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3867 ZWINGLIANISME. L’ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3868

chrétien (C. R., iii, 867, 12). (A l’inverse, les anabaptistes détournaient leurs adeptes d’accepter une fonction dans l’État.) C’est dire que Zwingli déplace l’accent des institutions aux personnes.

Par ailleurs, alors que ses adversaires s’ingéniaient à élargir le fossé qui sépare les deux sociétés, il s’applique à le restreindre : « En quoi la Cité diffère-t-elle de l’Église ? interroge-t-il. J’entends, quant aux usages et relations extérieures, car quant à l’esprit (intérieur qui l’anime), je n’ignore pas que l’Église se définit par une relation privilégiée au Christ : pour en être membre, il faut mettre sa confiance dans le Christ, alors que, pour être membre de la Cité, il suffit d’être un citoyen fidèle, à part de toute croyance au Christ » (C. R., iii, 868, 15). Pour le reste, les exigences de la Cité ne le cèdent pas à celles de l’Église, et l’on voit quelle haute idée Zwingli se fait de la vie civique : elle réclame de ceux qui y prennent part qu’ils renoncent à leur bien propre en faveur de l’intérêt général, lient leur sort à celui de la communauté et, éventuellement, contribuent de leurs biens à la prospérité commune, qu’ils pratiquent les vertus de désintéressement, modestie, concorde. Or tout cela a sa contre-partie dans l’Église. Néanmoins, et c’est l’autre aspect de la relation : « Quant à ce qui concerne l’homme intérieur, la distance est considérable » (ibid., 868, 17).

Il y a dans la Cité un élément de coercition qui n’existe pas dans l’Église, dont les membres obéissent au dynamisme de l’amour : c’est dire qu’ils sont portés par l’Esprit du Christ, et donc qu’ils se dévouent spontanément et sans feinte au bien de leurs frères. Mais qu’on n’en conclue pas à la dissociation de l’Église et de la Cité : car il y a là un ferment qui agit puissamment sur la vie sociale ou étatique elle-même ; en transformant les individus, il rend possible l’application des lois. La Cité idéale, c’est donc celle qui repose sur la foi à l’Évangile et l’amour (ibid., 868, 29).

5. La question de l’excommunication et tes deux fors.

— Finalement la question de Y excommunication, question mixte par excellence, achève de montrer comment Zwingli entend que se réalise de façon concrète la répartition de compétence entre les deux Pouvoirs (C. R., i, 380 sq. ; ii, 276 sq. Cf. E. Egli, Zivinglis Stellung zum Kirchenbann durch die St. Galler, dans Analecta Reformatoria, i, 1899, p. 99-121).

L’excommunication de Luther (cf. C. R., vii, 343, 33) et plus encore, s’il faut l’en croire, l’abus que certains prélats faisaient de cette censure contre leurs créanciers, incitèrent Zwingli à porter son attention de ce côté. Par réaction contre le droit ecclésiastique existant, il retire le pouvoir d’excommunication à la hiérarchie et l’attribue à la communauté avec le curé ; il entend aussi lui garder un caractère strictement religieux et pastoral ; par ailleurs, il s’en tient à la procédure décrite dans Matth., xviii, 6-9, texte qui, ici, fait loi. L’excommunication vise exclusivement les pécheurs publics et scandaleux (Auslegung der Schlussreden, art. 32, C. R., ii, 286). Dans la suite, Zwingli serrera de plus près la nature de l’excommunication par opposition aux anabaptistes (cf. C. R., v, 727, 7 ; Sch.-Sch., vol. iii, p. 390 sq.). Ceux-ci s’en servaient comme d’un moyen de discrimination pour rassembler les membres de l’Église idéale (Rotenzeichen ) ; à l’inverse, Zwingli la conçoit comme une mesure disciplinaire à laquelle l’Église a recours, pour prévenir tout danger de contagion morale, contre ceux de ses membres dont on ne peut espérer l’amendement ; encore a-t-elle sa contre-partie dans la réintégration future en cas de conversion.

Dans le Commentaire (C. R., iii, 807, 25), Zwingli met l’excommunication en relation avec la cène, et les articles publiés à la veille de l’abrogation de la messe

à Zurich (Ratschlag betrefjend Ausschliessung oom Abendmahl [iïr Ehebrecher, Wucherer, etc., 12 avril 1525 ; C. R., iv, 23 sq.) ont été composés comme appendice au rituel nouveau de la cène (Aktion oder Brauch des Nachtmahls, C. R., iv, 1 sq.). L’excommunication vient sanctionner l’aspect social et moralisateur de la cène, signe que se donnent les membres de l’Église de leur communion mutuelle (cf. supra col. 3826). Ces dispositions ne furent pas adoptées par le Conseil, sans doute à raison des effets civils qu’elles comportaient.

Cependant, quelques mois plus tard, un édit concernant le mariage (cf. Ziircherische Ehegerichtsordnung, 10 mai 1525, C. R., iv, 176 sq.) prévoit l’excommunication en châtiment de l’adultère public et de la prostitution : il appartient aux Pfarrer, comme à ceux « à qui la parole de Dieu et la surveillance morale sont confiées », de la porter, de concert avec la communauté (ibid., 186, 26). Cette clause correspond à ce que nous savons par ailleurs de l’importance accrue du ministère dans les communautés zwingliennes (cf. supra, col. 3859). À son tour, l’autorité civile inflige la peine corporelle et autres pénalités (ibid., 187, 1). L’année suivante, un nouvel édit matrimonial (21 mars 1526) reconnaît la compétence exclusive du Conseil pour châtier l’adultère public, sans qu’il soit question d’excommunication ; les Pfarrer n’interviennent que dans le cas de présomption, le suspect étant l’objet d’une monition de deux juges laïcs assistés du Pfarrer avant d’être déféré par le tribunal compétent au Grand Conseil.

Ainsi Zwingli a fait la théorie de l’excommunication plutôt qu’il ne l’a appliquée. L’évolution historique, qui allait en sens contraire, l’en empêcha. Autour de 1525, la communauté voit réduire ses attributions au bénéfice du Conseil. C’est ce passage qu’il s’agit maintenant d’expliquer et de justifier. Concluons donc cette première partie.

Conclusion. Incidences sur la politique du dualisme philosophique de Zwingli. — Les œuvres littéraires de cette première période, anticatholique, nous donnent de la relation Église-État la représentation suivante :

a) La Parole, inséparable d’ailleurs de l’Esprit, est pour Zwingli la valeur religieuse essentielle, et sa souveraineté s’affirme, encore que de façon différente, qu’il s’agisse de la communauté ecclésiastique ou de la société civile : là, par la prédication pure et simple, et c’est ce qui fait la supériorité de l’Église comme institution ; ici, par la conformité des lois, voire même de l’exemple et de la personnalité du législateur, à la parole même et à l’idéal évangélique. Par ailleurs, Zwingli est attaché au principe de l’autonomie des communautés en ce qui concerne le spirituel : doctrine, administration des sacrements, discipline allant jusqu’à l’excommunication ; mais aussi il affirme avec non moins d’emphase l’indépendance du pouvoir temporel, dont i ! est porté d’ailleurs à étendre la compétence, ne serait-ce que pour des raisons tactiques. La lutte avec Rome fait que l’autorité locale hérite une part des prérogatives qui appartenaient naguère au pouvoir ecclésiastique, diocésain ou central. A Zurich même, Zwingli ne manque pas de s’appuyer sur le Conseil pour introduire et mener à bien la Réforme.

b) Mais ce qu’il y a lieu surtout de retenir de cette période, ce sont les termes mêmes dont use Zwingli pour décrire la sphère de compétence de l’un et l’autre pouvoir : ce sont, d’une part, l’homme intérieur ; de l’autre, l’homme extérieur, les choses extérieures, le bien temporel. Cette opposition s’inscrit dans le système zwinglien, fondé sur le contraste de l’intérieur et de l’extérieur ; en même temps, elle prend dans celui-ci tout son relief. On sait en effet que,