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ZWINGLIAN18ME. DEPOSITION DU TYRAN


pouvoir suzerain, se gouverne elle-même. Le peuple a en outre certains droits inaliénables, tels que celui de consentir l’impôt, et Zwingli connaît les libertés civiques, mais il n’a pas idée des droits politiques et sociaux de l’individu tels qu’on les conçoit de nos jours.

Cependant, et sans faire de lui, comme Œchsli et Kreutzer, le parfait modèle du républicain, on peut dire qu’il est démocrate de tendance, entendez qu’il est du côté du peuple contre la bourgeoisie et tous les privilèges, et plus encore qu’il apprécie un régime qui exige un concours actif de ses membres, avec une responsabilité graduée d’après la fonction de ceux-ci dans la hiérarchie, et qui favorise chez eux l’exercice du jugement politique. D’où la nécessité corrélative de former ce dernier, à laquelle lui-même ne faillira pas. Une part de son activité, et sans doute la plus féconde, est dirigée vers ce but : former le bon citoyen en éduquant le chrétien. (Cf. Quo pacto ingenui adolescentes (ormandi sunt, 1 er août 1523, C. R., H, 526 sq. ; O. Rùckert, Ulrich Zwinglis Ideen zur Erziehung und Bildung, 1900 ; W. S. Meister, Volksbildung und Volkserziehung in der Reformation Huldrych Zwinglis, 1939.) Les vertus civiques sont inséparables de la religion ; il n’est de cité vraiment digne de ce nom que la Cité chrétienne (cf. Sch.-Sch., vol. v, p. 489). De ce chef, déjà le recours à l’Antiquité lui était précieux : il y trouvait, dans le culte même des divinités tutélaires de la Cité, l’exemple de la religion servant de fondement aux vertus civiques et domestiques. En outre, la Polis de la Renaissance s’inspirait, en le rénovant, de l’idéal antique, et celui-ci, plutôt que la communauté israélite, transparaît dans certaines expressions de Zwingli (avec W. Kôhler, Zeilschrift der Savigny-Stiflung, art. cité, p. 682, contre A. Farner).

Sources de cette doctrine.

On distingue dès lors

sans peine les sources auxquelles il puise. (Parmi les sources livresques, il faut mentionner Marsile de Padoue, qui fut imprimé à Bâle en 1523 et probablement utilisé par Zwingli dans l’Auslegung der 67 Schlussreden. ) Son idéal politique est inspiré par l’humanisme, en même temps qu’il est marqué au coin du patriotisme suisse. Il n’est pas aussi sans relations avec sa culture biblique. Sans doute, la Bible fournit peu d’éléments institutionnels cadrant avec le modèle qu’il propose, encore qu’il croie découvrir dans la « république » instaurée par Moïse (Ex., xviii, 21) et dans l’aversion de Dieu pour la monarchie une preuve en faveur de sa thèse ; mais il s’agit plutôt ici d’une influence spirituelle que d’emprunts matériels. Celle-ci se révèle à trois traits : à la prépondérance donnée aux considérations éthiques et même proprement religieuses ; puis au jugement moral porté sur le Pouvoir et ses détenteurs. Zwingli s’arrête à considérer la tentation du Pouvoir ; il sait, l’expérience l’en avertit, que sa possession constitue pour la nature humaine contaminée par le péché un danger auquel peu résistent ; que les meilleurs eux-mêmes, une fois promus au premier rang, se laissent aisément corrompre et deviennent la victime de leurs passions déchaînées. Il note aussi quelle influence néfaste le chef indigne exerce sur la psychologie de la masse qui tend à se modeler a son image (Sch.-Sch., vol. v, p. 485, c. fin.).

Enfin, et c’est le troisième trait, ici comme dans ses autres écrits, Zwingli fait preuve d’un sens affiné de l’histoire que sa lecture de la Bible a sans doute développé. Ainsi il est impressionné par la caducité des empires qui reposent sur la base fragile de la volonté d’un homme devenue perverse ; il relève aussi la succession des régimes et l’interprète d’après les vues de sa philosophie politique : la monarchie, estime-t-il, unît de la dégénérescence de l’aristocratie ; alors que

les partis se disputent le pouvoir, on considère l’accession d’un seul au pouvoir comme un moindre mal ; celui-ci en abuse-t-il, on revient alors, après un long périple, à l’ancienne formule (ibid., vol. v, p. 488).

Finalement, ce qui frappe surtout, c’est le réalisme politique de Zwingli. Il ramène la question de la meilleure forme de gouvernement des hauteurs idéologiques, où philosophes et théologiens la reléguaient, au terrain solide de l’expérience et de l’histoire. Avec un certain positivisme, il analyse les faits que lui présente l’état actuel de la société : d’une part, ce sont des États livrés à la tyrannie des grands, à la rapacité de leurs courtisans ou créanciers, ici comparés à des harpies, et usant volontiers de violence envers les adeptes de l’Évangile (ibid., p. 486 ; C. R., iii, 430, 5 sq.) ; de l’autre, des cités s’administrant elles-mêmes, où règne la prospérité et dont il rêve de faire des sanctuaires de la religion réformée. En faisant l’apologie de leur régime, il entend renforcer chez leurs membres la conscience collective et les fédérer entre elles, en même temps qu’il les détache du Reich catholique (cf. W. Kôhler, Zwingli und das Reich, dans Die Welt als Geschichte, vi, 1940). Aussi n’est-ce pas sans une arrière-pensée politique qu’il dédie sa plus brillante esquisse, le prologue du Commentaire d’Isaïe, aux villes de Suisse et d’Allemagne du Sud qui ont adhéré au Christliches Bùrgerrecht.

III. DROIT DE DÉPOSITION DV TYRAN.

Cf. Aus legung der Schlussreden, 1522, art. 38 et 42 ; C. jR., ii, 320 sq. ; 342 sq. Commentaire, 1525 ; C. R., iii, 873, 25. Christianee fidei expositio, 1531 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 59. Voir L. Cardauns, Die Lehre vom Widerstandsrecht des Volkes gegen die rechtmâssige Obrigkeit im Lutherlum und Calvinismus des 16. Jahrhunderts, Diss., Bonn, 1903, p. 19-22.

Le droit de résistance à l’autorité.

1. Résistance

passive et droit de déposition. — L’autorité, avons-nous dit, n’a pas un droit inconditionné ; son pouvoir demeure subordonné à la conformité de ses prescriptions à la volonté de Dieu. Quand elle va contre cette volonté (c’est ainsi que Zwingli entend : usser der schnur Christi faren, cf. C. R., ii, 342, 26 ; 343, 14), elle perd son droit à l’obéissance. Ainsi en advient-il toutes les fois que l’autorité prend des mesures qui contrarient la libre prédication ou audition de la parole de Dieu. Il n’y a dans ce cas, pour le chrétien, qu’une seule attitude possible : le refus d’obéissance (cf. Act., v, 29), quoi qu’il en coûte. Zwingli rappelle la fécondité du sacrifice allant jusqu’au martyre. Les exhortations de l’Évangile (Matth., x, 28 ; Joa., xii, 24 ; cf. C. R., ii, 321, 16 ; 514, 24) et l’exemple des premiers chrétiens le guident. Le croyant est ici dans son rôle de témoin de la vérité qui a des droits imprescriptibles à se faire entendre (cf. C. R., ii, 503, 2 sq.). Zwingli se meut ici dans la ligne de Luther et de la theologia crucis (cf. L. Cardauns, op. cit., p. 3. Comp. C. R., ii, 321, 15).

Cependant la finale de l’Auslegung des 38. Arlikels laisse percer une autre note proprement zwinglienne : « Croyez-vous que le monde, alors même qu’il n’y aurait pas de Dieu, pourrait supporter plus longtemps votre attitude impie… ? Si cela continue ainsi, le traitement que vous faites subir aux autres se retournera contre vous. Recourez-vous à la violence, on usera de violence envers vous : car de la même mesure dont vous mesurez, on vous mesurera » (C. R., ii, 323, 4 sq.). Ces considérations de Justice prévalent dans l’art. 42 et dictent à Zwingli sa doctrine originale du droit de déposition du tyran.

2. Fondement de ce droit.

Il fonde ce droit sur l’P.criture. L’Ancien Testament nous montre Dieu, tantôt rejetant le roi même qu’il avait choisi : ainsi Satll, tantôt punissant les Israélites pour n’avoir pas