d’État existant qui étaient, pensait-il, habilités à agir au nom de l’Église (cf. supra, col. 3872 sq.). Les récriminations de certains prouvent qu’une certaine conscience ecclésiale s’était développée, mais non point suffisamment pour faire échec à une évolution à laquelle la pression des nécessités du moment, comme aussi l’orientation politique du génie de Zwingli, devaient fatalement conduire. Aussi bien, et la pratique devait le révéler, la communauté zwinglienne manquait d’objet. Cherche-t-on à la définir comme une communauté sacramentelle, — Zwingli conçoit les sacrements comme des tests d’appartenance à la Cité tout autant qu’à l’Église, comme une sorte de « serment civique (P. Wernle) (cf. supra, col. 3813). Lui donne-t-on une fonction pastorale ou policière : protéger la vie religieuse chez les vrais croyants en excluant les indignes, — mais la Cité s’acquittera encore plus heureusement de cette fonction, comme l’histoire de l’excommunication le prouve (cf. C. R., Il, 332, 17 ; 334, 26 et supra, col. 3867). Oppose-t-on la Communauté ou Église visible à l’Église invisible, celle-ci regardant l’ « homme intérieur » et celle-là ayant pour compétence la nomination des ministres, l’organisation du culte et ce qu’on est convenu d’appeler, selon la terminologie zwinglienne, les * choses extérieures », — mais la Cité s’arrogera bientôt toutes ces tâches, et Zwingli, qui ne connaît que l’antinomie intérieur-extérieur, ne sera que trop porté à les lui concéder.
Bref, prise entre l’Église invisible ou « communauté des croyants » et la Cité terrestre, visible, la communauté zwinglienne était vouée à disparaître, ou à se fondre dans la Cité, où en revanche les relations civiques s’amenuiseraient pour s’adapter à des fonctions nouvelles. Ajoutez que, si Zwingli tient à affirmer l’autonomie de la communauté, ce n’est point, comme l’écrit J. Kreutzer, par préjugé démocratique, mais bien à raison du pneumatisme de celle-ci. Or, en tout état de cause, dans la théocratie nouvelle le pneumatisme se survit, ne fût-ce qu’en ta personne de Zwingli, qui, en sa qualité de prophète, préside aux destinées de la Cité.
b) On constate en effet dans les organes représentatifs de l’Église et de ta Cité une évolution parallèle à celle que nous venons de décrire : a. D’une part, en effet, les offices ecclésiastiques tendent à se résumer en la fonction prophétique et à se concentrer en une seule tête, Zwingli, à la fois chef d’Église et directeur inspiré de la Cité. Si naguère, sous la pression anabaptiste, les simples fidèles, auxquels le dogme nouveau du « sacerdoce des laïcs » promettait l’émancipation, avaient dû s’en remettre à des ministres spéciaux de la prédication de la parole (cf. supra, col. 3859), ceux-ci. à leur tour, tendaient à démissionner entre les mains de Zwingli, organe privilégié des communications d’en haut et désormais seul responsable de la conduite du groupe.
b. D’autre part, on assiste à une épuration qui exclut du Conseil tous les membres non pratiquants. et bientôt à l’institution du Conseil secret » (fin 1528), conseil réduit, plus maniable, qui demeure pratiquement le seul organe représentatif de la collectivité civile. S’il est vrai que le Grand Conseil agit « non pas seulement comme autorité municipale, mais comme tête de la communauté locale, comme organe exécutif de la bourgeoisie » (comme le prétend Schultze), le Conseil secret est à son tour l’émanation du Conseil des Deux-Cents. Zwingli faisant partie du Conseil secret, l’Église ri ta CM se touchent du moins pur leurs têtes, et l’unité de direction est assurée. Comme l’écrit A. Fumer, le prophète et le Conseil, l’autorité ecclésiastique et séculière se fondent en cette Institution unique du Conseil secret pour constituer une seule puissance, qui est sujet et gardien
de l’éthos théocratique. A Zwingli comme au révélateur de la volonté de Dieu appartient la primauté. Son charisme prophétique s’actualise parfaitement. Il le pousse au sommet de l’Église. Il lui met en mains la conduite du peuple entier (die Fùlirung des ganzen Volkes) » {op. cit., p. 123-124).
c) II convient d’ailleurs d’ajouter, et c’est là le troisième caractère de cette période, que l’autorité civile bénéficie, elle aussi, d’une assistance de l’Esprit. En d’autres termes, le pneumatisme, naguère réservé à l’Église, s’étend à la Cité, ou du moins à son organe représentatif, le magistrat, qui prend place désormais à côté du prophète, tous deux se partageant la responsabilité spirituelle et temporelle du groupe entier et étant en relation également immédiate avec Dieu (cf. Complanatio Icremiæ Prophètes, ProL, Sch.-Sch., vol. vi, p. 1 sq.). N’est-ce pas là encore un des traits de la théocratie que d’avoir pour mission de traduire les volontés de Dieu dans la pratique plutôt que faire respecter un ordre qui trouverait en soi-même, dans ses principes constitutifs, la loi de son fonctionnement ?
Notons bien que la théocratie nouvelle s’établit sous le signe de l’Esprit plutôt que de la Parole. Sans doute la parole de Dieu, l’Écriture, demeure la norme de la croyance et même de la législation (C. R., ix, 456, 34). Ainsi le Lévitique fournit la base de la législation matrimoniale. Cependant, dans son exercice, le pouvoir doit se régler non sur la lettre, mais sur l’esprit (ibid., 465, 15) ; moins sur l’éthique du Nouveau Testament que sur les exemples légués par les Prophètes de l’Ancien, auxquels on associe les héros du paganisme (ibid., 463, 27 sq. ; 466, 35) ; moins sur la foi que sur la charité qui, s’inspirant de ces exemples et enflammée du même zèle, accomplit à Zurich ou à Constance une œuvre semblable à celle des Rois et des Prophètes dans la théocratie d’Israël (ibid., 465, 13 ; 466, 3 ; 467, 11). Ce progrès correspond à l’évolution générale de la pensée religieuse de Zwingli qui, nous le savons, met l’accent avec un crescendo sur l’Esprit, et cherche toujours davantage son inspiration dans l’Ancien Testament plutôt que dans le Sermon sur la montagne (ou la morale érasmienne, bientôt confisquée à leur profit par les anabaptistes).
On voit désormais comment se résout la tension entre Église et Cité : l’une et l’autre tendent à se fondre en une institution ou société unique, soit à la base par identité de leurs membres respectifs, soit plus encore au sommet dans leurs organes représentatifs, le Conseil secret étant organe d’Église aussi bien que d’État, avec ce correctif que, dans ce double rapport, il est assisté par le prophète, Zwingli ; et finalement, pour couronner l’édifice. l’Esprit venant se poser sur ces têtes et assurer la rectitude des décisions et des sanctions. V. Kôhler parle de « bibliocratie » à propos de la théocratie zwinglienne ; c’est plutôt pneumatocratie » qu’il faudrait dire.
S’il y a à travers tout ce développement une constante, elle réside dans la façon dont Zwingli conçoit le binôme : magistral, prophétie. — Il disait jadis : parole, autorité (cf. Von gôttlicher und menschlicher Gerechligkeil, C. ]<., Il, 523, 20). — Ces deux termes correspondent également à une ordination positive de Dieu : niais le premier concerne l’ordre du monde en soi : le prophète en effet est l’organe de la Providence dans le gouvernement du monde ; interprète de la sagesse et de la volonté suprêmes, il transmet aux hommes les conseils du Tout Puissant (Sch.-Sch., vol. vi, t. i. p. 1 sq.). En revanche, le second isc la nature corrompue par le péché : c’est là en effet une idée chère à Zwingli que la chute de l’homme n’a pas pris Dieu au dépourvu i non lement il l’a prévue et v a porté remède (par l’Incarnai ion), mais il veille toujours actuellement à ce que