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    1. ZWINGLIANISME##


ZWINGLIANISME. NOTION D’ÉGLISE

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décide, lie ou délie. Tout cela apparaît comme un corollaire du concept d’Église pneumatique (universalité des croyants) et existe plutôt sur le papier que dans la réalité des faits : « Les peculiares Ecclesiæ de Zwingli sont pensées concrètement, comme suites de son concept d’Église, mais elles ne sont pas encore douées d’une vie réelle » (W. Kôhler, dans C. R., m, 235). Les faits en décideront autrement : l’Église pneumatique se muera ou s’enfermera dans le noyau des prédestinés, constituant comme le cercle intérieur d’une Église empirique, dans laquelle viennent prendre place les communautés singulières. L’Antibolon voit émerger cette notion d’Église empirique ; le rattachement des Églises particulières se fera subséquemment.

Mais le développement ne s’arrêtera pas là. Loin de vivre d’une vie propre, les communautés locales perdront de plus en plus leur autonomie aux dépens de la Cité. A Zurich notamment, l’Église locale est absorbée par la Cité, qui simultanément devient théocratie (cf. infra, col. 3876 sq.). Sans doute Zwingli continue d’affirmer, à rencontre des anabaptistes, l’existence de l’Église visible qui est devenue pour lui une évidence de foi ; mais désormais les communautés qui forment son substrat s’inscrivent dans le cadre de la Cité et en subissent la loi. À cette évolution, la faiblesse de l’ecclésiologie zwinglienne provenant de son dualisme latent n’a pas peu contribué. Nous obtenons ici la contre-épreuve de la vérité que nous avancions plus haut. Si la communauté locale avait jamais été Y incorporation de l’Église invisible (cf. A. Farner : Jede Gemeinde ist die Leibwerdung der wahren Kirche ; op. cit., p. 12), elle n’eût pas été aussi facilement intégrée à la Cité. Parce qu’elle n’avait qu’une existence falotte, suspendue entre Église mystique et Cité terrestre, elle a finalement cédé — non toutefois sans quelque résistance — au processus d’assimilation ( Gleichstellung). Il ne restera donc finalement que deux termes entre lesquels la scission sera complète : société des élus et cité théocratique. Mais revenons à Y Antibolon.

3. Nouvelle notion de l’Église : l’Église empirique. — Cet ouvrage ne connaît pas seulement l’Église mystique et les communautés pneumatiques. Il fait une place à l’Église empirique. C’est même par la considération de celle-ci qu’il prélude. Notons-le : cette notion est imposée à Zwingli par la lutte contre les anabaptistes. Ceux-ci ne visaient à rien moins qu’à « noyauter » les communautés zwingliennes et à les convertir en sectes ou communautés de « parfaits » (cf. L. von Murait, Glaube und Lehre der Schweizerischen W iedertaufer in der Reformationszeit, 101. Neujahrsblatt zum Besten des Waisenhauses in Zurich, p. 14). Ce n’était pas assez de recourir contre eux à une conception plus réaliste de la sainteté exigible ici-bas ; il fallait encore montrer que l’Église s’ouvre aux bons et aux méchants, encore que les uns et les autres n’aient pas des titres égaux à en faire partie.

a) Selon un procédé qui lui est familier, Zwingli en appelle au sens original du mot Église. En hébreu, il ne signifie pas autre chose que : die Gemeinde, die Versammlung, donc une grandeur empirique (C. R., iii,

252, 23 sq. ; cf. Antwort an Val. Compar., ibid., iv, 69, 27), et ici même. C’est l’acception courante dans l’A. T. : Totum populi Isrælitici cœtum, congregationem, concionem, etc., écrit Zwingli avec les meilleurs exégètes modernes {ibid., iii, 253, 15). Ce caractère populaire de l’Ecclesia hébraïque est le gage de la disparité de ses membres. Ainsi en est-il aussi dans le Nouveau Testament, comme en font foi les Paraboles (Matth., xiii, 24-39, 47-50 ; xxv, 1-13, cités ibid., iii,

253, 32 sq.). À la notion mystique de l’Église puisée dans saint Paul ou saint Jean succède une image plus réaliste tirée des Synoptiques. Bref, » tant dans l’An cien que dans le Nouveau Testament, nous voyons l’Église composée aussi bien de fidèles que d’infidèles, mais qui simulent la foi, et n’étant pas encore telle (nequc adhuc talem) qu’elle soit sans ride ni souillure » (C. R., iii, 254, 16). Clause importante : elle atteste que l’Église empirique est ordonnée à l’Église mystique, ou, si l’on veut, que celle-ci recrute ses membres dans celle-là.

b) Mais comment se fera ce passage, cette évolution vers un mieux-être de l’Église ? Par la prédication de la parole, sans doute. Aux anabaptistes qui procèdent à des discriminations hâtives (vermeitend, ein kilchen ze versamlen, die one sùnd wàr, dans Von der Taufe, C. R., iv, 207, 1 ; cf. W. Kôhler, art. cité, p. 677), Zwingli oppose la faculté d’expansion de la Parole : « Ayant constaté les progrès journaliers et la croissance de la Parole, nous n’avons consenti à aucune séparation » (C. R., iv, 207, 2 ; cf. ibid., iv, 210, 14 ; 480, 4 ; Sch.-Sch., vol. ii, t. iii, p. Il ; vol. iii, p. 405, c. fin.). Dans son merveilleux optimisme, Zwingli n’a-t-il pas espéré un moment que l’Évangile gagnerait toute la Suisse, et que la Confédération entière deviendrait croyante » (glâubig) ? (Cf. E. Beurle, Der politische Kampj um die religiose Einheit der Eidgenossenschaꝟ. 1520-1527, 1920, p. 26 sq.) Mais la parole chez Zwingli n’opère jamais seule. Si elle est douée de quelque efficacité, c’est de l’Esprit qu’elle la tient, et bientôt celui-ci prendra le pas sur elle (cf. Sch.-Sch., t. iv, p. 125). C’est l’action immédiate de l’Esprit qui assure le passage de VEcclesia contaminata à l’Église « sans ride ni souillure », selon le conseil même de la Providence, que peut seulement hâter la prière des fidèles (C. R., m, 260, 26). On pensera donc moins à des conversions en masse et rapides, dues à la puissance de la parole, qu’à un lent discernement de l’élite des fidèles, répondant à l’attrait intérieur de l’Esprit (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 8 : usque dum Spiritu itlustrati et ad Christum a Pâtre tracti essenl).

c) Présentement, les infidèles et les méchants se rencontrent avec les bons au sein de l’Église, sans que pour autant celle-ci cesse de porter son nom (C. R., m, 254, 24 : « Nous ne les reconnaissons que quand ils se révèlent par leurs fruits » ; ibid., 253, 30). Qu’est-ce donc qui les réunit aux justes, si ce ne sont pas la foi et la vertu communes ? C’est la profession publique de la foi au Christ : Videmus « ecclesiam » pro omnibus accipi, qui Christo nomen dederunt (ibid., 253, 24). Les sacrements, tels que les entend Zwingli, n’ont d’autre raison d’être que de donner lieu à cette profession ; à ce titre, ils constituent l’Église, non pas l’Église mystique, l’Église sine ruga et macula, qui demeure pour Zwingli la véritable Église (cf. Sch.-Sch. , vol. iii, p. 574, xvii ; 577-78, x ; ibid., vol. iv, p. 8, c. fin. : non minus credebatur de Ecclesia Christi esse…, quum nihil minus esset), mais l’Église empirique.

Il convient de situer dans cette perspective les traités composés par Zwingli entre 1525 et 1528 sur le baptême et la cène, contre anabaptistes et luthériens ; lui-même nous y invite, puisque)’Antibolon, inséré dans le Commentaire (1525), prélude à la section De sacramentis, qui traite des sacrements en général, et spécialement des deux mentionnés (C. R., iii, 757, 8). Il est notable que baptême et cène valent surtout pour Zwingli à raison de leur signification morale et sociale, c’est-à-dire de leur référence à l’Église ; cela est sensible de la cène, la tendance zwinglienne étant d’échanger la considération du corps physique du Christ contre celle du corps mystique (cf. C. R., v, 620, 9) ; ainsi surtout à propos de I Cor., x, 16 sq. (cf. supra, col. 3828). La cène a pour oflice propre de renforcer la solidarité chrétienne. Et déjà le baptême est interprété en fonction de l’Église conçue comme le