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ZWINGLIANISME. NOTION DE FOI


à la distinction de l’École entre le péché habilus et acte. Nous sommes loin assurément de l’Évangile. R. Pfister n’en argue pas moins, pour légitimer la doctrine de Zwingli, du fait qu’elle serrerait de plus près l’enseignement de saint Paul sur le péché et la loi, notamment Rom., v et vu. C’est la une erreur : Zwingli entend la loi, non au sens paulinien de loi positive, historique, ayant son rôle dans l’économie du salut, mais comme une détermination absolue, intemporelle, de la volonté de Dieu, participant à la transcendance et à la perfection de Dieu même (cf. C. R., iii, 707, 1 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 102 et infra, col. 3807).

II. FOI, JUSTIFICATION ET RÉGÉNÉRATION. 1° No tion de foi. — 1. — a) À l’attitude de l’homme déchu, dominé par Yamor sui, s’oppose celle de l’homme racheté, placé sous l’emprise de l’Esprit divin. Un mot la caractérise : la foi. La foi, pour Zwingli, ne désigne donc pas une vertu spéciale : elle vise plutôt l’ensemble des dispositions surnaturelles de l’âme qui se détourne du créé et met en Dieu son espérance. Comme Luther et à sa suite, Zwingli entend la foi, fides, au sens du latin fidere (C. R., iv. 495, 22 : auf Golt vertrauen. gelassen sein ; cf. C. R., ii, 82, 24 ; v, 781, 28) ; mais la foi-confiance prend chez lui un caractère plus profondément théologal. Entendez : au lieu d’être orientée vers le Christ et ses mérites, elle s’élève d’emblée jusqu’à Dieu et s’harmonise avec la doctrine du Dieu Souverain Rien et Providence qu’on a exposée (cf. C. R., ii, 73, 7 ; 182, 15 ; Sch.-Sch., vol. ii, t. ii, p. 199 : La foi qui est une confiance dans le seul Dieu, qui est l’unique repos de l’âme, la sécurité et certitude, par quoi nous voyons qu’il n’y a rien de bon, rien de vrai, rien de juste que le Souverain Rien, Dieu : que rien n’est assez sûr pour qu’on puisse s’appuyer vraiment sur lui que Lui ; que l’âme ne trouve de repos en aucune créature, mais seulement dans le Créateur » ). Zwingli argue, comme Luther, de Hebr., xi, 1, qu’il commente à trois reprises : C. R., iv. 489, 12 : Sch.-Sch., vol. ii, t. ii, p. 199 ; vol. iv, p. 118. Ce texte lui suggère l’assimilation de la foi à l’espérance (C. R.. iv, 491. 12 sq. ; cf. C. R., m. 777, 33). La charité est aussi comprise (C. R., iii, 849, 28 ; Sch.-Sch., vol. vi, t. ii. p. 271).

b) Zwingli insiste sur Yorigine surnaturelle de la foi : aucun effort humain ne peut y conduire, elle est don purement gratuit de Dieu (cf. C. R., ii, 637, 17 : Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 348 et passim). Cette assertion fait partie de la catéchèse réformée : la note proprement zwinglienne est la part attribuée à l’Esprit divin dans la genèse de la foi (Sch.-Sch., vol. iv, p. 61 : Fides autem… a solo dei spiritu est ; ibid., p. 63 : Fides enim cum spiritus divini sit adflaius). Elle s’accorde sans doute avec le spiritualisme mystique de notre auteur, mais aussi avec les données générales de son anthropologie. Entre l’Esprit de Dieu et l’esprit humain il existe une affinité : il n’y a que l’Esprit divin à pouvoir agir sur notre esprit et y engendrer la foi. La foi est donc synonyme de contact d’esprit à esprit (C. R., v, 622, 13), qui exclut toute médiation créée. Aucun objet extérieur ne concourt au processus qui mène à la justification (cf. C. R., v, 787, 27 ; 628, 11 ; 629, 10 sq. ; Sch.-Sch., vol. iii, p. 583, xxx ; vol. vi, 1. 1, p. 261, 333, 413). La règle est absolue et vaut aussi bien de l’humanité du Christ. Zwingli s’applique à purger la foi de tout extrinsécisme (cf. C. R., iv, 325, 12). Ainsi, à propos des miracles : la foi n’en est pas tributaire : « Ce ne sont pas les miracles qui font la vraie foi spirituelle ; mais la foi spirituelle reconnaît les miracles pour l’œuvre de Dieu » (Sch.-Sch., vol. ii, t. ii, p. 199). (Sur la notion de miracle chez Zwingli — en dépendance de Rucer — cf. C. R., v, 594, 6 ; 621, 21.)

c) La substance purement spirituelle de la foi, qui entraîne l’épuration de la religion, s’entend aussi du point de vue de son objet. La foi est attention exclusive à Dieu ; elle ne s’arrête à rien de créé ; le Christ lui-même n’est objet de foi que selon sa divinité (C. R., v, 629, 8 : 782, 5 ; 788, 7 : Sch.-Sch., vol. ii, t. ii, p. 201). C’est la raison majeure pour laquelle Zwingli rejette la Présence réelle : le Corps du Christ présent sous les espèces ne saurait être atteint par la foi ; il tombe nécessairement sous la perception sensible ou la vision : Il ne peut être l’objet d’un discernement spirituel. En outre, le Corps eucharistique introduit une nouvelle médiation qui va contre le privilège exclusif de la foi. Sola fides beat, répète Zwingli. La foi seule est nécessaire au salut et elle suffit à tout (C. R., v, 662, 2 ; 665, 14). Zwingli se pose ici en défenseur du sola fide proclamé par Luther (C. R., iii, 341, 24 ; v, 576, 2 ; 718. 1). Il fait aussi entendre que la sécurité de la foi est fonction de la pureté de son objet (Sch.-Sch., vol. iv, p. 45, c. med.).

2. — a) Cette controverse est particulièrement instructive : comme Th. Pellican l’avait vu dès 1527 (c’est-à-dire un an avant Marburg), elle tourne autour de la notion de foi et de la manière dont Dieu opère en nous : De fide erit contenlio et de mysterio divinæ operationis in nobis (C. R., ix. 73. 19). Elle fut pour Zwingli l’occasion d’un approfondissement de cette notion même. Il avait hérité d’Érasme et des Frères de la vie commune le sens des valeurs mystiques attachées à la foi (cf. W. Kôhler, Das Religionsgesprâch zu Marburg 1529, dans Sammlung gemeinverstândlicher Vorlrûge, cxl, Mohr, 1929, p. 12). La foi est chose vécue, expérience directe du divin ; son objet ne se situe pas au terme d’une investigation rationnelle ou d’une imagination quelconque, il est appréhendé directement et comme une réalité, mieux, comme la Réalité (cf. C. R., m, 705, 35 : Rcs enim est ac experimentum pielas, non sermo vel scientia ; ibid., iii, 760, 10 ; Sch.-Sch., vol. v, p. 100. — Dans Hebr., xi, 1, argumentum est synonyme d j’experimentum : C. R., iv. 491, 15). Sans doute l’objet de foi reste invisible, puisqu’il s’agit de Dieu et des biens à venir, mais la foi nous en confère, mieux que la certitude infaillible (C. R., iv, 491, 11 ; Sch.-Sch. , vol. v, p. 100), le sentiment : « La foi chrétienne est une chose qui se sent dans l’âme des croyants, comme la santé dans le corps » (C. R., iii, 700, 33 ; cf. v, 621, 31). Aussi, à l’inquiétude, à l’angoisse du pécheur succèdent la tranquillité et la paix de l’âme établie en Dieu. Si Zwingli n’a pas ressenti la première autant que Luther, il n’en a pas moins insisté sur la seconde. La foi, mouvement de confiance filiale dans le Dieu Père et Providence suscité par l’Esprit, procure à l’âme la consolation et la paix qui lui manquent (C. R., iii, 446, 19). Sur quoi on peut remarquer avec A. E. Rurckhardt : « Parce que la foi et l’Esprit ont une aussi grande certitude en eux-mêmes et comme expérience apportent avec eux la paix de l’âme, toute mystique sacramentelle est impossible (Das Geistproblem bei Huldri/ch Zwingli. ut supra, p. 62).

b) Les expressions mystiques se rencontrent sous la plume de Zwingli : adhserere Deo (C. R., iii, 668, 30) ; adflgi (ibid., 820, 17) ; sich lassen an, frui. etc. (cf. A. E. Rurckhardt, op. cit.. p. 86). L’âme vidée d’elle-même, purifiée et ayant renoncé à soi (C. R., ii, 73, 5 ; iii, 17, 16) est attirée et transformée en Dieu (C. R., ii, 72. 17 : cf. C. R., iv. 365. 4). L’Esprit est l’artisan de cette transformation (C. R., ii, 73, 2. 13). C’est à l’aide de cette notion mystique de la foi qu’il combat l’idée de Présence réelle : celle-ci est superflue, la foi suffisant à rendre Dieu présent à l’âme (C. R., v, 582, 10 : Quum igitur fides adest homini, habet deum prsesenlem ; cf. C. R., iii, 18, 5 : Sch.-Sch., vol. iv, p. 122 : H le [se. fides] est panis ille, quem qui manducabil non esuriet