Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1164

Cette page n’a pas encore été corrigée
3857
3858
ZWINGLIANISME. LE MINISTÈRE


gli lui-même, prend-il des allures de prophète. Il a une mission à remplir à l’égard, non seulement du peuple chrétien, mais des grands de ce monde, et cette mission est décrite dans les termes de Jer., i, 9 : favorable aux entreprises bonnes, il est impitoyable pour le mal (C. R., iii, 23, 6 ; iv, 394, 5 sq.). Il est remarquable que le regard de Zwingli, dans cette instruction pastorale même, porte au delà de l’Église : le pasteur chrétien est responsable du bien social de la communauté où la Providence l’a placé. C’est à ce titre qu’il s’arroge le droit de reprendre les gouvernants. « De même que chez les Spartiates on voyait les éphores, chez les Romains les tribuns, et en bien des villes allemandes aujourd’hui encore on voit les chefs des corporations s’opposer de plein droit au détenteur de l’autorité dans le cas où il abuse de son pouvoir, de même Dieu a disposé au milieu de son peuple ses fonctionnaires attitrés, les pasteurs, qui ont pour mission de veiller sur lui en tout temps : car, selon la volonté de Dieu, il n’est personne, si élevé en dignité qu’il soit, à qui l’on ne puisse (et doive) dire son fait. Et encore que celui qui en est officiellement chargé se dérobe parfois, par fausseté ou crainte, à son devoir, le prophète, lui, ne doit pas dormir » (C. R., iii, 36, 7). Entendez : il doit intervenir et assumer un rôle qui, de droit, reviendrait aux rouages administratifs constitués, mais qui éventuellement lui est dévolu. Il s’en acquittera, mû sans doute par une inspiration supérieure et avec un élan prophétique ; il n’en est pas moins vrai que par ce biais le pasteur ou prophète se voit appelé à contrôler la marche des affaires publiques. C’est par anticipation la légitimation du rôle que Zwingli jouera à Zurich.

2° Organisation du ministère dans les communautés zwingliennes. — Dans ce traité, Zwingli s’adresse à des pasteurs en place ; il se préoccupe de leur infuser un esprit nouveau plutôt que d’organiser l’Église et de créer des cadres. Les anabaptistes l’obligèrent à tourner son attention de ce côté ; d’où le second opuscule : Von dem Predigtamt. Eux-mêmes ne connaissaient qu’un ministère de type prophétique itinérant ; passant d’une communauté à l’autre, ils prenaient subitement la parole dans les assemblées, se donnant pour inspirés par l’Esprit, et ils y semaient le désordre (C. R., iv, 420, 3 sq. ; cf. E. H. Correll, Das Scluueizerische Tâu/er-Mennonitentum, Tûbingen, 1925). Zwingli était assez enclin à laisser à l’inspiration privée une certaine liberté dans les réunions de fidèles, d’après la leçon de I Cor., xiv, 26 sq., commentée ici (C. R., iv, 394, 22 sq.) et qui illustrait pour lui la communauté pneumatique en acte (cf. supra, col. 3849). Cependant, par suite de l’abus que les anabaptistes faisaient de ce principe, il fut forcé d’en tempérer singulièrement l’application et, après avoir détruit la hiérarchie catholique, d’instaurer dans ses Églises un double office comprenant pastoral et magistère.

Il fallait à l’institution un fondement scripturaire ; Zwingli le trouve dans Eph., iv, 11-14 (C. R., iv, 390, 5). Ce texte, d’allure mystique, correspond à la structure de l’Église telle que Zwingli l’envisage (Corps du Christ). S’il laisse de côté le ministère plus ordinaire des presbytres ou anciens, pour lequel Zwingli lui-même n’a aucune considération (cf. infra), il énumère un certain nombre d’offices distincts, ce qui permet de sortir de l’espèce d’anonymat attaché au mot de Pasteur, et il rattache ces offices à une institution divine. L’accent est à mettre en tête : * Il a établi dans son Église » : autant dire que personne ne peut s’arroger l’office d’apôtre, à moins d’avoir été envoyé par Dieu (C. R., iv, 427, 19), ni celui de prophète et de docteur, sans en avoir reçu mandat de la communauté (ibid., 428, 34). Celle-ci ne fait d’ailleurs que reconnaître le charisme ou l’appel de Dieu (ibid.,

421, 19 ; 426, 7 ; 431, 22). Il semble donc que, s’il a écarté l’idée d’un ordre proprement dit fondé sur le caractère (notion catholique) (cf. C. R., ii, 438, 61° article ; iii, 824, 8, et supra, col. 3819), Zwingli ne s’est pas pour autant rallié aux vues extrêmes d’un ministère purement pneumatique (anabaptistes ; calvinisme puritain). Sans doute, le ministre de l’Église zwinglienne est doué d’un charisme, et sa mission vient directement de Dieu, suscitée par l’Esprit même, qui l’envoie annoncer la parole et dire la vérité aux puissants comme au peuple (cf. Der Hirt) ; mais son office même le dépasse ; grandeur impersonnelle, il se rattache à l’institution du Christ (cf. A. Farner, op. cit., p. 21) ; en outre, il requiert une certaine investiture de la communauté.

Quant à l’assimilation des termes employés par l’Apôtre aux offices ou fonctions en usage dans les Églises réformées, elle ne va pas, bien entendu, sans nombre d’accommodations et d’entorses. Il est clair cependant que pour Zwingli le précédent apostolique fait loi en matière institutionnelle. — Les apôtres sont hors rang ; missionnaires « sans moyens ni réconfort , ils sont envoyés aux contrées païennes. Leur mention permet à Zwingli de se débarrasser des prédicants anabaptistes. Ils se prétendent apôtres : qu’ils aillent donc évangéliser les païens (C. R., iv, 428, 25). Prophètes, évangélistes et pasteurs, ce sont là, pour notre auteur, autant de synonymes de l’office qu’il désigne par ailleurs du nom d’évêque, de curé ou encore de veilleur (Bischoj, Pfarrer, Wûchteraml) (cf. C. R., i, 231, 22 ; iv, 398, 1). Ce nom de Wâchler (ou d’Aufseher) est retenu et sera employé de préférence par Zwingli (cf. C. R., iv, 399, 2 ; 416, 9 ; 430, 1 ; v, 482, 16, etc.), sans doute à raison de ses résonances prophétiques (A. T.). Il suggère que les détenteurs de la charge pastorale sont avant tout gardiens de la discipline des communautés, et ont en outre une fonction sociale d’ « avertisseurs » à remplir à l’égard de la Cité.

Mais, dans l’économie zwinglienne, ce n’est là qu’un aspect du ministère. L’autre, non moins essentiel, consiste dans l’explication de l’Écriture, qui, aux termes de l’énumération paulinienne, serait le fait des prophètes ou des docteurs (C. R., iv, 398, 3 ; 416, 29). Cette fonction comporte la connaissance des langues, le don par excellence au jugement de Zwingli ; encore que dépouillé du caractère pneumatique qu’il revêt dans l’Écriture, il est mis en ligne avec le charisme dont il est question I Cor., xiv, 5 (cf. ibid., 417, 15 sq.) : « Je désire que vous parliez toutes les langues » ; Zwingli glose : de préférence l’hébreu (ibid., 418, 19). On lira ici (C. R., iv, 417-418), à l’adresse des anabaptistes (cf. Baur, Zwinglis Théologie, ii, p. 142), une belle apologie du rôle de la linguistique dans l’interprétation de l’Écriture, suggérée d’ailleurs par l’humanisme, et dont l’optimisme ne laisse pas de surprendre un peu. Zwingli donne à entendre que l’Écriture n’a plus de secrets pour qui a appris la langue originale (C. R., iv, 418, 14). Finalement, on le voit, le ministère comporte pour lui une triple habilitation : charisme, mission et formation appropriée.

Zwingli et le sacerdoce des laïcs.

Mais que

devient avec tout cela le sacerdoce des laïcs » (cf. C. R., i, 377, 1) et Hubmaier n’avait-il pas raison quand, avec une pointe d’ironie, il reprochait.’i Zwingli d’instaurer le règne des linguistes à la place de celui des t papistes  ? (Cf. Hubmaier, Von dem christlichen Tauf der Gldubigen, ch. vi : Oder wir mussten fiiran aber al weg warten ufj die, zùngtcr (jeu de mots sur le nom de Zwingli), wie wir bissher haben mussen ufj den baptt und concilien warlen. Cité C. R., iv, 601, n. 8.) Zwingli s’emploie à sauver le principe unlversaliste, pierre angulaire de la Réforme,