tion au vocabulaire de Zwingli. Alors même qu’il garde le mot, il lui donne une acception nouvelle. Ainsi, dans toute sa doctrine sacramentaire, où il a à se défendre contre le reproche de nouveauté. C’est pourquoi aussi il aime à citer les Pères, surtout Tertullien et Augustin, alors que pour lui-même leur autorité ne compte pas (cf. C. R., iii, 809, 6 ; iv, 558, 15 ; 562, 2). Ailleurs (C. R., iv, 502, 7), il renvoie sur la partie historique de la thèse à Œcolampade, De genuina verborum Domini, etc., 1526. Aussi bien, il ne prétend faire autre chose que de sauvegarder, voire de restaurer les valeurs traditionnelles, même en ce qui concerne la présence réelle. Aussi, alors même qu’il a vidé l’eucharistie de son contenu objectif, il reste fidèle, si paradoxal que cela paraisse, à l’affirmation de celle-ci. C’est que pour lui, l’unique réalité, c’est la foi, et la foi rend Dieu, et le Christ même dont on ne peut séparer son corps, présent à l’âme. Il s’agit donc toujours chez lui de présence réelle, mais en un sens purement subjectif, et qui fait équivoque (cf. supra, col. 3800). Ajoutez d’ailleurs que, même durant la période où il s’est déclaré ouvertement en faveur du symbolisme, Zwingli continue à employer un langage de tonalité réaliste. Ainsi il parle en décembre 1524 du « pain béni et du sacrement du corps du Christ » et, en janvier 1525, des éléments comme « du corps et du sang du Christ » (cf. K. Bauer, art. ult. cit., p. 104). Le vocabulaire ne donne donc pas de point de repère.
Encore moins faut-il faire intervenir ici, comme le fait W. Kôhler, l’honnêteté de l’écrivain. Comment Zwingli a-t-il pu taire si longtemps l’interprétation symbolique, alors qu’il la possédait et qu’elle captait toutes ses pensées ? Lui-même nous l’explique à plusieurs reprises (C. R., iii, 816, 4 sq. ; iv, 463, 19 sq. ; v, 486, 8, etc.). C’était de sa part non calcul de simple prudence humaine, mais conduite motivée par des vues religieuses, le bien et la paix de son troupeau étant en jeu. Ceci mis à part, on ne. saurait faire crédit à Zwingli de notre psychologie, et lui-même, si retors et si secret, savait faire, à l’occasion, de la dissimulation et des adaptations successives une vertu. N’écrit-il pas dans le Subsidium : Equidem non ignoro, ut Christianum Protea deceat omnibus omnia fleri, etc. (C. R., iv, 466, 6) ?
Conclusion. — En définitive, pour juger sainement de l’évolution de la pensée de Zwingli en matière eucharistique, il n’y a à notre gré que deux critères à faire valoir : ses procédés herméneutiques et la logique de son système. Quant au premier point, F. Blanke a montré que l’attachement toujours plus fervent de Zwingli à la verilas hebraica était la clé de la compréhension de sa doctrine eucharistique (cf. F. Blanke, Zum Verstândnis der Abendmahlslehre Zwinglis, dans Monatschrifl für Pastorallheologie, xxvii, 1931, p. 314-320). Zwingli s’était habitué à lire le Nouveau Testament à la lumière de l’Ancien, quand il eut sa révélation pascale, et de même la lettre d’Honlus ne lui apportait rien d’absolument nouveau, car l’interprétation symbolique était alors dans l’air, et lui-même s’y sentait conduit à la fois par son exégèse et son système philosophique.
De ce dernier point de vue, il faut dire que toute conception de la présence comportant une adoration du Christ sous les espèces était par avance bannie. Soins Deus adorandus est, c’est là un principe irréfragable (C. IL, viii, 88, 18 ; iii, 774, 24 ; 806, 17 sq ». Et de même la manducation corporelle du Christ est incompatible avec la foi telle que Zwingli l’entend, adhésion au surnaturel pur et sans alliage sensible (cf. C. R., iii, 81<i, .’il : Dcum nemo vidit unqimm, principe concurrent de : Caro non prodrst qiiicquam). « Tenons pour certain, écri ! il a M : illli. Allier, que la foi n’a pas besoin de cette mandurntion qu’enseignent
les théologiens, et donc il faut que ces paroles du Christ (Hoc est corpus meum) aient un autre sens, quel qu’il soit » (C. R., iii, 350, 17). Voir aussi la lettre à Œcolampade et aux prédicateurs de Bâle, 5 avril 1525 : Nihil ergo eiusmodi (se. sententiæ de corporea carne) requirit fïdes, se ipsa contenta (C. R., viii, 318, 26).
3° Derniers développements.
1. À partir de 1527,
Zwingli subit l’influence de Bucer et l’ascendant de Philippe de Hesse ; et des considérations politiques l’obligent à se rapprocher de Luther. Aussi faut-il s’attendre à trouver une certaine inflexion dans la doctrine ; celle-ci cependant n’est pas de nature à entraîner une variation de fond. Ce qui est vrai, c’est que Zwingli prête une attention nouvelle à la notion de présence réelle, mais l’affirmation de celle-ci n’équivaut nullement à une renonciation à ses principes. On ne saurait donc prétendre, avec Fr. Blanke, que la doctrine eucharistique a évolué vers plus d’objectivité, car l’attestation de la présence réelle chez Zwingli porte toujours un indice de subjectivisme : il s’agit d’une présence réelle pour la foi ou dans le cœur du croyant. Les formules sont ici secondaires ; encore faut-il les observer exactement.
Déjà dans l’Arnica Exegesis, Zwingli écrivait : « Si cette présence du corps du Christ est spirituelle, en ce sens que nous croyons en esprit au Christ mort pour nous, il n’y a plus de différend entre nous » (C. R., v, 587, 16) ; ou : « S’ils entendent dire que quiconque croit a le corps et le sang (du Christ) présents, ils ne disent rien d’autre que nous. Nous n’entendons pas la foi dans le Christ Jésus sans y inclure son corps et son sang (citra notionem corporis et sanguinis eius) » (ibid., 588, 16). Zwingli admet donc la présence mentale du corps et du sang du Christ : ce qu’il affirme expressément un peu plus bas : Fidèles in mente præsens habere corpus et sanguinem Christi (ibid., 589, 4). Et ailleurs, selon une formulation plus précise, la plus poussée peut-être que l’on rencontre chez lui : Wir essend den lychnam Christi, den wesenllichen, geistlich (Der ander Sandbrief H. Z. an die Christen zu Esslingen, 16 octobre 1526, Sch.-Sch., vol. II, t. iii, p. 9, c. fin.). Le terme : geistlich (spirituel) veut qualifier le précédent, qui sinon équivaudrait à reconnaître, une présence substantielle du Christ. Ici encore Zwingli reprend par un additif ce qu’il paraît concéder. Preuve que, même dans ces expressions extrêmes, il ne dévie pas d’un pouce de sa ligne habituelle de pensée. Néanmoins, il faut le reconnaître, ces formules sentent déjà le compromis, l’adversaire étant invité à accentuer le wesenllich, tandis que Zwingli s’en tient au geistlich, à la présence spirituelle. Ainsi, de la « manducation spirituelle » des premiers écrits à la t présence spirituelle » des derniers, on peut tirer un trait qui passe par la foi. Notez d’ailleurs que Zwingli, rompu à la dialectique et même à la rhétorique, pouvait voir une expression figurée là où le profane prend le mot au sens littéral (cf. C. R., iii, 794, 13 : Corpus suum symbolicum esse ; iv, 498, 25 : Corpus et sanguinem nonnisi symbolicos accipi). Aussi ne se rcfuse-t-il pas à dire : Etiamsi nobiscum panem symbolicum corpus dominicutn appellarunt (C. R., v, 602, 17).
2. Cependant les traités eucharistiques de Zwingli et de Luther s’étaient croisés au cours des années 1526-1528 (cf. W. Kohler, Iluldn/rh Zwingli. [943, p. 180), et chacun des deux réformateurs n’avait cessé de rrciiscr IOO sillon, l’un insistant sur la foi qui snllit à tout : Crrde et mnndiirasli, l’autre sur In manduration corporelle, qui nous garantit le salut et la rémission des péchés. Ne serait-il pas possible d’atténuer les différences en procédant à une confrontation directe du Wittrnhergeois et du Zurichois ? I.’intrn l théologique de l’entreprise n’était pas mince ; repen