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ZWINGLIANISME. NOTION D’EGLISE


de Zwingli, et à son instigation] : Dièse Kirche ist aus dem Worte Gotles geboren, dem innerlichen, dem Worte des Glaubens, etc. ; Sch.-Sch., vol. ii, t. i, p. 79).

Cette vérité se confirme quand on passe aux Églises particulières. Celles-ci ont des pouvoirs disciplinaires à l’égard de leurs membres, elles peuvent refuser leur communion aux délinquants et les faire rentrer en grâce ; elles ont aussi pouvoir ou juridiction sur les pasteurs et possèdent le contrôle de la doctrine : Harum est et de pastore iudicare et de doctrina (C. R., m, 262, 11). Comment Zwingli conçoit-il ce contrôle ? Il l’explique à l’aide de I Cor., xiv, 29-32. La communauté est souveraine, quand il s’agit de juger de la parole de Dieu ; car l’Esprit qui est en elle juge par la bouche de l’un ou l’autre croyant, et personne, pas même le pasteur (Pfarrer), ne peut se dérober à ce jugement. Quoique l’administration de la parole soit nécessaire (C. R., iv, 254, 26 ; 255, 14), c’est-à-dire la prédication officielle, qui est spécialement le fait des pasteurs, elle n’est pas l’élément décisif, car elle est impuissante à engendrer la foi, et en toute hypothèse il faut préférer à la parole extérieure la parole intérieure, car celle-ci n’est jugée par personne, étant l’inspiration de Dieu même : Sed intérim verbum fidei, quod in mentibus fidelium sedet, a nemine iudicatur, sed ab ipso iudicatur exterius verbum (ibid., m, 263, 20). Nous sommes loin de la conception de Luther, qui attribue à la parole du ministre un elîet quasi magique et y voit la cause propre, constitutive de l’Église. Pour Zwingli, ce n’est pas la parole, c’est l’Esprit et la foi qui sont les facteurs essentiels de l’Église (comp. supra, col. 3769 sq.).

b) Réfutation de la thèse de A. Farner. Le concept zivinglien d’Église diffère dès l’origine du concept luthérien. — Par là même nous nous rangeons aux côtés de W. Kôhler, dans sa diatribe avec A. Farner. Celui-ci (cf. A. Farner, Die Lehre von Kirche und Staai bei Zwingli, 1930, p. 3 sq.) aligne les textes de Zwingli où l’Église désigne « la communauté des vrais chrétiens » : Elle renferme « tous ceux qui ont mis leur confiance et leur espérance en Dieu » (cf. supra, col. 3846). Il souligne aussi que cette véritable Église n’est pas une utopie platonicienne, vu qu’elle se manifeste partout où la parole de Dieu est annoncée. Et il conclut : « Ainsi la Parole est le pont par où l’on passe de l’Église véritable, universelle, qui est invisible, à la communauté (GcmeindeJ » (op. cit., p. 12). A. Farner se réclame ici de J. Gottschick (art. cité, p. 590), qui infère de ces textes une identité de vues entre Zwingli et Luther. Pour Luther, on se le rappelle, l’Église, qui est par essence invisible, devient visible grâce à la Parole et aux sacrements. Cette visibilité n’est pas cependant assimilable à celle que les catholiques reconnaissent à l’Église empirique (toute la doctrine luthérienne de la corruption de la nature nous en sépare). Il manque un élément de réalisme à l’Église invisible-visible de Luther, comme en fait foi encore un ouvrage récent (cf. G. Wehrung, Die Kirche nach evangelischem Verstûndnis, Gutersloli, 1947). Néanmoins Luther a eu le mérite de rattacher l’Église, par le truchement de la parole et des sacrements, aux réalités incarnationnelles. Qu’en est-il de Zwingli ?

Déjà O. Kitschl en avait fait la remarque : « Les lignes maîtresses de la doctrine luthérienne sur l’Église devenant visible dans la Parole et le sacrement sont demeurées tout à fait étrangères à Zwingli «  (Die Re/ormierte Théologie des 16. und 17. Jahrhundrrts in ihrrr Entatehung und Entwicklung, 1926, p. 70). W. Koliler partage cet avis (< f. recension de l’ouvrage de A. Farner, dans Zeilsclirift der Savigny-Sliftung fur Rechtsgeschichle, t. i.i, Kan. Abt., xx, 1931, p. G7t>). En fait, note-t-il, Farner ne cite aucun texte à

niCT. DE TIIKOL. CATHOL.

l’appui de son assertion. Zwingli connaît la communauté des croyants, Zwingli connaît la prédication de la parole qui est pour lui une exigence, Zwingli connaît la communauté, les citations de Farner l’attestent amplement, mais il ne connaît pas précisément l’Église visible-invisible (que Luther propose) ». La raison en est, et il faut compléter ici les observations de W. Kôhler, que la parole est loin de jouer chez Zwingli le rôle qui lui échoit chez Luther. Si pour ce dernier l’Église est le lieu où la parole de Dieu est annoncée, pour Zwingli elle est celui où la parole est entendue, la parole intérieure s’entend, dont la parole extérieure n’est que le double ou l’écho. Il y a passage du dehors au dedans, de l’objectif au subjectif. De ce chef, on ne saurait dire que pour Zwingli l’Église invisible devient visible dans la communauté.

Ajoutons que le lien entre Église universelle des croyants (invisible) et communauté demeure chez Zwingli assez lâche et incertain. Autour de 1525, la communauté est comme attirée par une double polarité : celle de l’Église universelle des croyants, ou Église mystique, et celle de l’Église universelle tout court, ou Église empirique, qui comprend fidèles et infidèles. Ce dernier terme l’emportera ; Zwingli rattachera, nous le verrons, la communauté à l’Église empirique, et déjà à ce stade, l’intégration est proche (cf. A. Farner, Die Einordnung der Kilchhoren unter dièse Kirche lag nahe, op. cit., p. 7). Mais, ce faisant, il renoncera à un certain idéal communautaire pneumatique, qui a été sien jusque vers 1525, c’est-à-dire jusqu’à ce qu’il lui soit ravi par les anabaptistes. Et ici encore nous donnons raison à W. Kôhler contre A. Farner (op. cit., p. 6, n. 4). Kôhler écrit, en préface de VAnlibolon : « Il est à remarquer que Zwingli accentue le caractère de ces Églises particulières comme communautés de croyants (Gemeinden der Glâubigen). Ce sont les communautés de croyants telles que Luther les a en vue plus tard dans la deutsche Messe de 1525, pensées qui se rencontrent aussi nettement avec celles qui avaient cours dans les conventicules anabaptistes » (au t. m des Œuvres, C. R., p. 235).

c) L’idéal de la communauté pneumatique » et l’évolution subséquente du concept d’Église. — On a ainsi de l’évolution de Zwingli l’image suivante. Jusqu’en 1525, Zwingli se préoccupe, par opposition à l’Église hiérarchique, de faire valoir un certain idéal communautaire pneumatique s’étendant aux moindres membres de l’Église. L’idée évangélique du sacerdoce des laïcs, exploitée dans le sens du spiritualisme, n’est pas étrangère à cette prise de position (cf. C. R., i, 377, 1). En sus, Zwingli est impressionné par le pneumatisme du christianisme primitif, et notamment par le spectacle de l’Église de Corinthe (I Cor., xivxvi), dont il aime à s’inspirer et qu’il cite encore dans la Réponse à Valentin Compar, 27 avril 1525 (C. R., iv, 74, 27).

C’est là pour lui le modèle de l’Église pneumatique et antihiérarchique telle qu’il s’applique à l’instaurer dans le canton de Zurich, encore que cette période soit pauvre en réalisations. D’autre part, l’individualisme mystique des Tàu/er heurte son sens social, et contre leurs menées séparatistes naissantes, il en appelle au jugement des communautés (gemeiner Kilchen) (C. R., iv, 208, 15 ; 255, 1). Ajoutez que Zwingli a un autre intérêt à concentrer son attention sur la communauté : la dévolution des pouvoirs appartenant autrefois à la hiérarchie, à qui se fera-t-clle sinon à la communauté ? (Cf. Anlwnrl an Val. Compar, C. R., iv, 77, 12 : demi wir sind die Kilch.) De même, à l’eu contre du magistrat, Zwingli tente de revendiquer à ce stade l’autonomie des communautés, du moins m spirituel (C. i{., iv, 208, 21), et à raison de leur caractère pneumatique : en elles, c’est l’Esprit qui juge,

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