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ZWINGLIANISME. LA PRÉDESTINATION CHEZ ZWINGLI


dence, mieux, elle est la Providence même » (C. R., m, 843, 15) dans son rapport à l’humanité et au salut. Il serait erroné de penser que la supériorité de l’homme à l’égard du reste de la création lui confère une sorte d’indépendance à l’égard de Dieu (cf. à l’inverse : Sch.-Sch., vol. iv, p. 92, c. fin. : quæque quo est nobilior eo plus prædicat divinam gloriam et potentiarn). Érasme et les défenseurs du libre arbitre ont bien cherché à le soustraire tant soit peu (pusillulum) à l’emprise de Dieu (ibid., p. 138, c. fin.) ; Zwingli, de son côté, tend à l’y ramener : « Tout ce qui concerne l’homme, que ce soit son corps ou son âme, vient de Dieu comme de l’unique et vraie cause » (ibid., p. 125, c. med.). « La vie et l’activité de l’homme ne tombent pas moins sous la Providence divine que sa naissance et sa venue à l’être » (ibid., p. 126, c. med.). Dieu règle non seulement le cours extérieur de notre vie, mais le déroulement intime de nos pensées, conseils, résolutions (ibid., 133, 139), et le déclenchement même de nos rêves (ibid., p. 132).

Cependant, à la Providence, la prédestination ajoute un élément nouveau : la division de l’humanité en deux classes : les élus et les réprouves. Pour n’avoir point donné à cette opposition tout le tragique d’un Luther et envisagé le drame mondial sous un aspect métaphysique — le démon ne joue pas le même rôle chez lui que chez Luther (contre, W. Kôhler ; cf. Sch.-Sch., vol. ii, t. ii, p. 27, et Spôrri, Zwingli Studien, p. 15) — Zwingli n’en a pas moins maintenu dans toute sa force le dualisme anthropologique et moral. Il rompt ici avec le rationalisme pour se reporter aux données de la foi chrétienne, mais cette rupture n’est pas totale, car Zwingli affirme que la causalité divine demeure entière même dans le cas des réprouvés (cf. C. R., ix, 30, 34) : « Qu’ils disent donc que c’est en vertu de la Providence divine qu’ils sont traîtres et homicides : nous le leur permettons, nous disons en effet comme eux, mais nous ajoutons ceci : que ceux qui font cela sans correction ni pénitence sont destinés par la Providence divine aux supplices éternels pour servir d’exemples à sa justice » (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 112).

On peut interpréter sa thèse comme un effort pour rationaliser le mal en le faisant rentrer dans le plan divin par le biais du déterminisme le plus dur. Élus et réprouvés se rejoignent sur le plan des attributs divins, les uns étant destinés à manifester la miséricorde de Dieu, les autres sa justice, et tous concourant à la gloire de Dieu (Sch.-Sch., vol. iv, p. 108, 134). C’est déjà le motif de la théologie réformée (cf. C. R., ii, 720, 24 ; iii, 143, 31 ; 465, 6.23 ; 530, 24 ; 668, 31, et passim). Cependant, comme le remarque Sigwart (Ulrich Zwingli, p. 62), Zwingli entend faire de la bonté de Dieu la source de la prédestination (cf. Sch.-Sch. , vol. iv, p. 111, 115 ; C. R., iii, 650, 25 ; 908, 33), au lieu de la placer dans la justice ou dans la gloire, comme Calvin. De même, ayant défini la prédestination : la libre détermination de la volonté de Dieu concernant les élus (libéra diuinæ uoluntatis de beandis constitutio : Sch.-Sch., vol. iv, p. 113, c. med.), Zwingli ajoute que cette détermination, synonyme de libre choix ou d’élection, ne regarde que les élus (ibid., p. 115) ; les réprouvés y rentrent, mais à un autre titre (quamvis et de illis constituât divina voluntas, sed ad repellendum, abiieiendum et repudiandum). Aussi, tout en maintenant que la réprobation est l’œuvre de la volonté divine aussi bien que l’élection (ibid., p. 115-116), Zwingli fait-il de préférence porter son attention sur celle-ci. Par ailleurs, fidèle à l’inspiration qui lui a dicté son Pestlied (cf. C. R., i, 67, 24 : mach ganlz ald brich), il se plaît à exalter le bon plaisir — on dirait : l’arbitraire divin — dont il croit trouver l’expression dans

l’Écriture, notamment dans Rom., ix, 21 (C. R., m, 844, 21 ; cf. ii, 180, 1). Dieu « ordonne ses vases, c.-à-d. nous autres hommes, comme il veut ; il choisit l’un pour en faire un vase adapté ; de l’autre, il ne veut pas. Il peut maintenir ses créatures dans leur intégrité ou les briser à son gré… » (C. R., ii, 180, 10 ; voir aussi Sch.-Sch., vol. iv, p. 108-109, 112).

3. En ce qui concerne les élus, l’élection est la grande réalité salvifique, et la foi n’en est qu’une sorte de duplicatum en nous. Le mouvement va de Dieu à Dieu, du Dieu qui prédestine au Dieu qui récompense. Zwingli argue de Rom., viii, 29, mais il ne conçoit pas la justification comme l’acte marquant l’exécution dans le temps du plan divin ; elle est plutôt le signe ou le double d’une réalité extra-temporelle, qui concentre sur soi toute la lumière. La foi est le signe de l’élection « qui est vraiment source (ou cause) de notre béatitude » (qua vere beamur). Notons ici encore la dialectique de l’apparence et de la réalité. — La foi est donnée par Dieu à ceux qui sont élus et ordonnés à la vie éternelle, en sorte que l’élection précède et que la foi suive comme symbole de l’élection » (Sch.-Sch., vol. iv, p. 121, c. fin.). Corollaire : la foi participe à la fixité même de l’élection, d’où son inamissibilité. Car, Zwingli y insiste : « l’élection demeure ferme, alors même que l’élu tomberait dans des crimes aussi énormes que les impies et les réprouvés, à cette différence près que chez les élus ils sont une occasion de relèvement, chez les réprouvés une cause de désespoir (ibid., p. 140). Il s’agit, bien entendu, non seulement d’une foi informée par la charité, mais d’une foi bien ancrée dans l’âme et qui a fait ses preuves. L’inconstance dans les tribulations est le signe que l’on n’avait qu’une foi simulée (ibid., p. 122, c. fin). De même, prendre occasion de l’inamissibilité de la foi pour pécher est un signe de non-élection.

Des œuvres, il faut dire que, encore que non méritoires, elles ne sont pas facultatives. Quelle est donc leur fonction ? Elles concourent à manifester à soi et aux autres la foi, c.-à-d., au fond, l’élection. Car, ceux qu’il prédestine. Dieu les garde en vie et les pousse à accomplir de bonnes œuvres ; en revanche, chez les autres, la mauvaise vie est un signe de réprobation (ostendit, prodit ; ibid., p. 127, c. med.). Ajoutons que chez les enfants, la mort prématurée est un signe d’élection au même titre que la foi chez les adultes (contre la fides parvulorum de Luther ; cl. ibid., p. 127, c. med. ; Zeller, Das theologische System Zwinglis, p. 49-50). De même, le problème du salut des païens trouve ici sa solution : rien n’empêche Dieu de se choisir même parmi les païens des âmes qui le révèrent, pratiquent la justice et lui soient unies après la mort, car son élection est libre : libéra est enim eleclio eius (Sch.-Sch., vol. iv, p. 123). Comme l’écrit A. E. Burckhardt, Zwingli trouve le moyenterme de la prédestination pour béatifier les païens. Son spiritualisme l’y aide » (Das Geistproblem bei Huldrych Zwingli, p. 72).

4. Conclusion.

Finalement, si l’expérience du bien et du mal l’oblige à modifier le rationalisme de son système, Zwingli n’en cherche pas moins à éliminer l’irrationalité du mal en transportant dans l’essence même de Dieu, en qui toute contingence s’absorbe, le dualisme rencontré. Dieu n’est-il pas le seul être, la seule réalité, c.-à-d., pour Zwingli, tout l’être, en dehors duquel il n’y a rien ? Le mal ne pose plus dès lors de problème spécial, sinon celui de l’accord entre eux des attributs divins. En le traitant ainsi, Zwingli s’évade de la sphère du pessimisme luthérien, qui conduit au découragement, au désespoir. La note morale dominante de son système est, à l’inverse, l’optimisme de celui qui s’exalte par la