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ZWINGL1ANISME. DOCTRINE DE L’ÉTAT


synonyme de coercition, de contrainte ; si néanmoins il s’y soumet, c’est par condescendance et pour le bien général. Zwingli en juge autrement. Sans doute, l’ordre juridique n’est nécessaire que pour les mécréants (golsschelmen), mais mécréants, nous le sommes tous (C. R., ii, 328, 20). Aussi longtemps que nous sommes sur cette terre, nous sommes sujets aux impulsions de la nature corrompue : seule une contrainte imposée du dehors peut les réprimer et nous maintenir dans l’ordre. Ici encore, c’est en prenant le contre-pied des anabaptistes que Zwingli parvient à un pessimisme aussi radical.

Dans le commentaire sur Matth., xvii, qui est visiblement postérieur, Zwingli fonde la nécessité de l’État, non plus sur la nature pécheresse, mais sur l’élément charnel qui est en nous. À l’antinomie des deux justices qui correspond au dualisme paulinien : péché-grâce, a succédé un dualisme métaphysique de source antique : évolution sociologique parallèle à celle que nous avons notée en morale (cf. supra, col. 3789, 3798 ; Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 331, c. fin. : Quandoquidem homo ex anima et corpore constat, corpus magistratui subiectum est, spiritus divino spirilu regitur. Nam donec non sumus spirituales, parère debemus magistratui donec spiritus plene in nobis obtineat et regnet).

b) Mais la fonction de l’État ne se borne pas à mettre un frein à la tyrannie des méchants : un rôle plus positif lui revient. Il est responsable de l’ordre et de la prospérité sociales ; il doit donc tendre à éliminer les abus et à introduire plus de justice et d’équité (C. R., ii, 515, 7 ; 520, 20 ; iii, 458, 14). Zwingli se prononce contre l’usure et l’accumulation des capitaux (C. R., ii, 339, 4 ; 495, 30 ; cf. P. Meyer, Zwinglis Soziallehren, 1921, p. 64). En revanche, il maintient le paiement de la dîme et des intérêts pour les prêts contractés, par souci de faire respecter les contrats dont l’autorité est garante et de maintenir ainsi l’ordre social qui repose sur la confiance mutuelle. Par cette attitude, Zwingli passait aux yeux des extrémistes pour conservateur et partisan de l’ordre établi. Il n’ignorait pas cependant que celui-ci est perfectible, et s’il préconisait des réformes, encore fallait-il qu’elles s’accomplissent graduellement et avec mesure. (Voir infra, col. 3906 sq.) Par ailleurs, l’État zwinglien hérite de certaines fonctions autrefois dévolues à l’Église, ainsi l’assistance publique, et il fraye le chemin à l’État-providence moderne (Wohlfahrtsstaat). Par cet aspect de son œuvre Zwingli apparaissait aux gens d’Église comme révolutionnaire. Il prétendait cependant faire rentrer l’État dans ses attributions propres.

c) Si l’on en croit A. Farner (Die Lehre von Kirche und Slaat bei Zwingli, 1930, p. 41 sq.), l’État tel que le conçoit Zwingli aurait une finalité qui dépasse les fonctions précédentes et achève de le légitimer : procurer l’instauration du règne de Dieu. L’auteur est très catégorique et il développe longuement cette affirmation, mais sans l’étayer par aucun texte. Le seul texte cité p. 43 (Sch.-Sch., vol. iii, p. 405) est de 1527 et ne fait pas argument. Des diverses acceptions du « règne de Dieu proposées par Zwingli (C. R., ri, 374, 17 sq.), aucune ne rentre dans ce cadre (cf. la critique de W, Kôhler, dans Zeitschrift der Savigny-Stiftung, ut supra, p. 680).

En fait, pour Zwingli, l’ordination positive de Dieu, qui est à l’origine de l’État, suffit à le légitimer ; elle fonde l’obligation où nous sommes de lui obéir en conscience (C. R., Il, 508, 11 ; iii, 884, 32 ; 881, 18). S’il faut lui donner un complément de légitimation, celui-ci est à prendre du rôle providentiel qui lui est dévolu, entendez de sa fonction d’organe de la Providence (cf. infra). D’un concours direct de l’État à l’établissement du règne de Dieu ici-bas, il ne saurait

être question. D’autant que le règne de Dieu participe à la transcendance de la justice divine (C. R., iii, 872, 28), à laquelle l’État reste foncièrement extérieur et étranger. Par opposition à la Parole (ou à l’Église), qui s’adresse à l’homme intérieur, l’autorité regarde l’homme extérieur (C. R., ii, 484, 15 sq. ; iii, 707, 1 sq.) ; elle règle proprement les relations extérieures entre les hommes ; elle statue non sur les dispositions intérieures des sujets qu’elle organise, mais seulement sur leurs actes (C. R., ii, 485, 10 ; 504, 3 ; 524, 12). Elle a pour but d’établir un certain conformisme extérieur, qui peut bien se parer du nom de droit, mais qui n’a rien à faire avec la moralité. Tout au plus l’État, en instaurant un régime tranquille et pacifique (notion augustinienne, C. R., ii, 304, 20 ; 509, 21 ; 651, 23 ; iii, 884, 3), crée-t-il les conditions qui permettent à la moralité de germer et de se développer. Mais pas plus qu’il ne peut agir sur les consciences, l’État n’a la faculté de rendre les hommes bons. Il empêche cependant les mœurs de se détériorer, en retranchant les membres coupables avant qu’ils ne contaminent les bons (C. R., ii, 334, 26. Voir aussi ibid., iv, 389, 5). De même, à l’égard de la prédication de l’Évangile, il ne peut que la favoriser par tous les moyens en son pouvoir, notamment en étendant sa protection sur les prédicateurs et en veillant à leur entretien (C. R., ii, 524, 20 ; iii, 449, 12 ; Sch.-Sch., vol. iii, p. 405). Bref, son rôle par rapport à l’établissement du royaume de Dieu est périphérique ou indirect.

2. L’État et l’ordre providentiel.

Plus importante que la distinction de ces fonctions est l’affirmation de leur rôle instrumental au regard de la Providence (C. R., ii, 335, 18 : recher unnd diener gottes ; 332, 11 ; 507, 7 et 18 ; iii, 881, 8 ; 883, 25 ; 884, 3. 16). Zwingli obéit ici à la logique de son système, comme aussi à l’inspiration qui lui vient de l’Écriture, notamment de l’Ancien Testament, et il amorce la conception réformée de l’État. C’est W. Kôhler qui le remarque : « Zwingli introduit ici une note originale qui est restée la propriété du protestantisme réformé. Lentement, et d’autant plus nettement, l’État devient entre ses mains, de mal nécessaire qu’il était, l’organe intentionnel (zweckvoll) de la volonté divine, et de ce chef sa force se décuple et son activité s’épanouit » (Die Geisleswelt Ulrich Zwinglis, p. 127). Ainsi Dieu n’a pas seulement prévu le péché et ordonné positivement le Pouvoir pour le contrecarrer (C. R., ii, 483, 24 ; 486, 18), il préside aussi à son exercice, selon le principe que tout bien produit dans l’univers procède de lui comme de sa source (C. R., ii, 329, 17).

Ce rattachement de l’État à Dieu, plus étroit que l’origine ou la finalité ne l’exige, est pour Zwingli une nécessité idéologique. Concrètement, il se traduit, comme le note ici W*. Kôhler, par un essor nouveau conféré au Pouvoir qui est et se sait l’instrument providentiel. Même chez les princes iniques, cette relation ne fait pas défaut, puisque rien n’échappe à la causalité divine (cf. C. R., ii, 311, 23 ; 501, 5). Si Dieu nous envoie des tyrans, écrit Zwingli, c’est pour notre bien, en châtiment de nos infidélités, et il faut les supporter ; il ne manquera pas en temps voulu, comme il a fait pour le Pharaon, de susciter le Moïse qui nous en délivrera (C. R., ii, 311, 25 ; 501, 6 ; iii, 881, 2 ; 884, 16. Voir infra, col. 3894 sq.). Bien plus, il semble que pour Zwingli le détenteur du pouvoir soit le sujet de motions divines spéciales d’ordre pneumatique ou prophétique : plus que la loi écrite, plus même que la conscience du juge, c’est ici la volonté du Très-Haut qui décide souverainement. L’autorité la connaît par instinct prophétique et s’y accorde (cf. C. R., iii, 884, 21 sq. : Non enim semper adparet angelica specie aut voce, qui monet ut percutiamus ; sed corda intus movet