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ZWINGLIANISME. DOCTRINE DE L’ETAT


ac docet, ubi sit ignoscendum, ubi vero minus. Comp. C. R., ii, 335, 19). C’est aussi la conception sousjacente au prologue de Jérémie (Sch.-Sch., vol. vi, 1. 1, p. 1 sq.).

C’est en haussant le pouvoir au plan du salut que Zwingli a réussi à surmonter tout ce qu’il y avait de négatif dans la définition de laquelle il était parti. De la sorte, il prépare idéologiquement la voie à la théocratie. Cependant, à ce stade du moins, les limitations, la relativité même du pouvoir demeurent. S’il est capable de développer des valeurs positives de l’ordre du bien temporel et de la culture, on ne voit pas qu’il concoure directement au bien des âmes ; il est seulement l’occasion d’un revirement chez les individus, ou la cause indirecte de l’expansion de l’Évangile.

3. L’État chrétien.

Corrélativement, Zwingli insiste sur le caractère chrétien de l’État, autorité et sujets. C’est là pour lui comme un qualificatif d’essence, encore que toute autorité même païenne, même mauvaise, vienne de Dieu (C. R., ii, 311, 23 ; iii, 868, 39) : car une autorité tyrannique peut bien un instant être le jouet de la Providence ; du fait qu’elle est tournée contre Dieu et qu’elle est établie sur la violence, elle est vouée à disparaître (C. R., iii, 881, 16). Il ne reste donc en cause que les princes ou les magistrats chrétiens auxquels doivent correspondre des sujets chrétiens. Car à quoi servent les bonnes lois, s’il n’y a pas de bons esprits pour leur obéir (C. R., il, 330, 26 ; iii, 868, 30) ?

Pourquoi seule l’autorité chrétienne est-elle véritablement digne de ce nom ? Du fait que la loi qu’elle administre va à rencontre des inclinations de la nature déchue et que celles-ci ne peuvent être vaincues que par la foi (C. R., ii, 326, 10 sq. ; iii, 868, 28). Ainsi l’ordre étatique suppose objectivement la négation des instincts de la nature corrompue ; subjectivement, cette négation n’est possible que par la foi. Zwingli retourne le sujet sur toutes ses faces, toujours il aboutit à la même conclusion. Toutes les lois ont leur principe et fondement dans la loi de nature, entendez la loi de justice et d’amour du prochain comme soi-même, qui n’est acceptée que par le croyant (C. R., ii, 324, 18 sq.). De même, le juge ne peut appliquer la loi que s’il possède la notion du juste et de l’injuste qu’il tire de la foi ; que s’il est capable d’apprécier la conformité d’une loi ou d’une mesure judiciaire avec le jugement même de Dieu, ce qui, Ici encore, relève d’un jugement surnaturel (C. R.. ii, 330, 10 ; 334, 17 ; iii, 884, 29). Et ce qui est vrai de l’autorité l’est aussi des sujets, dès lors qu’on leur demande un concours actif au bien commun (C. R., ii, 330, 26 ; iii, 808, 30). (Sur l’idée de solidarité sociale, cf. C. R., ii, 547, 33 ; iii, 872, 38 sq. ; Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 563, c. fin. Sur la notion de bien commun, cf. C. R., i, 174, 17 ; 175, 7 ; ii, 306, 15 ; 307, 2 ; 336, 15 ; ni, 870, 20. Sur le concours positif au bien commun, ibid., iii, 867, 18.) Finalement, par opposition aux anabaptistes qui affectent de mépriser le pouvoir pour son caractère charnel (Magistratus offlciurn est senmdum carnem ; Christianus autem est secundum spirittirn, dans In catabapt. stroph. elenchus, Sch.-Sch. , vol. iii, p. 404), Zwingli spirituatise le pouvoir (on détenteur Ml un homme spirituel : magis ergo tplrifu /ilis est hiiinsmodi iudex, ibid.), bien plus il le divinise (uiirfr ri rlrns (pst thgnntur eos su » nomine F.lohlm adprllarr, ibid.).

Zwingli a tant insiste sur la qualité, chrétienne de l’autorité (cf. C. K., iii, 873, 17 ; Sch.-Sch., vol. iii, p. 404) que celle-ci a rejailli sur sa conception mtmt de la fonction italique. À force de déclarer, contre les anabaptistes qui déclinaient le pouvoir comme mauvais ou indigne d’un Chrétien, qu’il n’y a de Véritable magistral que le magistrat chrétien (C. R., iii, 867.

12 ; 868, 38), le réformateur s’est mis à tabler sur ce titre de chrétien et à confier au magistrat des fonctions disciplinaires et religieuses qui, normalement, sont du ressort de l’Église. Il a réintroduit ainsi, sous l’égide du christianisme réformé, la confusion des pouvoirs dont il avait prétendu nous affranchir.

Critique de cette doctrine.

On voit que, du commencement

à la fin, Zwingli juge de l’État d’un point de vue strictement religieux ou confessionnel. Ce que Wernle écrit de ï’Auslegung der Schlussreden est vrai des autres ouvrages : « C’est une amorce de programme confessionnel, née d’une situation donnée et calculée pour les circonstances avec leurs oppositions ; rien d’une théorie abstraite de l’État > (P. Wernle, Zwinglis und Calvins Stellung zum Slaate, ut supra, p. 8). D’où les insuffisances de cette doctrine et les gauchissements qu’elle accuse :

1. En fait, Zwingli postule l’existence d’un ordre juridique qu’il rattache à la volonté divine, et il le justifie à partir de la corruption de la nature et des nécessités de la vie sociale, mais il ne se préoccupe pas de définir cet ordre, et encore moins de déterminer son fondement dans la réalité sociale elle-même. Si du moins sa pensée était ouverte à des compléments de ce genre ! Mais elle leur paraît rigoureusement fermée à raison même de sa position philosophique qui est volontariste. C’est pour avoir méconnu ce trait que Troeltsch et W. Kôhler ont cherché à prolonger la doctrine de Zwingli dans le sens de la doctrine moyenâgeuse du droit naturel. Non seulement cette notion ne se rencontre pas chez Zwingli, mais elle paraît positivement exclue par lui, cf. supra, col. 3810.

2. On interrogera cependant, surtout à propos des écrits de la dernière période (1528-1531) : l’instauration de la théocratie ne suppose-t-elle pas une conception plus optimiste de la nature humaine ? Plus explicitement, Zwingli a-t-il cru à l’établissement possible du royaume de Dieu sur cette terre, et faut-il interpréter dans ce sens la théocratie zurichoise ? Nous ne le pensons pas. Quand, renversant l’opinion luthérienne, Zwingli insiste sur la visibilité du règne de Dieu (C. R., ix, 452. 16), il entend par là les modalités extérieures accompagnant une réforme religieuse, et non point des réformes éthico-sociales. Cela ne l’empêchera nullement de travailler à l’amélioration de la condition humaine ici-bas, mais les réformes sociales dont il sera bientôt question restent à la périphérie du règne de Dieu tel qu’il l’entend. Comme le remarque W. Kôhler (art. cit., p. 680, n. 2, contre A. Farner), on ne saurait confondre service de l’autorité ad ampliendam pacem, et travail d’instauration du « Reich Cottes ». Disons donc : Le mouvement de réforme dont Zwingli est l’initiateur est proprement religieux, ecclésiastique, et non pas d’allure politicosociale. Il veut renverser même extérieurement le règne de l’Antéchrist…, mais 17 n’entend pas pour autant établir sur terre un règne de Dieu absolu, s’incarnanl dans des formes extérieures politiques et sociales. Bien au contraire, le principe de la relativité vaut Ici plus que jamais à raison de nos Imperfection et faiblesse qui demeurent. Précisément, la lettre à Rtaurer montre en Zwingli le réformateur religieux, non politique, et qu’il fin capable de faire les distinctions nécessaires, cela même concourt à le grandir » (P. Wernle, op. cit., p. 24-25).

La théocratie ne marque donc pas un retour à l’Idéal du Moyen Age symbolisé par le Corpus christianum, même à l’échelle de la Cité (cf. cependant C. R., m, 881, 21 : l’inge mim urbem aliqiiam sic Christo renatum.utex civibus nrmn non adriits rtgulam viral…), et on n’a que plus de raison d’abandonner ce concept comme principe d’explication (cf. supra, col. 3861). Ici, Domine dans le quasi Ion du droit naturel (cf. lupra,