Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1133

Cette page n’a pas encore été corrigée
3795
3796
ZWINGLIANISME. LE PÉCHÉ ORIGINEL


la misère de l’homme déchu ; il se place dans le sillage de Luther et renoue avec la tradition augustinienne. Par ailleurs, il dépend de la scolastique quant au status quæstionis et dans la définition même du péché originel. On retrouve donc chez lui équivalemment les deux éléments : matériel et formel, soit donc la privation de la grâce et la concupiscence.

Il existe cependant dès cette période des traits proprement zwingliens : privé de la grâce, Adam est soustrait aux motions de l’Esprit divin qui l’avait dirigé jusqu’alors (C. R., ii, 38, 6). Il en est de même de ses descendants. La restitution en grâce équivaut donc à la régénération dans l’Esprit. La manière dont Zwingli conçoit la concupiscence s’apparente à la doctrine de Luther, dont il est nettement tributaire : chez l’un et chez l’autre, la concupiscence désigne, non pas l’appétit sensuel déréglé (saint Augustin), mais la psychologie tout entière de l’homme déchu dans son aversion de Dieu et sa recherche de soi-même (cf. l’âiaapTioc de saint Paul). Cet égoïsme foncier, que Luther appelle n concupiscence », Zwingli le nomme amor sui ou quÀcorria. Cependant Zwingli met l’accent moins sur Yamor sui et la concupiscence que sur l’état de mort spirituelle et l’impuissance qui suit la chute. L’homme qui, j adis docile aux impulsions de l’Esprit, accomplissait la volonté de Dieu, en est à présent radicalement incapable ; il est devenu transgresseur — vu surtout la perfection de cette volonté très sainte, à laquelle il ne peut d’aucune manière se mesurer. Que lui reste-t-il, sinon d’avouer son impuissance et de se confier dans les mérites du Christ ? La grâce lui donnera la force qui lui manque. Ainsi pour Zwingli l’essence du péché originel réside moins dans Vamor sui que dans l’incapacité absolue d’accomplir la volonté de Dieu. À l’inverse, la grâce est conçue comme une puissance divine opérant en nous.

Dans les œuvres de cette première période (cf. Auslegung der Schlussreden, 1523 ; Commentaire, 1525), on ne trouve aucune indication qui laisse pressentir le rejet de la faute originelle par Zwingli. Le Commentaire semble même à dessein noircir le tableau, par réaction contre l’optimisme affiché d’Érasme (C. R., in, 654 sq. ; P. Wernle, Zwingli, p. 58-59). Nous sommes tous pécheurs en Adam — on ne précise pas le mode de transmission de la faute — débiteurs envers Dieu, incapables d’accomplir sa Loi. Seule la justice du Christ nous sauve. Le péché originel suffit donc à nous condamner. Zwingli enseigne nettement la damnabilité (Verdammliclikeit) du péché originel ; cf. Bine kurze christliche Einleitung, 1523 ; C. R., ii, 632, 25 : « Voici donc ce qu’est la faute originelle : la chute, la transgression, l’impuissance, la perte de Dieu, l’infection (der prâst), le péché, de quelque nom qu’on l’appelle. Il est donc clair que nous sommes tous par nature (il s’agit de la nature corrompue) enfants de colère. »

Deuxième période : Controverse anabaptiste. Le « Taufschrift » (27 mai 1525) (C. R., iv, 188 sq.). — Jusqu’à présent la pensée de Zwingli s’est mue dans les cadres traditionnels ; il a suivi saint Augustin et Luther. Ce n’est qu’avec l’anabaptisme que la faute originelle devient vraiment pour lui un problème. Divers facteurs sont ici à l’œuvre qui l’inclinent vers la négation : le caractère purement symbolique attribué aux sacrements, la notion volontariste du péché. A l’inverse des Tâujer, il maintient la nécessité du baptême des enfants (cf. infra, col. 3822), mais ce rite n’a pas pour effet d’effacer le péché originel. Il est purement symbolique. Sur ce point, Zwingli ne pense pas autrement que ses adversaires. Ce qui lui permet néanmoins de sauver le baptême des enfants, c’est qu’il entend la confession (Bekenntnis) du point de vue de l’Église. Le baptême est donc signe d’agré gation à l’Église ; les enfants baptisés entrent dans l’Alliance et reçoivent le fruit du sacrifice rédempteur (cf. infra, col. 3823).

Cependant Zwingli ne s’arrête pas là : il se livre à une critique de la notion même de faute originelle. Le baptême n’a rien à effacer en eux, car ils n’en sont point passibles, le péché étant synonyme de transgression volontaire (C. R., iv, 311, Il sq. ; cf. v, 376, 26 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 6). Nous sommes ici au cœur même de sa doctrine : la notion volontariste-scotiste du péché l’oblige à rejeter la tradition concernant la transmission d’une faute originelle (Erbschuld). En d’autres termes, il se fait de la responsabilité une idée stricte qui la restreint à l’individu et empêche de parler d’une culpabilité résultant de la faute originelle. En même temps il dissocie ces deux éléments : Erbsiinde et Erbschuld. Le péché originel (Erbsiinde) existe, mais à titre de maladie héréditaire — Zwingli dit, en dialecte : der Prest ; latin morbus — qui produit seulement une propensio ad peccandum (C. R., v, 376, 16 ; Sch.-Sch., vol. v, p. 24), mais n’est pas le péché lui-même. Zwingli tire de la scolastique la distinction de Vhabitus et de l’acte, qui est étrangère à Luther. Le péché originel subsiste à titre d’habilus (Zuslândlichkeit ) et il est, si l’on veut, fomes peccati (actualis), entendez : de lui procèdent sans cesse de nouveaux péchés actuels, mais l’acte de péché (ou péché actuel) suppose en sus une décision volontaire. À vrai dire, cette décision ne peut manquer et elle est déjà virtuellement donnée dans l’état dépravé, der Prest, hérité d’Adam, cet égoïsme foncier dont on a parlé plus haut. Étant ainsi disposé, il est fatal que tout ce que l’homme fait, il le fasse par amour exclusif de soi et contre la loi naturelle (amour de Dieu et du prochain). Et justement le péché originel est plutôt fatalité (Verhângnis) que faute, culpabilité (Schuld) (cf. C. R., v, 372, 7-9). Si donc l’homme déchu est condamné, ce n’est pas directement à raison du péché originel, mais seulement indirectement, pour autant que cette pente fatale au mal qui s’appelle der Prest se traduit effectivement et constamment par des péchés actuels.

Ainsi, en accentuant l’aspect volontaire-individualiste et juridique du péché — le péché est la transgression volontaire de la loi de Dieu — Zwingli rompt l’équilibre de la doctrine traditionnelle ; mais il se ménage une position apparemment très forte contre l’anabaptisme. car il n’a plus dès lors aucune difficulté à immuniser les enfants de la faute originelle. Puisque, là où il n’y a pas transgression volontaire, il n’y a pas de faute, et que les enfants ne sont pas capables de pareille transgression (C. R., iv, 316, 28 ; v, 390, 7 sq. ; vm, 739, 3), ils sont exempts de la faute originelle, mais non pas du Prest ou maladie héréditaire qui sommeille en eux et ne révélera que plus tard toute sa malice (cf. la comparaison du louveteau, C. R., iv, 308, 31). C’est sur cette question que Zwingli se sépare de Luther, ce dernier maintenant dans toute sa rigueur la faute, originelle, l’efficacité sacramentelle du baptême et admettant, comme un subterfuge, la fides parvulorum.

Troisième période : Controverse avec Luther. De V « Apologie à Urbanus Rhegius » (1526) à l’article IV de Marburg (1529) et à la Confession de foi, « Fidei ratio » (1530). — Luther eut connaissance du Taufschrift. Il y flaira un retour au pélagianisme et à la justice des œuvres. Selon son habitude, il confond et enveloppe sous la même étiquette des adversaires que séparent cependant bien des divergences. Derrière Zwingli se profile l’ombre d’Érasme : plus tard, il associera Zwingli et Carlstadt (à propos de la Cène). Il fait transmettre par Caselius ce message aux Strasbourgeois : « Zwingli n’a jamais connu le Christ, car il