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3873 ZWINGLIANISME. L'ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3874

a) Analyse du texte du « Subsidium ». — Ce texte fameux, qui marque le tournant de l'évolution, a un ton d’apologie. Et sans doute les arguments ne manquent pas à Zwingli pour légitimer la dévolution des pouvoirs de la Kirchgemeinde au Conseil. Car c’est bien de cela qu’il s’agit (reiici, ibid., 479, 11 ; permittal, ibid., 21 ; ecclesiæ totius nomine, 480, 22, cf. ibid., 12 ; ecclesiæ vice, 479, 12 ; 480, 29). Il est plus difficile de discerner quels sont les motifs profonds qui ont déterminé Zwingli à acquiescer à cette mesure qui. sans doute, de la part de tout autre, aurait été interprétée comme une renonciation positive, une capitulation. En fait, il se peut que Zwingli ait agi ici par simple raison tactique, adoptant la ligne de moindre résistance ; il le suggère lui-même. L'Église elle-même, dit-il, ne supportera pas que l’on vienne contrarier avec des arguties la marche heureuse de l'Évangile ; aussi bien l’essentiel est-il d’arriver à un règlement honorable et qui « assure la paix chrétienne » (ibid., 480, 4 sq., comp. ibid., 17).

Il avait aussi, et ceci est plus sérieux, de fortes raisons de douter de l’appui de la collectivité, fortement travaillée par la propagande anabaptiste (cf. ibid., 479, 17 : haud tuto multitudini committi posse quædam ; 480, 10 sq.). Son ralliement était certain, et la mesure pouvait n’avoir qu’un caractère provisoire, mais à ce stade (rébus adhuc teneris), il était préférable de remettre la cause de la Réforme entre les mains d’une élite, dont du moins on était sûr. Nous sommes ici dans la logique de la politique zwinglienne, que l'évolution des dernières années fait encore davantage ressortir. C’est donc bien à tort qu’on a parfois représenté Zwingli comme démocrate au sens moderne du mot (ci. infra, col. 3892). Zwingli insiste encore sur le fait que la décision de cette fraction qu’il a dans la main ne va pas sans le concours, du moins tacite, du peuple Adèle (ibid., 480, 1 sq.) ; que le public est mis au courant des questions traitées en Conseil par Zwingli lui-même, qui a soin de former auparavant sa conscience sur ces points (ibid., 20. Comp. C. R., iii, 131, 1). il ajoute que cette dérogation, qui ne vaut d’ailleurs que pour la ville — dans les campagnes la décision concernant les réformes cultuelles revient normalement aux Églises (C. R., iv, 480, 15) — est conditionnée par la docilité dont fait preuve le Conseil lui-même à l'égard de la parole de Dieu, sur laquelle veillent Zwingli et les prédicateurs. Toute infidélité sera immédiatement flétrie (ibid., 479, 22). Finalement, la foi de Zwingli en la Providence qui assiste d’une manière particulière son Église reste sauve : Non quod vcreamur Deum optimum maximum defuturum, quo minus dirigat Ecclesiam suam (ibid., 479, 18). C’est dire que, quelles que soient les compromissions auxquelles certaines nécessités tactiques ou politiques le poussent dans l’intérêt même de la Réforme, le spiritualisme mystique demeure à la cime de l'âme de Zwingli.

On peut se demander encore : à quel titre Zwingli attribue-t-il ici au Conseil une compétence en matière religieuse ? Les Deux-Cents, Zwingli l’insinue, agissent sans doute par agrément de la communauté locale et en son nom, mais ils se meuvent aussi dans la ligne de leur pouvoir propre (cf. ibid., 480, 6 : Ut pax christiana servetur). Une certaine confusion, motivée sans doute par une équivoque réelle, règne ici dans l’esprit de Zwingli, qui cite comme étant ad rem le précédent des Églises d’Antioche déléguant Paul et Barnabe à Jérusalem (ibid., 480, 8), comme si le Conseil zurichois faisait pendant à une instaure ecclésiastique. On entrevoit déjà la possibilité d’une promotion qui, dans un cadre complètement unifié, donnera au Conseil une compétence élargie en matière de discipline et de culte.

Par ailleurs, il y a ici sous-jacent un jugement doctrinal porté sur le genre des affaires qui font l’objet de cette commission : elles concernent les choses extérieures (ibid., 479, 21 : iudicium externarum rerum ; cꝟ. 480, 22 : quæ usus postularel). Entendez : elles n’intéressent pas l’essence de la religion et, partant, elles peuvent être dévolues sans grand dommage à l’autorité séculière. Zwingli obéit ici sans nul doute, non moins qu'à la pression des événements, à la logique interne de son système. Enfin, remarque finale, qui achève d’expliquer le développement, les Deux-Cents n’agissent pas seuls. Zwingli dit bien : diacosii cum verbi ministris (ibid., 480, 20). C’est là l’organe total de cette théocratie qu’il est en voie d’instaurer à Zurich. Avant de nous arrêter à cette dernière phase de l’histoire zurichoise, qui marque l'épanouissement de la pensée zwinglienne sur le rapport des deux sociétés, mentionnons rapidement les interprétations auxquelles le texte du Subsidium a donné lieu.

b) Interprétations modernes du texte du t Subsidium ». — a. J. Kreutzer (op. cit., p. 65) insiste à juste titre sur le fait que le Conseil agit ici, non en son nom propre, mais au nom de l'Église (Ecclesiæ, non suo nomine) ; ce qui suppose implicitement la distinction d’un double for. Il faut donc admettre un transfert de compétence de l'Église à l’autorité civile : c’est là le titre juridique qui légitime l’intervention de celle-ci en matière cultuelle. (Voir de même W. Kôhler, Das Buch der Reformation Huldrych Zwinglis, 1926, p. 156.)

A. Farner raisonne tout autrement (op. cit., p. 104 ; cf. p. 185-186). Il pose en principe la distinction d’une double juridiction civile : directe et indirecte. L’autorité agit en vertu de sa compétence propre quridiction directe ou immédiate), quand elle réprime l’hérésie et veille à l’uniformité de la doctrine et du culte ; les dissensions religieuses nuisent en effet au bon ordre et à la paix publique. En revanche, s’agit-il de réformes du genre de celles préconisées ici (abrogation du culte des saints et de la messe), elle s’ingère dans un domaine qui n’est pas le sien ; et dès lors elle a besoin d’un autre titre fondant sa juridiction (indirecte ou médiate). Farner applique ici à Zwingli la théorie du Notrecht, que K. Millier et Holl ont fait valoir à propos de Luther. L’autorité intervient pour régler une question qui est du ressort ecclésiastique, quand l'Église elle-même se trouve dans une situation difficile et ne peut rien pour elle-même. Elle agit ainsi par devoir de conscience (aus Liebespflicht), au double titre de membre de l'Église et de membre éminent (preecipuum membrum Ecclesiœ). Si sa dignité l’invite à cette démarche, elle se laisse néanmoins guider dans l’exécution par la loi d'Église et ne fait pas usage de la force. L’autorité agit donc ici comme pouvoir chrétien (la qualité de chrétien est la source même de ce pouvoir dérivé). La Réforme, en prônant le sacerdoce universel des laïcs, est venue renforcer ce titre, dont par ailleurs la reconnaissance remonte au Moyen Age, voire lui donner une valeur et un sens nouveaux. A. Farner croit trouver dans le passage du Subsidium une illustration de cette théorie. Mais, comme l’a montré péremptoirement W. Kôhler (Zeilschrift der SavignyStiftung fur Rechtsgeschichle, U, Kan. Abt., xx, 1931, p. 681-682), ce texte n’est pas passible d’une telle interprétation. Zwingli critiquera plus tard l’attitude de Luther à l'égard de son prince d’une telle manière qu’on peut se demander s’il a même compris l’idée du preecipuum membrum Ecclesiæ (cf. (.'. R.. ix. 460, 17).

b. À notre jugement, au niveau du Subsidium (août 1525), Lwingli est à la recherche d’une légitimaI mu théorique de la compétence de l'Étal en ces matières plutôt qu’il n’en possède une quelconque. Un fait est certain, c’est qu’il attribue à l’autorité civile le