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ZWINGLIANISME. DROIT DE PROPRIETE


jusqu’à présent cherchée. Elle réside bien au contraire uniquement dans la manière si divergente dont les deux confessions envisagent la tâche ecclésiasticosociale du protestantisme » (K. S. Hundeshagen, Beitràge zur Kirchenverfassungsgeschichte und Kirchenpolilik, insbesondere des Protestantismus, t. i, 1884, p. 332).

2° Principaux points de la doctrine sociale de Zwingli. — 1. Travail et propriété. — a) Par réaction contre le mercenariat et l’usure, Zwingli revient à la valeur économique fondamentale : le travail. Et par là, il entend de préférence le travail agricole ou paysan (C. R., i, 392, 7). Ce faisant, il se souvient de ses origines, en même temps qu’il exploite certains thèmes chrétiens, empruntés à la Bible ou aux Pères. Le travail est peccati pœna (Sch.-Sch., vol. v, p. 18) ; il a une valeur ascétique individuelle (C. R., ii, 547, 12 ; ni, 106, 21) ; plus d’ailleurs que sur cet aspect, Zwingli insiste sur la joie au travail (C. R., ii, 247, 30 ; Sch.-Sch. , vol. vi, t. i, p. 269). Il a aussi valeur sociale et charitable comme moyen de subsistance et de bienfaisance (C. R., ii, 546, 23 ; iii, 384, 29).

Zwingli est ici strictement traditionaliste ; il manque à sa conception « le caractère rationnel, méthodique de l’éthique calviniste de la profession (Berufsethik) » (P. Meyer, Zwinglis Soziallehren, p. 47). Son originalité s’avère seulement en ceci qu’il met le travail de l’homme en relation avec l’activité divine ; de ce chef, la créature devient comme l’instrument de Dieu dans la production de valeurs nouvelles. « Et pour couronner le tout : fruit et croissance suivent la main assidue du travailleur, comme au début de la création toutes choses par la main de Dieu reçurent vie. Ainsi, parmi les choses extérieures, le travailleur est plus semblable à Dieu que quoi que ce soit au monde » (C. R., iii, 107, 1 sq.).

b) Zwingli a plus de peine à adopter à l’égard de la propriété une attitude aussi positive. Finalement cependant, il se rallie à une vue qui est symétrique de celle que nous avons exposée concernant l’autorité.

La propriété privée est un mal qui résulte du péché (C. R., ii, 511, 9). Cependant Dieu l’a sanctionnée, en l’entourant de sauvegardes : ce sont ses défenses qui sont de deux ordres : Tu ne convoiteras pas le bien d’autrui, ce qui déjà, implicitement, inclut son existence ; puis, ce commandement étant encore trop lourd à la faiblesse humaine : Tu ne prendras pas le bien d’autrui (ibid., ii, 490, 9 ; 511, 18). Dès lors la propriété privée peut se réclamer d’une institution positive de Dieu qui suffît à la légitimer. Cependant cette légitimation n’est complète que si l’on fait appel à une autre considération : si Dieu sanctionne la propriété privée, c’est seulement en fonction de la société humaine qui, sans elle, péricliterait et tomberait dans le désordre et l’anarchie ; de son propre point de vue, de même qu’il donne aux hommes libéralement et gratuitement la terre et ses fruits, il entend qu’ils imitent son geste, se réglant du moins quant à l’usage sur sa volonté (C. R., ii, 490, 21 ; 515, 19 sq. ; 516, 10). Toute dérogation à cette règle est coupable à ses yeux, alors même qu’elle ne serait pas châtiée par la loi civile.

Positivement, l’homme se doit d’utiliser ses richesses pour l’honneur de Dieu et le bien de ses frères, c’est-à-dire, concrètement, de les distribuer aux pauvres (ibid., 451, 11 ; 515, 26 sq.). Ce faisant, dans cet usage et répartition sous contrôle divin et aux fins providentielles, il agit à nouveau comme instrument de Dieu et agent de sa Providence (C. IL, II, 451, 10 ; iii, 402, 10) ; et cette considération proprement théologique, et bien dans la logique du système zwinglien, achève de fonder le droit de propriété. « Dès 1523, et plus encore dans les dernières années, écrit P. Meyer,

les exigences de Zwingli concernant la vie pratique se rattachent à cette idée que les biens en notre possession nous sont seulement confiés, que nous ne pouvons en disposer à notre gré, mais que nous en sommes seulement les gérants (Schafjner) » (Zwinglis Soziallehren, p. 51).

Mais quels sont les litres de propriété ? Il n’y a pour Zwingli de richesses bien acquises que celles qui procèdent d’un travail et se développent de préférence dans le cadre d’une économie rurale. Zwingli a ici en vue un certain idéal patriarcal, qui est à l’antipode du régime économique moderne. Il estime cependant le travail manuel ou artisanat (C. R., ii, 547, 12 ; sur les techniques, cf. Sch.-Sch., vol. vi, 1. 1, p. 621 : non débet ergo ars culpari, sed abusus) ; en revanche, le négoce et les tractations financières lui paraissent entachés de péché (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 565 et vol. iv, p. 132 : mercalores, genus hominum non semper utile). Une richesse consciencieusement acquise et développée par la culture ou l’élevage, comme celle d’Isaac, est une bénédiction du ciel (Sch.-Sch., vol. v, p. 119). Il se glisse même ici un préjugé défavorable au pauvre. S’il est pauvre, c’est qu’il ne sait pas régir sa maison, qu’il manque de certaines qualités (C. R., iv, 400, 24). Zwingli n’en glorifie pas pour autant le parvenu : il enseigne plutôt qu’il est tenu plus impérieusement de faire part aux autres de ses richesses (cf. Auslegung der Schlussreden, art. 23 et 33, C. R., n, 239 et 292). À tous, il inculque le détachement intérieur, et il interprète dans ce sens les conseils de l’Évangile les plus absolus (Marc, x, 21 ; Luc, vi, 20 ; xii, 33 ; cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 521, 584, 654). Au dépouillement effectif, synonyme de pauvreté volontaire, Zwingli substitue le détachement de l’ « homme intérieur », qui ressemble parfois à l’indifférence souveraine du sage à l’égard des biens de ce monde. « Cette opposition de l’homme intérieur et de l’homme extérieur, qui rappelle la distinction luthérienne de la morale personnelle et professionnelle, ne laisse pas que de paraître, dans une large mesure, artificielle » (P. Meyer, op. cit., p. 54).

Conclusion. — Les conceptions de Zwingli évoluent donc avec le temps vers la droite. Cependant entre la conception des premiers écrits et celle de la période postérieure on ne peut guère constater de véritable différence, il y a plutôt une variation de note (au début Zwingli met plutôt l’accent sur le devoir de bienfaisance corrélatif à l’indigence d’autrui ; dans la suite, il insiste sur le danger que présentent les richesses pour le possesseur lui-même et sur la nécessité du détachement). On ne peut lui reprocher d’avoir déchu de son idéal originel ; rapproché de la réalité, le point de vue des dernières années est encore assez radical et utopique. Veut-on le ramener à une formule, on peut parler d’une communauté d’usage, établie sur la base de la propriété privée et résultant de la charité, un peu comme dans la doctrine de Thomas d’Aquin » (P. Meyer, op. cit., p. 55).

2. Prêt à intérêt ; redevances et servage. — a) La position de Zwingli sur ce point est un corollaire de la précédente : a. Il condamne le prêt à intérêt, pour la raison qu’il engage et vend à autrui le travail de l’emprunteur. Bien plus, d’après le système existant, il grève le sol et conduit à une désertion des campagnes. Mieux vaut, estime Zwingli, renoncer à emprunter et vendre sa propriété et ses biens, et puis s’exiler en se confiant à Dieu, comme Abraham. Dieu ne manquera pas de veiller à la subsistance de ses enfanta et de leur assurer un autre établissement (C. H-, tu, 452, 1 sq.). Cette belle confiance en la Providence ne tient pas compte de la législation alors en vigueur, qui rendait très difficile les transferts de propriété ; niais elle natt de la répulsion qu’éprouve le réformateur pour