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3785 ZWINGLIANISME. THÉODICÉE ZWINGLIENNE. CRITIQUE 3786

conscience d’être l’instrument choisi de Dieu. La foi en la Providence, écrit-il en terminant le De Providentiel, « est le véritable antidote contre la bonne et la mauvaise fortune >. Dans le bonheur, elle nous incite à l’action de grâces, à la vigilance et à la conscience de nos responsabilités ; dans le malheur, elle apporte la consolation et fomente la patience. Loin de pousser au quiétisme, la confiance en la Providence décuple les forces : « Tu es l’instrument de Dieu, il veut t’utiliser pour le travail et non pour l’oisiveté. Heureux es-tu, toi que Dieu a choisi pour son œuvre » {ibid., p. 141. c. init.). C’est là le secret, ou le ressort caché, de l’activisme réformé.

En définitive, le Dieu de Zwingli, ce n’est ni le gnàdige Gott de Luther, ni le Dieu impassible des Anciens : c’est le Dieu tout-puissant et universellement opérant, le Dieu-Esprit, à la fois lumière des esprits et énergie des volontés. Lui-même étail homme d’action ; il lui était bon de sentir son action portée par une causalité plus profonde et plus efficace que la sienne. Pour être instrument, mieux, jouet entre les mains du Tout-Puissant, il eût consenti au sacrifice de son libre arbitre. Il lui était indilïérent, chantait-il dans le Pestlied, d’être conservé ou « brisé ». Son tempérament fougueux s’allie ici avec sou radicalisme philosophique, et sa théologie tourne le fatum de l’humaniste en le Dieu qui prédestine.

Critique.

La théodicée de Zwingli prête manifestement

le flanc à la critique ; il semble même que ce soit de toutes les pièces de son système la plus vulnérable. De nos jours, on lui a surtout reproché son panthéisme et son déterminisme. Ainsi notamment du côté catholique (cf. récemment Theodor Schwegler, O. S. B., Geschichte der kalholischen Kirche in der Schtveiz, Stans, 1943, p. 170 sq.). Qu’en penser ?

1. On relève, en effet, dans le De Providenlia de nombreuses expressions panthéistes. Zwingli entend marquer fortement la dépendance des créatures par rapport à Dieu : disons donc non seulement qu’elles sont de Dieu, en Dieu et par Dieu, mais que Dieu est leur être : ld enim est rerum universurum esse (Sch.-Sch. , vol. iv, p. 89 ; cf. C. R., iii, 645, 28 : Essentiam et consislentiam esse rerum omnium). Bien plus, Dieu est considéré un moment comme la matière de laquelle elles sont issues : Tanquum materiam aliquum id esse, a quo omnia sunt (C. R., iii, 047, 7). Ailleurs cependant Zwingli enseigne clairement la distinction des choses d’avec Dieu (cf. Scli.-Sch., vol. iv, p. 89 : Non etiam secundum definitiuam substantiam, neque secundum speciem ; ibid., p. 86 : In novo subiecto et nova specie). Mais ce n’est pas de mots qu’il s’agit ici, mais bien de l’inspiration profonde d’un système. Or il est certain que Zwingli est porté, pour des motifs religieux, à exagérer, bien loin de la réduire, la distance qui sépare la créature du Créateur. Le tout de Dieu et le néant de la créature : telle est son intuition, disons mieux, son expérience religieuse fondamentale, équivalente (mais traduite volontiers chez lui en termes métaphysiques) à ce qu’a pu être pour Luther l’expérience de la grâce et du péché.

Seulement, Zwingli a été mal servi par ses emprunts philosophiques, comme aussi par le tour logique de son esprit. Tandis qu’il écrit le De Providenlia, il est sous l’influence de la pensée néo-platonicienne et du stoïcisme. Ainsi, par une vue apparentée au néo-platonisme, il entend donner à Dieu, souverain bien, le maximum de réalité, quitte à dénier aux choses toute réalité, ou à faire consister celle-ci flans l’Immanence divine. À la théodicée de la Stoa appartient d’autre part essentiellement sa foi en la Providence. Puisée chez Cicéron et Sénèque, elle apparaît en plein relief d.ins le Dr Prui>idrntia de Zwingli. La bonté de Dieu, sa vérité et sa puissance sont esquissées

DICT. DE THÉOL. CATHOL.

à’la manière stoïcienne. Stoïciens sont également : l’immanence de toutes les créatures en Dieu, telle que Zwingli l’enseigne, son déterminisme et son universalisme religieux, qui lui fait trouver dans toutes les religions des traces de la Révélation (P. Barth-A. Goedeckemeyer, Die Stoa, Stuttgart, 1941, p. 282). En outre, il faut faire la part de l’ellort logique qui, se dépassant soi-même dans son élan, semble aboutir au panthéisme. Comme l’écrit V. Thomas : « La force de la logique le conduit jusqu’au panthéisme, mais sa pensée intime demeure théiste » (op. infra cit., p. 30).

2. Quant au déterminisme, s’étendant au mal lui-même, Zwingli est formel : Guactus est ad peccandum. Permilto, coactum esse (Sch.-Sch., vol. iv, p. 112). Et nous savons que dans la querelle avec Érasme, sur le libre arbitre, il est du côté de Luther (cf. col. 3795). Cependant, il n’a jamais spéculé sur la négation du libre arbitre avec le raffinement d’un Luther (cf. Max Staub, Das Verhâttnis der menschtichen Willens(reiheit zur Gottestehre bei Martin Luther und Huldreich Zwingli, Diss., Zurich, 1894), et surtout il n’a jamais pu entièrement se soustraire à l’influence d’Erasme et de l’humanisme qui lui avaient dicté ses vues premières en ce domaine, nettement positives, comme sa conception générale de l’homme. La négation du libre arbitre va d’ailleurs mal avec sou activisme, et il semble que Zwingli reprenne dans sa morale une partie de ce qu’il a accordé dans sa théodicée — ou, si l’on veut, il distingue entre l’état de l’homme avant et après la régénération. Entièrement dépouillé du libre arbitre aussi longtemps qu’il est pécheur, l’homme régénéré devient souverainement libre, participant à la liberté de Dieu qui se sert de lui comme d’instrument, ou du moins // agit comme tel.

Pourquoi Zwingli défend-il néanmoins la thèse déterministe ? Parce qu’il se pose en adversaire du catholicisme. Il entend se livrer à une critique radicale de la doctrine du mérite et des œuvres (cf. G. H., ix, 31, 2 : « Voilà notre canon. Par lui nous sommes garantis contre tous les traits tirés des Ecritures en faveur du libre arbitre » ; cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 1 16). Pour cela, il ne se contente pas de mettre en valeur comme Luther la grâce de Dieu, qui rend tout mérite impossible et superflu : 17 passe du plan psychologique au plan métaphysique et supprime radicalement toute possibilité de mérite en niant le libre arbitre. Il va comme à la racine ontologique de tout l’appareil des œuvres qu’il rejette. De même, il lutte pour l’épuration de la religion, et en particulier il combat contre le préjugé du vulgaire selon lequel quelque chose peut arriver que Dieu n’ait point prévu. Ici encore, afin de mieux enfoncer le clou, Zwingli se lance dans une interprétation mécaniste de l’univers : s’il admet le miracle (Sch.-Sch., vol. iv, p. 124, 129), il rejette le hasard (ibid., p. 98, 131 : Forluitorum nomen a rera retigione abhorrel ; 135, 137) et écarte le libre arbitre (ibid., p. 116, c. med. ; 124 ; C. R., iii, 843, 24). Cependant la thèse déterministe ne résout pas toutes les énigmes, et la pensée de Zwingli demeure parfois en suspens devant le caractère insondable des desseins divins (Sch.-Sch., vol. iv, p. 110, c. fin.). Le rationalisme n’a donc pas chez lui le dernier mot.

3. La théodicée zwinglicnnc est plus sujette à caution par son volontarisme. Afin de décharger Dieu de toute responsabilité à l’égard du mal, que pourtant il cause, et de sauver ainsi sa sainteté, Zwingli imagine d’affirmer la supériorité de Dieu à l’égard de la loi qu’il a posée, c.-à-d. fondamentalement de la distinction du bien et du mal (Srh.-Sch.. vol. iv. p. 104). Dieu est volonté pure, irrationnelle (on sous -entend, toujours selon le volontarisme, que l’infraction volont’iirr de la loi est la raison même du péché ; cf. infra. col. 3796). Par ailleurs, la loi se définit uniquement en

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