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ZWINGLIANISME. DOCTRINE EUCHARISTIQUE


dant, comme l’a montré W. Kôhler, dans son grand ouvrage : Zivingli und Luther, 1924, c’est l’incidence de la situation politique qui amena Zwingli et Luther à se rencontrer au château de Marburg (2-4 octobre 1529). Sur ce colloque, cf. W. Kôhler, Das Marburger Religionsgespràch 1529. Versuch einer Rekonstruklion, Leipzig, 1929 ; d’un point de vue plus historique, A. Waldburger, Zwinglis Reise nach Marburg zum Gesprach mil Luther, 1529, wiederholt und nach den Qucllen erzûhlt, Zurich, 1929 (avec les remarques de L. von Murait, Theol. Literatur Zeitung, 1929, col. 388-389).

Sans doute l’échange de vues qui eut lieu alors, sous le patronage de Philippe de Hesse et grâce à la médiation de Bucer et des Strasbourgeois, permit-il de dissiper certains préjugés que chacun des deux partis entretenait sur l’autre. Les zwingliens cessèrent de traiter les luthériens de « carnivores » (Fleischfresser), tandis que ces derniers accordaient aux premiers le bénéfice d’une conception religieuse de la cène. Pour ne point parler d’une présence corporelle, ils ne faisaient pas moins de celle-ci un repas cultuel. Au delà, on pouvait s’unir sur une manducation spirituelle du Christ dans la foi : Concordes in manducatione spiritali, quod est principale, affirmait Zwingli. Mais Luther exigeait en outre une manducation corporelle, physique. Zwingli s’était toujours refusé à attribuer aux corps les prérogatives des esprits, et à l’humanité du Christ ce qui était le fait de sa divinité. Un corps, le corps du Christ lui-même, représentait pour lui une réalité bien définie, délimitée, enfermée en elle-même et incommunicable. La multilocation lui devenait une « mathématique » impossible. Luther avait beau alors se retrancher derrière le miracle, le rationalisme zwinglien le délogeait de cette position. Il demandait à voir : « Dieu est lumière et ne conduit pas dans les ténèbres. » Il restait à recouvrir l’opposition radicale des principes qui se révélait, à l’aide de formules assez compréhensives et que chaque adversaire tirerait dans son propre sens. Comme souvent il arrive en des cas semblables, des hommes de second plan : Osiander et Bucer, s’y employèrent. Le second était particulièrement qualifié pour ce travail, puisqu’il tenait à la fois de Luther et de Zwingli. Ses préférences allaient à une unio sacramentalis (cum pane ou perpanem [exhibitum], plutôt que : in pane [Luther] ; cf. W. Kôhler, Zwingli und Luther, p. 737, 748, 773 sq.). Mais une présence sacramentelle n’a de sens que si l’on définit le mode de la présence, et ici les difficultés reparaissent. La formule de compromis préparée par Luther et Œcolampade n’y échappa pas. On y lisait : « Nous confessons que, par la vertu de ces paroles : ceci est mon Corps, ceci est mon Sang, le Corps et le Sang du Christ sont vraiment présents et donnés à la cène. » On expliquait le vraiment (wahrhaftiglich) : « Cela signifie : selon la substance et l’essence, mais non quantitativement, ou qualitativement ou localement. » Formule d’inspiration nettement luthérienne, mais néanmoins acceptable pour Zwingli, à la condition, encore une fois, de la bien entendre, savoir d’une présence substantielle dans le cœur (substantiell gegenwârtig im Herzen) (cf. W. Kôhler, Huldrych Zwingli, 1943, p. 24).

Mais Zwingli devait encore compter avec le sentiment populaire. Lui-même avait formé celui-ci ; il avait appris à la communauté de Zurich à ne pas trop attendre de ce sacrement. À la dispute de Berne (1528), qui marque l’apogée de sa renommée, il avait décliné expressément la présence essentielle (wesentlich). Tout emploi des termes : essentiel et substantiel devait passer, au jugement du vulgaire, pour un désaveu de l’interprétation symbolique. C’est Bucer qui en fait la remarque ; glosant la formule précitée, il écrit : « Cette locution : être présent et donné substantiellement

sonne toujours aux oreilles du vulgaire de façon plus massive que ne le veut l’effet cherché ici ; et les négations (non quantitativement, etc.) ne seront pas comprises de la foule ; d’ailleurs l’Écriture n’emploie pas ces termes. C’est pourquoi Zwingli et Œcolampade se refusèrent à accepter cette sorte d’accord à Marburg » (cité d’après W. Kôhler, ibid.).

3. Dans les Articles de Marburg dressés in extremis pour servir un dessein politique, les points de suture cachent des différences malheureusement trop réelles. En matière eucharistique, on s’entend pour décréter la communion sous les deux espèces, exclure le sacrifice de la messe, admettre la cène comme « sacrement du vrai corps et sang du Christ » — nous savons quel sens Zwingli donnait à cette formule — recommander la manducation spirituelle nécessaire à tout chrétien, enfin mentionner l’attrait du Saint-Esprit, qui meut les consciences faibles à la foi et donne ainsi au sacrement tout son sens. C’était conjuguer habilement les deux tendances : luthérienne et zwinglienne.

Cependant il restait un sixième point, sur lequel le désaccord persista : « Si le vrai corps et sang du Christ sont corporellement (leiblich) dans le pain et le vin. » Ainsi l’union achoppa au corporaliter, un mot, mais qui recouvrait « un abîme d’oppositions idéologiques : l’état du pécheur loin de Dieu et l’affinité avec Dieu de l’homme spirituel, Augustin et Platon, la Réforme et l’Humanisme » (W. Kôhler, ibid., p. 208). Mais cet article était-il si important que l’on dût se diviser à son sujet ? Ne pouvait-on pas s’unir sur le credo et laisser l’eucharistie de côté ? C’était le sentiment de Bucer, partagé par Zwingli, tous deux étant à la recherche de l’ « essence du christianisme » (W. Kôhler, Zwingli und Luther, p. 829), à l’inverse des luthériens, qui faisaient fond sur la confession (Bekenntnis). Ainsi à Marburg, en la personne de Luther et de Zwingli, s’affrontent déjà les tendances qui devaient diviser dans la suite le protestantisme : orthodoxie et libéralisme. Raison de plus pour reconnaître à cette rencontre, avec W. Kôhler (op. ult. cit., p. 83b), une signification historico-religieuse de premier ordre, on dirait presque œcuménique.

4. Cependant Zwingli devait avoir le dernier mot. L’année suivante, à l’occasion de la Diète d’Augsbourg (1530), il présenta une confession séparée, Fidei ratio, où il affirmait : Credo in sacra eucharislise… cœna verum Christi corpus adesse fidei contemplatione. Cette clause reflète la tendance des dernières années qu’on retrouve dans le De Providenlia : la foi devient contemplation (au sens platonicien). Zwingli admet donc une présence réelle qualifiée ; et cependant il n’est pas moins intransigeant dans la négation : Quod Christi corpus per essentiam et realiter, hoc est corpus ipsum naturale, in cœna aut adsit aut ore dentibusque nostris mandatur, quemadmodum papistx et quidam qui ad ollas œgyptiacas respectant (entendez : les luthériens) perhibent, id vero non tantum negamus, sed errorem esse qui verbo Dei adversetur, constanter adseveramus (Sch.-Sch., vol. iv, p. 11, c. fin.).

Conclusion : La conception eucharistique de Zwingli devant la critique. — a) En guise de conclusion, rapportons le jugement d’un luthérien non prévenu qui souligne les déviations et les points faibles de la doctrine eucharistique de Zwingli : « S’il est vrai que la théologie de Zwingli n’est qu’un chaînon dans la longue série des conceptions symboliques de la cène, elle n’en est pas moins une date dans l’histoire du christianisme. Zwingli a réussi à imposer à une communauté zurichoise, on peut même dire à toute la Suisse évangélique, une conception de la cène, qui, pour éviter toute superstition, n’en entendait pas moins respecter le sérieux et la dignité de cette solennité. Celle-ci a, il est vrai, perdu chez Zwingli