’existait pas, il faudrait inventer une autre taxe. Zwingli argue ici du sens originel de l’institution (C. R., iii, 393, 2 sq.), sanctionné d’ailleurs par la pratique des siècles (cf. C. R., iv, 532). Nous savons qu’il a pris soin de se renseigner sur l’histoire de la dîme et a consulté divers ouvrages sur le sujet (cf. C. R., vin, 279, 2 et n.). Pour le détail, cf. P. Meyer, op. cit., p. 67 sq., et R. J. Bôppli, Die Zehntablbsung in der Schweiz, speziell im Kanton Zurich, 1914.

c) On a fait crédit à Zwingli d’une politique libérale en ce qui concerne le servage. On a même vu dans les termes du mémoire collectif des pasteurs de Zurich, qui préconisent son abolition, comme une annonce de la Déclaration des droits de l’homme en Amérique (cf. A. Farner, op. cit., p. 90). En fait, il ne s’agit, dans cette question, que des tailles et corvées publiques (sans préjudice des obligations envers les particuliers), et non du servage à la manière antique (cf. C. R., iv, 340, n.). On invoque, pour les supprimer, le principe de la fraternité chrétienne (ibid., 346, 17) et non le droit naturel. Et Zwingli lui-même, qui ne paraît pas avoir pris l’affaire spécialement à cœur, déclare, dans son rapport annexe, le servage « aussi acceptable que l’autorité, du moment que Dieu le veut ainsi » (ibid., 355, 23 ; cf. P. Meyer, op. cit., p. 119, n.).

Conclusion. — Pour nous résumer, * la politique économique de Zwingli a un caractère nettement conservateur. Certes Zwingli n’entend pas tout laisser dans l’état actuel ; il propose en ce qui concerne le prêt à intérêt des réformes qui vont loin. Mais l’esprit de ces réformes n’est guère radical. Zwingli part toujours de principes conservateurs. Sa politique en matière d’intérêts et de dîmes repose sur un concept de propriété nettement circonscrit et intangible. La propriété privée… est divinement sanctionnée et elle est le fondement de tout ordre civique. Si Zwingli exprime dans ce contexte des idées plus radicales,