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ZWINGLIANISME. LA THEOCRATIE ZWINGLIENNE


les décrets de sa volonté, transmis par le prophète, soient appliqués et que leur transgression soit sanctionnée par des peines. C’est précisément la fonction du magistrat de seconder l’action du prophète en faisant rentrer dans l’ordre les délinquants (Sch.-Sch. , ibid. et vol. iv, p. 16, undecimo). De la sorte, l’Évangile réformé, synthétisé dans la « double justice », maintient jusqu’au bout ses exigences. Seuls les points de vue changent avec le temps : Zwingli passe de l’objectif (considération des deux justices et de leurs objets) au subjectif (égards à la personne du prophète et du magistrat). Dans l’ensemble, d’ailleurs, la tendance zwinglienne est de passer des lois et institutions aux organes représentatifs et aux personnes mêmes, dont la qualité (vertus chrétiennes, charisme prophétique) est essentielle au bon fonctionnement de la théocratie et à sa notion même (cf. C. R, ix, 456, 32 : Constantiensis senatus, Christianus ille quidem, etc. ; 465, 2 et passim).

2. Documents littéraires de cette période.

Ces différents points sont illustrés par les écrits de cette période, notamment la Lettre à Ambrosius Blaurer (4 mai 1528 ; C. R., ix, 451 sq.) ; les Confessions de foi : Fidei ratio (1530 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 15-16) ; Christianæ fidei expositio (1531 ; ibid., p. 58-60) ; et le Prologue au Commentaire de Jérémie (Il mars 1531 ; ibid., vol. vi, p. 1 sq.).

a) Lettre à Ambrosius Blaurer. — Le premier document surtout a dérouté les critiques, et cependant il reflète exactement le régime instauré à Zurich. Zwingli y traite de l’introduction de la Réforme à Constance, et se réglant sur le précédent zurichois, il la confie à l’autorité séculière. Il faut noter d’ailleurs, et ceci prouve jusqu’à quel point Zwingli est opportuniste, que dans le même temps, s’adressant aux Églises d’Esslingen et de Walenstadt, il revendique la compétence exclusive de la communauté en cette matière ; à elle de décider de la Réforme à la pluralité des voix. C’est que, ici et là, l’appel à la communauté était pour Zwingli le meilleur gage du succès (cf. Der ander Sandbrief H. Z. an die Christen zu Esslingen (1527), Sch.-Sch., vol. ii, t. iii, p. 9 ; Instruction fur Walenstadt (1530), ibid., p. 85).

J. Kreutzer (op. cit., p. 66 sq.) s’appuie à tort sur ces deux documents pour prouver que le réformateur est resté jusqu’au bout fidèle au principe de l’autonomie de la communauté. Sans doute, mais idéalement seulement. Quand cette correspondance eut lieu, il y avait longtemps que ce principe n’était plus appliqué à Zurich, mais il valait toujours pour l’usage externe. Zwingli argue, il est vrai, de l’exemple de Zurich, où les anabaptistes ont été convaincus d’erreur au cours de plusieurs disputes (Sch.-Sch., loco primo cit.), mais ces dernières remontent aux années 1524-1525 ; dans la suite, des solutions plus brutales se sont imposées et l’autorité séculière a pris le dessus. A Constance, il en allait sensiblement de même, d’autant plus que la lettre à Blaurer laisse supposer une collusion entre éléments anabaptistes et luthériens (C. R., ix, 466, 9). Dans ces conditions, seule une action vigoureuse de l’autorité permettait au radicalisme zwinglien (abrogation des images et de la messe) de l’emporter.

Zwingli s’essaie à la justifier. II suppose constamment, il est vrai, le concours du peuple (ibid., 455, 29), du moins de la sanior pars qu’il croit acquise à la Réforme (ibid., 460, 9 ; 462, 19) ; mais, dans les circonstances actuelles, ce suffrage peut-il s’exprimer librement et sûrement ? Zwingli en doute (cf. déjà le texte du Subsidium, cité supra, col. 3873). Il range parmi les adeptes de l’ « ancienne » foi bon nombre de timides qui n’attendent qu’une intervention énergique des pouvoirs publics pour se déclarer en faveur de la

Réforme (ibid., 465, 38). À ceux-ci donc d’en prendre l’initiative. Et puisque, en toute cette question, la parole de Dieu est la pierre de touche, on le prouvera à l’aide de l’Écriture, quitte à faire subir a celle-ci certaines accommodations. C’est ainsi que dans le passage de Act., xv, 22 : Tote ë80Çe toïs ôrrrooTÔÂoiç Kod toïs TrpeaguTépois ctùv ôr ttj ÈKKXr|o-fg (cf. ibid., 456, 9), le premier terme s’applique aux prédicateurs, qui jouent le rôle prophétique que l’on sait, le second, aux conseillers civils ou municipaux de Constance (la philologie vient ici au secours de l’exégèse pour montrer le vrai sens de TrpEo-êÛTEpot), enfin le troisième s’entend de la communauté locale avec son ambivalence : Église-Cité. Zwingli estime en effet que l’Église est suffisamment consultée, quand les corporations ont émis leur avis (ibid., 457, 27. 34). C’est donc qu’il y a convertibilité entre Église et Cité. Notre argumentation est confirmée.

De ce trinôme, c’est le second terme, soit donc l’autorité civile, qui est mis le plus en vedette (ibid., 456. 32). C’est à celle-ci que Zwingli va prescrire la marche à suivre. Il cherche dans le Nouveau Testament, à défaut d’une consigne péremptoire, des précédents aux innovations rituelles qu’il préconise (abrogation de la circoncision et des observances judaïques ; surtout expulsion des vendeurs du Temple par le Christ) ; mais c’est surtout à l’Ancien Testament qu’à la suite d’une prétérition habile (ses adversaires anabaptistes ne le reconnaissent pas, ibid., 463, 28), il emprunte des témoignages. Il pense de préférence aux Ézéchias, Élie et Josias (ibid., 465, 22 ; 467, 10), et propose leur exemple au magistrat, voire au prophète : quid magistratui liceal, imo quid prophétie quoque (ibid., 465, 32). Dans ce contexte, et ceci est important, la fonction étatique prend un sens eschatologique : l’autorité séculière, en faisant œuvre réformatrice, c’est-à-dire, dans la pensée de Zwingli, en purgeant la religion et le culte des éléments adventices, agit comme interprète de la colère de Dieu et instrument de la puissance du Très-Haut, et en châtiant la réaction, elle prévient le jugement divin à son endroit (cf. ibid., 460, 10 : Flagro monendi sunt et la suite). Vue dans cette perspective, l’association de l’autorité à l’œuvre de la Réforme se comprend d’elle-même, puisque seule elle dispose de la force et des moyens de coercition nécessaires : ce n’est pas en vain qu’elle porte le glaive, se plaît à répéter Zwingli (par référence à Rom., xiii, 4) (cf. C. R., iii, 468, 33 ; 883, 31 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 58. Comp. C. R., ii, 333, 10 ; 335, 18).

Mais le plus curieux, c’est que cette partie positive de la lettre a pour envers une critique de la position luthérienne, qui achève de faire la lumière sur l’ecclésiologie zwinglienne. Le point de départ de Zwingli comme de Luther, ce fut l’invisibilité du règne de Dieu attesté en saint Jean (cf. Joa., xviii, 36) : regnum Christi non est exlernum (C. R., ix, 452, 17). Longtemps, en dépit d’Érasme, Zwingli s’est attaché à ce paradoxe que couvrait l’autorité de Luther. A présent l’expérience et la réflexion lui en ont prouvé l’inanité, et il s’écarte sur ce point encore de Luther. N’oublions pas que nous sommes en 1528, c’est-à-dire au moment où la controverse eucharistique atteint son paroxysme. Zwingli éprouve le besoin de liquider le reste d’héritage qu’il peut encore tenir de Luther. L’ecclésiologie s’aligne sur la doctrine sacramentaire. Le « règne du Christ », c’est en effet, dans sa pensée, la théocratie et celle-ci ne peut négliger de s’occuper des « choses extérieures » (culte des saints, messe) (cf. ibid., 465, 37). Sermo nobis est de externis, tum rébus, tum professionibus : celles-ci rentrent en plein dans l’objet du pouvoir séculier qui, nous l’avons indiqué, est le Pouvoir tout court en théocratie. Nous retrou-