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    1. ZWINGLIANISME##


ZWINGLIANISME. LA LOI ET L’ÉVANGILE

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c) Dans les Schlussreden, le thème de l’affranchissement de la Loi (Erlôsung vom Geselze) entre en concurrence avec un autre : celui de Y accomplissement de la Loi (Erfùllung des Gesetzes) : « L’homme est enflammé d’amour de Dieu par la reconnaissance de la bonté de Dieu envers lui. Et plus grand est l’amour, plus aussi on accomplit ce que Dieu veut. » Ou plutôt : « C’est Dieu qui dans le croyant opère l’amour, le conseil et l’œuvre » (C. R., ii, 236, 30 ; 237, 15). La Loi tend alors à se séparer de son contexte historique et christologique ; elle prend valeur positive et absolue comme règle de vie imposée par Dieu au croyant, à laquelle celui-ci ne saurait se dérober. Elle se définit comme l’expression intemporelle de la volonté de Dieu (cf. C. R., ii, 234, 18 : das muster und form des gôtlichen ivillens), formulée dans le double commandement de la justice et de l’amour. Cette considération l’emporte dans les ouvrages subséquents (Commentaire, C. R., iii, 707, 20 : Lex nihil aliud est quam doctrina de voluntate Dei, per quam scilicel intelligimus quid ille velit, quid nolit, quid exigat, quid vetel ; cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. ii, p. 98, c. fin.). Notion sans doute issue du volontarisme scotiste et corrélative à la conception du péché-transgression formelle, qui apparaît vers la même époque. Il est sous-entendu que cette volonté est impérative et irrésistible : en même temps qu’il la notifie, Dieu opère en nous infailliblement, selon la thèse déterministe (cf. loc. supra cit., et col. 3782 sq.). Il n’en est pas moins vrai que le relief pris par la Loi dans la morale zwinglienne se concilie mal avec la négation du libre arbitre.

Dans le De Providentia, le cadre s’amplifie (cf. Sch.-Sch. , vol. iv, p. 107 sq.). Ici Zwingli, s’appuyant sur la métaphysique et la philosophie religieuse, disserte du rôle de la Loi dans le gouvernement providentiel. La Loi fait œuvre révélatoire ; elle a des affinités avec la foi, car, en nous éclairant sur la vraie nature de Dieu, elle mène l’homme à la connaissance de soimême (fonction attribuée ailleurs à la foi) (cf. C. R., m, 661, 10). À l’inverse de Luther, Zwingli insiste toujours davantage sur la valeur positive de la Loi : elle conduit non seulement, en condamnant, à la connaissance du péché, mais, en éclairant, à la vraie connaissance de Dieu et par là à la souveraineté de l’esprit sur la chair. Ainsi la Loi, de malédiction pour les ennemis de Dieu, devient bénédiction pour l’homme destiné par la Création à la communion avec Dieu (cf. C. Von Kugelgen, op. cit., p. 37).

2. Il n’est pas moins difficile de préciser la position de Zwingli dans le problème : Loi et Esprit. Il semble qu’il oscille entre deux attitudes : a) un biblicisme strict, qui considère chaque parole de Dieu dans l’Écriture comme ayant force de loi (ainsi, à sa suite, les Taufer) : la Loi est une norme extérieure qui s’impose à l’homme contre sa volonté ; — b) un spiritualisme assez hardi, qui risque de se dissoudre en un panthéisme universaliste : à la Loi se substitue l’Esprit qui nous instruit et nous guide, ein jurer unsers willens und volbringens (C. R., ii, 65, 25). Et cet Esprit tend à se confondre avec ce qu’il y a de divin en nous.

a) À l’appui de la première tendance, on peut citer des textes comme : G. R., ii, 102, 6 : De la conduite de Satil à l’égard d’Agag, Zwingli tire la leçon suivante : « Il nous faut donc simplement entendre la parole de Dieu et s’en tenir là. Donnons donc à Dieu l’honneur en le reconnaissant, en toute obéissance envers sa parole, comme le plus sage et le plus fidèle » ; iv, 254, 4 : « Nous, chrétiens, devons agir vertueusement, non sous la pression de la Loi, mais sous l’inspiration de la foi » (nicht uss zwang des gsalzes, sunder uss dem glauben).

b) Ailleurs, en revanche, Zwingli aime à associer Loi et Esprit (cf. C. R., ii, 234, 30 : « La Loi nous

montre purement et simplement ce que l’Esprit divin exige ; ii, 234, 17 ; iii, 661, 14 : la Loi est spirituelle)

— voire à insister sur l’immanence de la Loi au cœur du croyant en qui elle est imprimée par l’Esprit (C. R., n, 298, 1 ; cꝟ. 84, 1 : Der isl sin schnur ; ii, 81, 3).

Il rejoint ici le thème de la liberté du croyant (C. R., il, 81, 8) : « La Loi de l’Esprit, qui rend vivant, c’est-à-dire la doctrine et conduite de l’Esprit divin qui rend toutes choses vivantes, m’a libéré dans le Christ Jésus… Là où est l’Esprit de Dieu, là est la liberté [II Cor., iii, 17], car l’Esprit de Dieu est au-dessus de la Loi, et là où il est, on n’a plus besoin de Loi. Or là où est la foi, là est l’Esprit de Dieu » (cf. C. R., ii, 649, 20 sq. ; A. E. Burckhardt, op. cit., p. 33). Sans doute certains abusent de cette liberté, mais ils témoignent par là qu’ils n’ont pas la vraie foi (C. R., ii, 82, 32 sq. ; 180, 30 ; 640, 3). Zwingli évince ainsi le reproche, qui déjà avait cours de son temps, fait à l’anomisme protestant.

D’autre part, on sait que pour Zwingli l’action de l’Esprit ne se limite pas à l’expérience spirituelle du chrétien : il opère en tout homme et cet instinct profond qui nous pousse à résister aux passions coupables, la voix de la conscience, est aussi bien son œuvre (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 215 : Anima ergo nostra in verbo dei vivit. Verbum dei dictât et prsescribit quid faciendum, quid omittendum, quid nimium, quid parum, et docet in omnibus recle vioere et agere. Quod et gentium sapientes intellexerunt, dum affirmant divinum quiddam esse in homine, quo affectus vincantur. In verbo igitur dei vivere, est iuxta prxscriptum divini spiritus in omnibus agere et illo nili ; cf. C. R., iii, 884, 30). Dans cette perspective élargie par le syncrétisme, toute hétéronomie semble bannie.

c) Comment concilier ces deux positions antithétiques : l’une extrinséciste, l’autre imnianentiste ? Zwingli tente de le faire en affirmant à la fois l’autonomie du croyant qui vit par l’Esprit et est supérieure à toute Loi, et le pouvoir coercitif de la Loi à l’égard de quiconque cède aux impulsions de la nature mauvaise (cf. C. R., ii, 159, 11) : « Personne n’a une foi comparable à celle d’Abraham. Quiconque a une telle foi n’a pas besoin de Loi. Mais, comme Abraham était conduit et guidé par l’Esprit de Dieu, de même celui qui est croyant comme Abraham est conduit et dirigé par cet Esprit. Mais il y en a beaucoup qui, parce qu’ils n’ont pas la foi, n’agiraient pas bien, s’ils n’y étaient contraints par les liens de la Loi (mit den banden des gsalztes). D’où la distinction de la double justice : l’une représentant l’idéal auquel le chrétien, mû intérieurement par l’Esprit, tend sans cesse à se conformer (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 61 : t Ceux qui ont la foi se modèlent en toute œuvre sur la volonté de Dieu comme sur l’archétype » ) ; — l’autre la norme juridique qui s’applique à la moyenne des humains : incapables de s’élever plus haut, ceux-ci doivent du moins être maintenus dans les limites du droit par une autorité et une loi qui s’imposent de l’extérieur.

En résumé, les pensées de Zwingli sur la Loi se ramènent à trois groupes d’idées (cf. P. Wernle, op. cit., p. 58) : a. la foi au Christ et à la satisfaction offerte par lui nous libère de la condamnation de la Loi : c’est le pendant de la doctrine luthérienne de la Justification ; — b. l’Esprit, qui opère en nous le bien, est pour le chrétien comme une loi intérieure qui remplace toute loi : c’est la thèse proprement zwinglienne de la régénération qui s’accorde avec son spiritualisme universaliste et son syncrétisme, bien qu’ici encore il y ait un point d’appui paulinien. Ces deux groupes sont christocentriques (cf. à propos de b. : C. R., ii, 82-83 fil s’agit bien de l’Esprit du Christ]) et chevauchent l’un sur l’autre ; — c. le troisième groupe, théocentrlque, s’organise pour lui-même, autour de la