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ZWINGLIANISME. OUVRAGES EUCHARISTIQUES


reseras (C. R., iv, 560, 1). De fait, Carlstadt, Zwingli et Œcolampade, tous trois partisans du sens figuré, l’entendent différemment, le premier mettant l’accent sur hoc (le Christ se désignant lui-même, interprétation déictique), le second sur est (pris pour : significat), le troisième sur corpus (synonyme de : figura corporis). Dans la réponse à Billican, Zwingli ne se sépare pas d’Œcolampade (C. R., iv, 918, 10 ; 923, 17), de Carlstadt et de Schwenckfeld ; il dit : Qui si errarunt, in litera errarunt, non in spiritu … eadem est sententia (ibid., 902, 19 ; 903, 7). Ailleurs il loue chez Carlstadt, plus que l’application de l’exégète, la perspicuité du croyant « qui a enseigné qu’il n’y avait pour nous d’autre moyen de salut que de croire que le Christ a souffert pour nous » (C. R., iii, 343, 12 ; cf. viii, 276, 6).

Mais c’est surtout le livret contre Strauss qui est instructif (C. R., v, 453 sq.). Il nous montre qu’à l’orée de 1527, alors qu’il lance coup sur coup en trois mois trois traités eucharistiques (la réponse à Strauss est du mois de janvier, Y Arnica Exegesis de février, et le Freundliche Vergtimpfung de mars), soit donc deux ans et demi avant Marburg, les positions de Zwingli sont définitivement arrêtées, et qu’il n’y a plus désormais pour lui que cette alternative : ou la manducation spirituelle où la foi trouve son compte, ou la matérialisation de la présence et de la manducation dont la foi a horreur (abhorret a sensu, cf. C. R., iv, 490, 24). Cet entweder-oder jouera psychologiquement jusqu’à la fin, alors même que tout malentendu aura été dissipé, et exclura toute entente avec Luther.

En vain Strauss propose-t-il un moyen de sortir de l’impasse : la manducation sacramentelle. Qu’est-ce que manger sacramentellement le Christ ? C’est recevoir son corps sensible, invisiblement présent sous les espèces. Pour Zwingli, c’est là une contradictio in terminis, quelque chose comme un « fer de bois » (C. R., v, 496, 15). On ne peut dire : « Son corps est mangé corporellement et essentiellement », et puis : « Il est appréhendé spirituellement ». C’est un sophisme de parler d’un corps invisible et de dire qu’il est mangé corporellement ; — ou encore Zwingli place son interlocuteur devant le dilemme : « Le corps est-il dans le sacrement, ou l’âme ? Si c’est le corps, comment peut-il être mangé spirituellement ; si c’est 1 âme, comment peut-elle être un corps ? » (ibid., 496, 11). Dans cet opuscule, comme dans les précédents, Zwingli raisonne en philosophe, en dialecticien plus qu’en théologien. Un ami d’Œcolampade ne reprochait-il pas au Subsidium de contenir zu wenig Théologie und viel Philosophie (C. R., iv, 443), et l’on ne peut manquer d’être frappé par l’étroitesse de ses vues, prisonnières de catégories arrêtées d’avance et selon lesquelles le monde des corps est séparé de celui des esprits par une frontière infranchissable.

Par ailleurs, répondant à Strauss qui l’accuse de dévaluer le rite eucharistique (und reychend uns nur trucken brot und suren wyn), Zwingli achève de préciser comment il entend celui-ci : « La cène du Seigneur n’a pas été instituée pour la manducation, mais bien en vue de l’action de grâces et du souvenir » (C. R., v, 470, 19) ; autant vaut dire que la cène se distingue d’un repas commun, non par une action ou réalité objective, mais seulement par la part qu’y prend le sujet. Le trait complémentaire de la cène, le fait que les fidèles s’y obligent les uns envers les autres, est du même ordre. « Et en témoignage d’unité chrétienne, le Christ a institué un signe manifeste, joyeux, auquel il a donné le nom de son corps et de son sang, et il a ordonné d’en user en esprit de fraternité ; ceux donc qui lui rendent grâces de leur rédemption, de même qu’ils attestent leur communauté de foi, professent aussi avec un rite sensible qu’ils ne forment tous ensemble qu’un seul corps ; en conséquence de quoi il

serait honteux de ne pas vivre chrétiennement (ibid., 470, 23 sq.). Zwingli obtient l’effet d’une présentation populaire de la cène en la liant aux deux commandements de l’amour de Dieu et du prochain, comme plus haut aux articles du symbole. L’action reste l’aspect « essentiel et principal » (cf. Arnica Exegesis : Graliarum igitur actio hic spectetur et objectum est huius sacramenti, C. R., v, 660, 29) ; l’obligation envers le prochain n’est qu’un aspect « secondaire » (ibid., v, 471, 13-14). Zwingli n’entend pas en tout cas que « le sacrement ou la cène ait disparu et manque de raison d’être, dès lors qu’on lui soustrait le Corps du Christ, que d’aucuns imaginent (ici présent) » (ibid., 472, 8. Cf. W. Kôhler, Zwingli und Luther, 1923, p. 410).

4. Jusqu’à présent, Zwingli avait évité de s’en prendre à Luther lui-même ; il avait tourné ses armes contre les disciples ou amis de celui-ci : Alber, Bugenhagen, Billican, Rhegius, Strauss, etc. L’heure était venue pour lui de sortir de sa réserve à l’égard du maître ; pourtant ceux-là mêmes qui le réclamaient, les Strasbourgeois, conseillaient la modération.

a) L’Arnica Exegesis, id est : cxpositio eucharisties negocii ad M. Lutherum (28 févr. 1527 ; C. R., v, 548 sq.) est déjà sous l’influence médiatrice de Bucer. C’est la grande œuvre eucharistique de Zwingli. Il s’y mesure avec Luther, reprenant ses traités et les réfutant passage par passage, méthode qu’il avait déjà employée dans YArchiteles. Elle a un avantage polémique certain, mais elle nuit à la construction. Au demeurant, Zwingli n’a laissé aucun exposé systématique de sa doctrine eucharistique. Elle s’est d’abord élaborée dans son esprit pendant deux ans (15231524), au hasard de ses conversations, de ses rencontres (cf. la lettre d’Honius qui lui a été transmise par deux Hollandais, C. R., iv, 560, 27), de ses rêves même ; puis elle s’est exprimée, au fil de la controverse, dans des lettres ou des traités, œuvres de circonstance, sauf le Commentaire — cela pendant deux autres années (mars 1525-mars 1527) ; un pareil laps de temps s’écoulera encore avant que l’antagonisme de cette théorie avec les vues luthériennes se révèle pleinement, au colloque de Marburg (octobre 1529).

Fritz Blanke interprète l’Arnica Exegesis en fonction du prologue, lequel a été composé une fois l’œuvre terminée (cf. Zu Zwinglis Vorrede an Luther in der Schrift « Arnica Exegesis » (1527), dans Zwingliana, t. v, 1930, p. 185-192). Seule pourtant une analyse minutieuse de l’ouvrage permet de découvrir la ligne qui le traverse et départage les doctrines zwinglienne et luthérienne. Zwingli s’enferme dans son spiritualisme ; il enseigne la prédominance de la foi, règle de l’exégèse (fides ergo magistra et interpres est verborum, C. R., v, 663, 16) ; l’hétérogénéité de la foi et du symbole extérieur (ibid., 591, 5 sq. ; 665, 16) ; la délimitation rigide des deux natures dans le Christ. Selon le procédé juridique de la retorsio, Zwingli retourne contre Luther ses propres armes, et il se pose avec ironie en défenseur du sola fide (ibid., 564, 7 ; 671, 1) qui, à son jugement, a pour contre-partie le solus Deus adorandus. Si le Christ est objet de foi dans ce sacrement, c’est au titre de sa mort, pour laquelle il convient de rendre grâces, et non point de la présence réelle (ibid., 661, 11). Toute autre conception conduit à l’idolâtrie (ibid., 647 sq. ; cf. C. R., m, 342, 23).

L’âpreté de Zwingli, contenue d’ailleurs, s’explique assez du fait que Luther lui paraissait corrompre la pureté de la foi (C. R., v, 576, 4). Luther, il est vrai, avait de son côté le même sentiment à l’égard de son émule de Zurich. Mais ce qui frappe le plus dans ce traité, c’est la certitude désormais acquise avec laquelle Zwingli propose ses vues qu’il croit fondées