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ZWINGLIANISME. LA LOI ET L’ÉVANGILE


griefs luthériens : Incommode enim loquuuntur et scribunl de hominis Justificaiione coram Deo, et doctrinam de fide non salis inculcant, sed ita de lusliflcatione loquuntur, quasi opéra, quæ fidem sequuntur, sint lustitia hominis (Sch.-Sch., vol. iv, p. 185, 4°).

Aujourd’hui, nous sommes mieux placés pour juger, à la lumière des développements subséquents, des lignes de force différentes des deux systèmes (cf. M. Schneckenburger, Vergleichende Darstellung des lutherischen und reformierten Lehrbegrifjs, ii, Stuttgart, 1855, p. 63 sq.). Disons en bref : si, pour Luther, le pécheur, dès lors qu’il croit, est reconnu juste et justifié par Dieu selon sa grâce et en vertu des mérites du Christ qugement synthétique), pour Zwingli, la justification fait davantage état de l’évolution intérieure de l’homme pécheur et notamment de la conversion et de la régénération (cf. Sch.-Sch., vol. vi, 1. 1, p. 321 : Cœlitus regeneratus… debemus loti esse conversi in Christum ; — sur le concept de restitutio, cf. supra, col. 3789). Elle prend donc plutôt le caractère d’un jugement analytique, en ce sens que l’homme animé de l’Esprit et accomplissant les œuvres de la foi, encore qu’il soit encore pécheur, est cependant juste a parte potiori et est réputé comme tel devant Dieu (cf. O. Ritschl, Die reformierte Théologie des 16. und 17. Jahrhunderts, 1926, p. 73-74).

Rappelons d’ailleurs qu’il y a entre les deux réformateurs un différend initial sur la question du péché, qui a ici ses répercussions (vu la corrélation grâce et péché) : « La conscience profonde du péché, qui a tant opprimé le moine d’Erfurt, est restée étrangère à Zwingli : il a senti non pas tant la faute (Schuld) que l’impuissance consécutive et la force du péché. Il en est résulté, dans la doctrine de la foi, immédiatement ceci : Zwingli ne s’est pas tant intéressé au fait que la foi justifie l’homme devant Dieu qu’à la manière dont elle se manifeste dans sa vie comme force sanctifiante et pouvoir de rénovation » (H. Bavinck, op. cit., p. 55).

/II. LOI ET ÉVANGILE. LA DOUBLE JUSTICE. —

Loi et Évangile.

1. — a) Dans V Auslegung der

Schlussreden (art. 2 et 5), Zwingli définit l’Évangile au sens paulino-luthéricn : l’annonce du salut ou de la grâce de Dieu en Jésus-Christ (Gnadenbotschafl) ; à l’art. 16 (C. R., ii, 76, 12), il s’avise que cette définition est trop étroite : par Évangile il faut entendre toute la volonté révélée de Dieu, y compris les commandements, défenses et promesses. De la sorte. Loi et Évangile, loin de s’opposer, se concilient : la Loi, révélation de la volonté de Dieu, est une partie de l’Évangile. L’apologie de la Loi, amorcée à l’art. 16, se continue au cours des art. 19 et 22 (ibid., 1Ô9, 32 sq. ; 232, 2 sq.). Zwingli cherche à surmonter le paradoxe luthérien, l’antinomisme qu’il juge dangereux pour la Réforme. Il a tu main le Commentaire de Luther sur Cal., ou a eu par des étudiants de Zurich des échos de ce qu’on enseignait à Wittenbcrg : la Loi nous terrifie ; elle nous accule au doute et au désespoir ; elle fait que nous haïssons Dieu. Non, répond /wingli, ce qui est dit ici de la Loi s’entend de la chair qui est l’ennemie de Dieu et de sa Loi. La Loi de sa nature est bonne, comme la volonté de Dieu dont elle est l’expression. Entre Loi et Évangile, point de dualisme : la Loi appartient à l’Évangile ; elle devrait, selon son essence véritable, s’appeler plutôt Évangile.

b) Cependant cette défense de la Loi se heurte au thème paulinicn de Vabrogalio Legis, comme au la considération chère à ZwlnglJ que le chrétien qui a l’Esprit de Dieu est affranchi « le la i."i. n’a pa* besoin de Loi et est au-dessus de la Loi. Comment entendre 1’ « abrogation île la Loi  ? Il ne l’agll (MM seulement des préceptes rérémoniel’le l’Ancien Testament et

autres observances extérieures. Ils sont caducs de par leur nature même, voire dispensés par Dieu en châtiment de notre infidélité (C. R., ii, 231, 19). On peut transcrire : « abrogation de la Loi », c’est-à-dire de la malédiction de la Loi. La Loi nous condamne. Qu’est-ce à dire ? « Elle nous convainc que nous ne pouvons parvenir à Dieu par nos propres forces, et donc qu’il est juste que nous soyons condamnés. » En revanche, le Christ nous affranchit de la condamnation de la Loi ; entendez : « Une fois reconnue notre impuissance, nous voyons que nous avons dans le Christ un sûr garant de notre salut. Nous sommes injustes ; mais il est notre justice ; de la sorte, la Loi ne peut nous condamner » (C. R., ii, 236, 20 sq.). Ainsi, en vertu de la Rédemption opérée par le Christ, la Loi cesse de nous condamner : le Christ satisfait à la justice de Dieu par son innocence, par son accomplissement parfait de la Loi (cf. C. R., ii, 37, 12. 35 ; 77, 10 ; 79, 19 ; 80, 10 ; 81, 28 ; 496, 1). C’est pourquoi il est « notre justice » (I Cor., i, 30 ; cf. C. R., ii, 236, 3). Zwingli l’entend selon l’analogie de la Tête et des membres : « Nous, les membres, nous allons à Dieu par la justice de la Tête » (C. R., ii, 236, 7). De la sorte, la justification pour lui ne consiste pas tant dans l’imputation du mérite du Christ que dans la communication de sa propre vie (cf. A. Ritschl, Rechtfertigung und Versôhnung, 3e éd., t. i, p. 168). La vie chrétienne se définit, selon la tradition érasmienne, par Yimilatio Christi (C. R., iii, 910, 9. 16). Elle est aussi vie dans l’Esprit, et à ce titre synonyme d’affranchissement de la Loi.

Zwingli connaît donc le thème paulino-luthérien de l’affranchissement de la Loi. La Loi nous convainc de péché ; elle nous fait prendre conscience de notre impuissance ; seul le Christ, parfait exécuteur des volontés du Père, nous délivre de la malédiction de la Loi qui pèse sur nous du fait de nos transgressions. Cependant, chez Zwingli, notre impuissance à accomplir la Loi ne tient pas seulement à notre condition de pécheurs ; elle est appelée aussi par la perfection intrinsèque de la Loi, qui participe de la transcendance, de la pureté et de la justice absolues de Dieu (C. R., ii, 37, 8 ; 77, 28). Mais cette considération même l’invite à proclamer la perpétuelle validité de la Loi (cf. C. R., n, 79, 23 ; 232, 2 sq.) — et à chercher à tourner le thème de Vabrogalio Legis, qui ne représente qu’un effet accidentel et subsidiaire. De même, et parallèlement, il se plaît à opposer à l’attitude de l’incroyant qui regimbe contre la Loi et lui résiste, parce qu’elle contrarie les inclinations de la chair, celle du croyant, qui s’y soumet de bon gré, vu qu’elle répond aux nobles aspirations de sa nature régénérée (C. R., ii, 76-79). Le croyant prend plaisir à la Loi selon l’homme intérieur, parce qu’elle lui révèle la volonté toute bonne de Dieu, et, la grâce s’ajoutant au précepte (C. R., ii, 77, 30), lui donne le moyen de plaire à Dieu en accomplissant ses commandements. Il trouve aussi dans la Loi comme un reflet des perfections divines, l’indice de la perfection et de la sainteté absolues de Dieu (cf. C. R., ii, 77, 26), et ceci même est pour lui un nouveau sujet de joie. La doctrine de Zwingli sur la Loi apparaît donc comme un corollaire de sa théodicée, en même temps qu’elle s’inspire de ses vues sur la régénération dans l’Esprit qui met l’homme à même de connaître et de goûter le Bien absolu. Mais ces notions eu rencontrent d’autres, moins originales, et chevauchent sur elles, plutôt qu’elles ne s’accordent vraiment avec elles, t On pourrait dire : Zwingli entend affirmer l’affranchissement de la Loi au sens formel (autonomie) et, en même temps, la validité perpétuelle de la Loi au sens matériel. Il manque à sa pensée triée nécessaires … I)’, , , , l’obscurité » (P, Wernlc, Zwingli, ut supra, p. 42).