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ZWINGLIANISME. FORMES DE GOUVERNEMENT


col. 3788, 3810), les positions se prennent par rapporta la conception que l’on se fait de la nature. Le dualisme réformé, auquel Zwingli reste fidèle jusqu’au bout, empêche de parler et d’ordre juridique correspondant aux aspirations de la nature et d’établissement ici-bas du règne de Dieu.

3. Cependant une autre dialectique se fait jour chez Zwingli : celle de la réalité et de l’apparence. Si éloignés qu’ils soient du pur idéal de la justice divine, les préceptes qui composent la justice humaine doivent cependant tendre à s’y conformer (gleich/ôrmig sein, C. R., ii, 323, 20). La justice divine se crée ainsi jusque dans l’ordre extérieur dont l’État est le gardien et le promoteur, comme un double de soi-même. Zwingli dit expressément que la justice humaine, à la prendre à son niveau le plus bas, est l’ombre de la vraie justice (ibid., 330, 14). C’est ici sans doute que s’insère le rôle de personnalités chrétiennes et la raison pour laquelle Zwingli fait fond sur les caractères plus que sur les institutions (C.R., iii, 867, 13 ; Sch.-Sch., vol. iii, p. 405). Seules des personnes imbues de l’idéal évangélique sont à même de faire, sous la conduite de l’Esprit de Dieu, les transpositions nécessaires et de modeler la société d’ici-bas à l’image de celle de l’autre monde. Mais, de même qu’il avait renoncé à faire de l’Église visible une incorporation de l’Église invisible, de même, et a fortiori, Zwingli se refuse à incarner le règne de Dieu dans des structures temporelles. Sur ce point, il reste attaché à l’idée luthérienne : Regnum Dei non est externum.

En conclusion, comme le souligne Br. Brockelmann, « on retrouve dans la manière dont Zwingli imagine l’organisation du terrestre certaines représentations héritées du Moyen Age, mais le monde comme tel perd chez lui l’importance démesurée qui lui revenait au Moyen Age au titre d’image (Abbild) du Règne de Dieu. On perçoit ici une note nouvelle, un dégradé de la notion. Le monde ne reflète plus le royaume de Dieu, il ne fait plus que le symboliser » (Das Corpus christianum bei Zwingli, ut supra, p. 60). L’antinomie de base, annoncée par l’opuscule Von gôtllicher und menschlicherGerechtigkeit, demeure. Elle prend diverses formes : justice divine et justice humaine ; parole, autorité ; homme intérieur, choses extérieures ; chair, esprit, etc., et la théocratie la recouvre en partie, mais même alors les personnalités contrastées du prophète et du magistrat nous rappellent la brisure du péché (contre A. Farner).

II. FORMES DE gouvernement.

Cf. Commentaire, C. R., iii, 870, 24 sq. ; 873, 13 ; Christianse fidei exposiiio, Sch.-Sch., vol. iv, p. 59, et surtout prologue de la Complanatio Isaise Prophetæ, 1529, ibid., vol. v, p. 483 sq. Comp. J. Kreutzer, op. cit., p. 37 sq.

L’idéal politique de Zwingli.

Zwingli parle d’ordinaire

de l’ « autorité » (Obrigkeit) ; quand il veut embrasser l’État dans toute sa compréhension, il emploie une expression dualiste : Herr und Volk. Il ne s’élève pas à la conception unitaire moderne qui ne paraîtra qu’avec YAufklârung et il reste dans la tradition germanique moyenâgeuse, qui suppose une certaine dualité entre le pouvoir et les sujets. Concrètement parlant, le pouvoir lui apparaissait sous deux formes : pouvoir impérial ou de la noblesse (Kaiser, Fursten, Adel), magistrat urbain (Herren, magislratus). L’histoire des trente dernières années se résumait pour lui dans l’émancipation de la Cité suisse, guidée par son magistrat, de la tutelle où l’avaient longtemps maintenue la maison d’Autriche et les princes (cf. C. R., ix, 11, 16). L’essor de l’Évangile, favorisé par les uns, combattu par les autres, accentuait encore cette opposition. C’est sous les couleurs de celle situation historique que Zwingli se représente et dépeint les différents régimes, notamment dans le prologue du

Commentaire d’Isaïe. La comparaison tourne naturellement à l’avantage de l’aristocratie, ou de la Cité. Dans la Christianse fidei exposiiio (dédiée à François I er), il se borne à une simple énumération sans comparaison, sans doute pour ne pas déplaire au monarque dont il recherchait l’alliance.

Zwingli ne connaît en somme que deux régimes, qu’il appelle ailleurs : regnum, respublica (cf. Sch.-Sch., vol. vi, 1. 1, p. 1). (Dans Y Exposiiio, il fait ressortir que respublica a une acception plus large que le terme grec : démocratie, ibid., vol. iv, p. 59.) Sans doute il n’ignore pas la théorie classique des trois régimes et de leurs corruptions, et à son tour il la cite et l’utilise. C’est là un bien antique que par de la la scolastique il aime à s’approprier ; en sus, ces catégories correspondent bien à son génie antithétique. Il est néanmoins remarquable que dans le prologue d’Isaïe, où il traite ex professo la question, il laisse tomber purement et simplement le troisième terme : la démocratie. (Voir aussi le Commentaire, C. R., iii, 880, 40 : Potestates eminentes dixit (Paulus) pro « magistratibus », sive monarchse sint, sive aristocratici ; hoc est, sive rex sit qui eminet, sive optimates.)

Mais il fait davantage : pour des raisons mi-idéologiques, mi-patriotiques, il renverse l’opinion des philosophes anciens et des théologiens du Moyen Age et donne le primai à l’aristocratie. C’est que sa méthode même, plus empirique, plus proche des faits, l’oblige à déplacer le problème : il ne s’agit pas tant de savoir quelle est la meilleure forme de gouvernement en soi que celle qui s’avère la meilleure en fait, entendez celle qui fournit le plus de garanties à un exercice sage et modéré. Or c’est l’aristocratie, définie comme le régime où le pouvoir repose sur la base large et solide de la consultation populaire et est exercé par un double organe : le Conseil avec son directoire (capul). De la sorte, chaque échelon a les attributions qui lui conviennent : la plebs exprime son suffrage ; le Conseil détient la potestas et imperium, tandis que l’exercice actuel de la juridiction est le fait de l’office suprême (primum officium). Sans lui, l’aristocratie serait acéphale (cf. Sch.-Sch., vol. v, p. 485-486).

Cette description correspond assez bien à la constitution de Zurich. Sur le détail de celle-ci, cf. C. R., t. i, p. 143, n. 3 ; L. von Murait, Stadtgemeinde und Reformation in der Schweiz, ut supra, p. 357 et W. Kôhler, Huldrych Zwingli, 1943, p. 47. Nous savons que finalement dans la théocratie la tête seule émergera (Conseil secret). Cependant, même alors, Zwingli maintient la nécessité d’une consultation populaire (C. R., iv, 480, 1 ; ix, 462, 19 ; 464, 21), du moins pour la forme, car les historiens nous enseignent que les consultations auxquelles il fait allusion (voir aussi Œchsli, op. infra cit., p. 111) avaient plutôt pour but de renseigner le Pouvoir sur les sentiments du public et de prévenir un retour à l’expérience malheureuse de Waldman. Ainsi Zwingli s’en tient à la formule Herr und Volk (cf. C. R., ii, 331, 23 ; 332, 4, et passim), qui représente son idéal politique, ces deux termes étant non seulement relies entre eux, mais référés également à la Parole de Dieu qui demeure la règle suprême de la conduite des peuples et des décisions des gouvernants.

2° Zwingli est-il démocrate ? — Il ne faudrait pas renverser cette pyramide et faire de Zwingli un partisan de la « souveraineté inconditionnée du peuple » (W. Œchsli, Zwingli als politischer Theoretiker, dans Zuricensia, Beitrâge zur zûrcherischen Geschichte, Zurich, 1891, p. 97). Sans doute, il tient plus que quiconque à la liberté, mais il entend par là la liberté publique (publicam libertatem) par opposition à la tyrannie (cf. Sch.-Sch., vol. v, p. 485, 488). Elle consiste dans l’état d’une Cité qui, affranchie du