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ZWINGLIANISME. DÉPOSITION DU TYRAN


âgeux peuple et souverain se trouvent à l'égard de la justice. À la base du droit de résistance zwinglien il y a cette notion familière au Moyen Age que l’autorité est chargée de protéger la justice, faute de quoi elle perd son caractère d’autorité légitime et devient tyrannique. Il y a aussi sous-jaccnte l’idée que le peuple tout entier est devant Dieu responsable du maintien de la justice. Et donc il ne s’agit pas, sous ce terme de résistance, de quelque chose qui puisse être exercé ou non, ni d’un pouvoir du peuple lésé dans son droit — celui d’opposer la violence à la violence — mais bien d’un devoir moral et religieux, qui doit être accompli, fût-ce au prix de sacrifices » (Zwinglis Soziallehren, p. 120-121). Le même auteur reconnaît par ailleurs, mais sans parvenir à l’expliquer, que Zwingli juxtapose les deux attitudes : obéissance passive et résistance active, lesquelles, ajoute-t-il, semblent bien s’exclure l’une l’autre.

2. Le vrai principe d’explication : la foi zwinglienne en la Providence. — En fait, ces interprétations, pour exactes qu’elles soient, ne mettent pas l’accent sur Yoriginalilé de la doctrine zwinglienne. Celle-ci n’est à référer ni à la tradition ancienne, ni à quelque théorie juridique moyenâgeuse, mais bien au propre système de l’auteur.

Disons, si l’on veut, que cette doctrine se situe, non pas tant au plan de la « justice humaine » (encore que celle-ci demeure règle immédiate et que les gouvernants comme les sujets soient comptables à son endroit) qu'à celui de la « justice divine », justice rélribulive cette fois, dont les exigences dominent le cours de l’histoire et doivent en toute hypothèse prévaloir : d’où le rôle dévolu au prophète qui est chargé de les rappeler opportunément aux grands tentés de les oublier (cf. infrà). Dans cette considération théologique de la Providence, les deux points de vue signalés, loin de s’exclure, se rapprochent et se réconcilient. Car si le peuple croyant persécuté s’humilie sous la main de la Providence, qui entend châtier ainsi ses fautes et ses infidélités antérieures, il se relève dès qu’il aperçoit que les droits mêmes de Dieu sont en cause, et il s’offre à Lui pour lui servir d’instrument dans le châtiment des coupables. 'L’activisme de Zwingli l’empêchait de s’en tenir à la première attitude, mais nous ne croyons pas qu'à la différence de Luther il ait été conduit par des raisons juridiques à adopter la seconde. Les considérants de cet ordre ne tiennent guère de place dans sa doctrine (cf. C. R., ii, 346, 1 sq. : allusion à la « loi de nature » violée par le tyran et qui entraîne éventuellement sa déposition, s’il se trouve assez de sujets pour la prendre à cœur). Il lui suffisait de suivre la logique de son système pour rencontrer la solution à la fois juste et mesurée.

En définitive, les vicissitudes des sujets comme l’alternative du bien et du mal chez les gouvernants sont soumises au conseil supérieur de la Providence. Quand Dieu nous envoie de mauvais souverains, en vue de châtier nos propres dérèglements, il nous faut les tolérer avec patience ; mais lorsqu’il nous apparaît plus conforme à sa volonté que nous les éliminions, il n’y a plus à hésiter. À la tolérance ou à la résistance passive succédera V action énergique à laquelle le sentiment d'être l’instrument de Dieu et une certaine ardeur mystique communiqueront un nouvel élan.

3. Progrès de la doctrine : le passage à la résistance armée. — À partir rle 1528, la doctrine de Zwingli évolue. Il ne se contente pas fie prêcher la patience et la soumission aux dispositions rle la Providence, ni même de préconiser la résistance |> : ir las voies légales ; il enseigne la légitimité fie l’opposition armée. L’en semble de sa politique et l’exemple même qu’il donne

en font foi. Cependant il fait retour au principe initial : la vérité évangélique a un droit imprescriptible à être entendue. Il ajoute seulement : là où la persuasion ou la légalité ne réussit pas, il est légitime d’employer la violence. De la résistance active à la résistance armée il n’y avait qu’un pas, et Zwingli, autant par tempérament que par conviction, était assez enclin à le franchir.

Sa doctrine d’ailleurs restait ouverte à ce développement, accéléré par la pression des circonstances. Si d’autre part il n’eut pas les mêmes scrupules que Luther à entrer dans des coalitions dirigées contre l’Empereur, si même il n’hésita pas à les susciter, c’est que sa position était autre que celle du réformateur allemand, les cantons suisses ayant été déliés par la guerre souabe des liens de vassalité à l'égard du pouvoir impérial. Zwingli rallia Philippe de Hesse à son parti, et dès lors la doctrine obtint une incidence politique. Comp. la lettre de Philippe de Hesse à Sturm, qui est dans l’esprit de Zwingli : Trois voies nous sont ouvertes, y est-il dit : la première consiste à renier le Christ ; la seconde, à tout subir sans rien faire ; « la troisième, à se défendre : c’est sur ce chemin que nous rencontrerons la fortune et l’espérance, la seconde ne présente aucune chance » (cité d’après C. von Kugelgen, Die Ethik H. Zwinglis, p. 88, n.).

Zwingli et le lyrannicide.

Est-ce à dire que

pour autant Zwingli ait enseigné la légitimité du lyrannicide ? M. Lossen remarque avec raison : « De là (du droit de résistance) à la justification du tyrannicide, la distance est grande. Que Luther ou Zwingli l’ait franchie, la critique des adversaires même aiguillonnée par la haine religieuse n’a pas réussi à en faire la preuve » (Die Lehre vom Tyrannenmord in der christlichen Zeil, Munchen, 1894, dans Festrede gehallen in der ôfjentlichen Sitzung der b. d. Akademie der W issenschaften zn Munchen, p. 22).

1. On cite la lettre à Ambr. Blaurer (1528). Elle enseigne qu’il ne faut pas hésiter à poignarder les évêques (contrucidet), dès lors qu’ils s’opposent avec opiniâtreté à la Réforme, comme jadis Élie massacra les prêtres de Baal (C. R., ix, 465, 4 ; cf. iii, 449, 25 ; 460, 19). L’imagination de Zwingli est ici hantée par les grands exemples de l’Ancien Testament, les Ézéchias, Jéhu, Jonas, Élie, qui, soulevés par l’Esprit, n’ont reculé devant aucune démarche propre à défendre le culte du vrai Dieu. « Pourquoi hésiter à suivre des exemples, même d’une dureré implacable, du moment que l’Esprit nous donne la même Trvnpoq>op{a (assurance) dont ils étaient remplis ? » (ibid., ix, 465, 6). Zwingli argue aussi des exigences du salut commun, selon l’analogie déjà citée : « Il faut tuer (les récalcitrants) en vue du salut du reste du corps, s’il est vrai qu’il vaut mieux arracher un œil devenu aveugle que de laisser périr tout le corps » (ibid., 11 ; comp. C. R., ii, 335, 5 sq.). Outre les précédents invoqués et l’utilité commune, il y a pour légitimer une entreprise aussi audacieuse, et c’est le motif le plus impérieux, les intérêts supérieurs de la religion : il importe d'éliminer même par le glaive l’adversaire convaincu d’erreurct contumace, dès l’instant qu’une plus longue tolérance ser.iit directement nuisible à la religion (ibid., 18).

Que penser de ces textes et convient-il d’en limiter la portée aux seuls évêques adversaires de la religion réformée ? Notons que Zwingli voyait en eux aussi bien les détenteurs d’une autorité séculière, et ailleurs (Ci R., ii, Mo, 13) il observe qu' « il y a dans le monde de l’Autorité des abus qui n’ont pas moins besoin de

punition et d’amendement que ceux qu’on rencontre

cbez les ecclésiastiques », Voir nussi C. R-, IY, 883, B, Néanmoins, loin que l’autorité séculière soit ici en cause, C’est à elle (avec le concours tU peuple : C. R-.