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3863 ZWINGLIANISME. L'ÉGLISE ET LA SOCIÉTÉ TEMPORELLE 3864

de revenir à l’idée d’une communauté qui avait toujours manqué des organes vitaux indispensables, à consolider la Cité chrétienne, à la doter d’institutions chrétiennes et à l’imprégner d’un esprit nouveau. Ainsi est née la théocratie pneumatique, création originale où le réalisme politique, voire le rationalisme zwinglien s’unissent au spiritualisme mystique.

Ce sont ces différentes phases que nous allons maintenant brièvement repasser, cherchant, à l’abri de toute théorie, à mettre les documents littéraires au contact des faits et à interpréter les uns à la lumière des autres. Pour l'étude comparée des réformateurs sur ce point, on consultera : Gustav von SchulthessRechberg, Luther, Zwingli und Calvin in ihren Ansichten ûber das Verhûltnis von Staat und Kirche, Diss., Zurich, 1909.

1° La souveraineté de la Parole et la coordination des deux Pouvoirs (1823-1525). — 1. Comment Zwingli entend la distinction et la coordination des deux Pouvoirs. — a) Dans les articles 34 à 43 de V Auslegung der Schlussreden (14 juillet 1523 ; C. R., ii, 298 sq.), Zwingli traite de la compétence des deux Pouvoirs, ecclésiastique et civil. Il ramène le premier à un rôle purement évangélique et pastoral (art. 34-36), ce qui le conduit à relever le second (art. 37-40), tout en marquant ses limites (art. 41-43). Zwingli refuse aux ecclésiastiques toute autorité proprement dite (Obrigkeit), cela à un triple titre : au nom de l'Écriture, de la paix et de l’ordre public qui ne s’accommode pas de la concurrence des deux Pouvoirs, enfin des abus qui accompagnent facilement l’usage du pouvoir de la part des gens d'Église (C. R., ii, 303, 17 sq.). Il leur refuse également la compétence judiciaire (ibid., 307, 5 ; 308, 3 ; 310, 6). Les causes jadis évoquées à Rome doivent être jugées devant le tribunal séculier (cf. C. R., iii, 457, 25).

Dans toute cette partie négative, Zwingli ne distingue pas les objets du pouvoir qu’il critique ; il a en face de lui une Église, dont les dignitaires, évêques, abbés, allient souvent à leur titre religieux des prérogatives temporelles ; et sans nul souci de faire les partages nécessaires, il élimine purement et simplement toute juridiction ecclésiastique. Grâce à cette simplification outrancière, qui s’explique en partie comme une réaction contre l’enchevêtrement des deux juridictions, légué par le Moyen Age, Zwingli ne considérera plus désormais comme autorité que le pouvoir civil ou magistrat (cf. C. R., iii, 874, 7 : Loquor autem perpetuo de magistratu, quem nos laicum vocamus ; ibid., 877, 4 : Inuenimus autem, non ut isti dicunt, sacerdotalem et laicalem esse magislralum, sed unum tantum). Nous verrons que, selon sa conception, le pouvoir est synonyme de pouvoir de coercition, et donc incompatible avec l’esprit évangélique. En outre, tout pouvoir vient de Dieu et est exercé en gérance ; la prétention des ecclésiastiques est interprétée comme une usurpation, un retour à la justilia operum (cf. C. R., ii, 313, 8).

b) En revanche, Zwingli entend ramener la fonction ecclésiastique à sa pure essence, qui est d’enseigner (C. R., ii, 308, 7). Nous le savions déjà, mais l’intérêt de cette section, c’est de dégager le rôle de l'Évangile, et partant de ses prédicateurs, dans la constitution et le gouvernement des États. « Ils doivent bien enseigner, afin que partout on se comporte selon le droit et la justice ; mais non point pour autant s'ériger euxmêmes en juges » (ibid., 308, 8). Les ministres de l'Évangile ont aussi pour mission et pour devoir de prier pour l’autorité, afin qu’une vie paisible et tranquille nous soit assurée (cf. I Tim., ii, 1 ; ibid., 313, 6) ; et Zwingli en donne lui-même l’exemple en une fort belle prière qui, avant de concerner les princes, demande à Dieu de dignes prédicateurs de sa parole : « Donne, ô Dieu, à ton pauvre peuple de bons pasteurs et prédicateurs de la parole de Dieu, afin que les princes et leur peuple apprennent à connaître à ta parole ta volonté, et que de la sorte disparaisse toute hostilité et querelle, et que ton nom soit sanctifié et loué par tout le monde » (ibid., 342, 7).

Ainsi les ministres de l'Église ont pour rôle d’informer, par la prédication de la parole, la vie, non seulement des individus et des communautés, mais des peuples. Du fait que pour Zwingli la morale étatique est en étroit rapport avec l'Évangile, on peut dire que, si le réformateur dépouille l’autorité ecclésiastique d’une part de ses attributions légitimes, il n’entend pas pour autant la rabaisser, disons même qu’il lui garde en tout état de cause la priorité. Sa relation immédiate à la parole de Dieu, règle suprême de l'État, la lui assure. Par ailleurs, s’il écarte toute juridiction ecclésiastique proprement dite, il maintient néanmoins aux pasteurs le droit d’exclure les indignes de la communauté (cf. infra : excommunication), et plus généralement de veiller au comportement moral de ses membres (cf. C. R., iii, 412, 29), comme aussi et par extension au bien de la Cité (ibid., ii, 313, 11). Il leur reconnaît donc un pouvoir pastoral (C. R., iii, 407, 16).

c) En revanche, le pouvoir civil se doit d’abord, et c’est son principal devoir à l'égard de l'Église, de favoriser la prédication de l'Évangile (C. R., ii, 330, 21). Zwingli le lui demande, non pas tant pour le bien de l'Église — car il est persuadé que, quelle que soit l’attitude des gouvernants, la parole de Dieu l’emportera et se frayera un chemin vers les cœurs (ibid., 347, 12 ; iii, 450, 1 ; 460, 7 ; 462, 30 ; 466, 24 ; 467, 3) — que dans son intérêt propre. Lois et jugements ne valent, en effet, que par leur conformité à la parole de Dieu, et l’autorité n’a droit d’exiger l’obéissance des sujets qu'à raison et dans la mesure de cette rectitude essentielle (C. R., ii, 320, 8 sq.). Il y a donc, de la part des princes persécuteurs de l'Évangile, un véritable abus de pouvoir, qui leur vaut le titre de tyrans — Zwingli détourne le mot de sa signification antique pour l’appliquer proprement au parti des adversaires de l'Évangile (C. R., iii, 882, 16). Disons mieux : ce faisant, ils sortent des limites de leur pouvoir, et dès lors ils sont voués, sinon à la destitution de la part de leurs sujets, du moins au jugement et à l’intervention souveraine de Dieu (C. R., ii, 343, 22 ; cf. infra, col. 3894 sq.). Cherchant à les gagner à la cause de l'Évangile, Zwingli les met devant l’alternative suivante : ou ils embrasseront cette cause et ils assureront, avec la fidélité et le bien-être de leurs sujets, la solidité et la prospérité de leur règne, ou ils la combattront, et la futilité de leurs efforts tournera à leur propre châtiment (C. R., ii, 304, 20 ; 322, 13 ; 331, 8 ; 347, 3 ; iii, 466-468).

d) Zwingli conçoit la fonction étatique comme nettement distincte de la fonction ecclésiastique ou religieuse (cf. C. -R., iv, 404, 9) et il lui interdit toute ingérence dans le domaine de la prédication proprement dite. Qu’elle laisse prêcher librement l'Évangile, celui-ci suivra son cours. Et cependant, dans le débat qui met aux prises évangéliques et catholiques, Zwingli est enclin à recourir à l’arbitrage de la puissance séculière jugeant d’après l'Évangile (C. R., ii, 323, 5) ; en outre, il attribue à celle-ci une certaine responsabilité à l'égard du bien total du Corps du Christ (ibid., ii, 324, 10), en ceci que sa fonction propre, qui consiste à protéger les bons et à sévir contre les méchants, comporte l’exclusion de certains membres de cette société qui est indivisiblement Église et État. La pensée de Zwingli se meut ici dans le cadre traditionnel du Corpus christianum ou chrétienté (cf. C. R., ii, 308, 4). En vertu de l’inclusion réciproque