Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1126

Cette page n’a pas encore été corrigée

3781

ZWINGL1ANISME. PROVIDENCE ET PRÉDESTINATION 3782

n’est point statique ou oisive. C’est une idée familière à Zwingli que Dieu, souverain bien, est aussi le moteur universellement agissant (Entéléchie). Mais cette force ou activité doit être conçue de façon spirituelle : c’est dire qu’elle inclut chez son auteur des attributs intellectuels, tels que : sagesse, prudence, prescience. Finalement, cette sagesse doit être bonté bienfaisante et libérale : nous sommes ainsi aiguillés vers la considération de la Providence. Comme le remarque P. Wernle, « Zwingli est théiste dans sa manière de déduire du bien suprême la bonté et la libéralité de Dieu : cette inférence présuppose l’existence des créatures et détermine de plus près la relation de Dieu avec elles. Il faut lire cette doctrine de Dieu à rebours : le Dieu de Zwingli est le Dieu de la theologia naturalis, le Dieu de la toute-puissance, de la sagesse et de la bonté, le Dieu provident ou le paterfamilias de l’univers » (Zwingli, 1919, p. 151).

Le De Prooidenlia (Sch.-Sch., vol. iv, p. 81 sq.) révèle une maîtrise dialectique plus grande encore. Le traité se développe comme un théorème, à partir cette fois de l’idée de souverain bien (et non plus d’Être). D’autre part, les réflexions de Zwingli l’ont conduit à donner à la doctrine de la Providence et de la prédestination un relief spécial. « La Providence a pris dans sa pensée la place qu’occupe la grâce chez Luther. Elle inclut sans doute pour lui aussi toute grâce émanant de Dieu, mais elle est aussi l’idée de compréhension universelle, qui renferme en soi toute l’action de Dieu, en bien ou en mal, pour notre salut comme pour notre condamnation ; et avec cela, son nom même imprime à cette doctrine le cachet du Bon et du Divin » (P. Wernle, op. cit., p. 246-247). C. von Gugelgen a pu écrire que la doctrine de la Providence était « le principe matériel du zwinglianisme » (Die Ethik Huldrych Zwinglis, 1902, p. 34) : disons mieux, elle est l’âme de son système.

On a prétendu (Mohler) que la doctrine zwinglienne de la Providence et de la prédestination était d’origine tardive ; à peine esquissée dans le Commentaire et la Fidei ratio, elle serait seulement développée dans le De Providentia et la Christianæ fidei expositio. En fait, cette doctrine est bien dégagée dans la Fidei ratio, art. ii-vi (Sch.-Sch., vol. iv, p. 4-8) ; et surtout elle se trouve dans des ouvrages bien antérieurs au De Providentia (cf. l’art. 20 de Y Auslegung der Schlussreden, C. R., ii, 182, 14 sq. ; voir aussi la Declaratio de peccato originali, ibid., v, 377, 31 sq. ; la lettre d’Urbanus Rhegius et la réponse de Zwingli, ibid., viii, n. 532, 537). Il faut faire aussi état d’une lettre à Fridolin lirunner (Fonteius), du 25 janvier 1527 (C. R., ix [n. 580], 30-31) : elle montre que l’idée de Providence est dès cette date au centre des préoccupations dogmatiques de Zwingli : « Quoi que les hommes pensent et disent de Dieu et des choses invisibles, il faut pourtant que l’opinion l’emporte qui affirme que tout est gouverné par la Providence divine. » En cette notion de Providence se résument pour lui les attributs de bonté, sagesse et puissance ; la méthode d’argumentation est purement logique, comme dans les autres traités. Zwingli nous enferme dans un dilemme : ou Dieu ne peut pas tout, et il n’est pas tout-puissant ; ou il ne veut pas tout, et il n’est pas souverainement bon, etc. Et il conclut : Nous ne pouvons donc croire que rien n’arrive en dehors de sa décision et de sa Providence. » Reste à écarter les conséquences qu’on prétend tirer de cette doctrine : l’action mauvaise a sans doule Dieu pour auteur, mais elle est un signe de réprobation, et ceci même illustre la bonté divine, que les réprouvés se trahissent par des signes. Zwingli n conscience d’avoir élevé contre les partisans du libre arbitre un édifice dogmatique Inexpugnable. Mais il ajoute cette recommanda tion importante : « Mais prends garde de ne parler de ces choses que délicatement et surtout rarement au peuple, car de même que les gens pieux sont peu nombreux, de même bien peu parviennent à la hauteur de cette intelligence » (C. R., ix, 31, 3-5).

Donc, si les ouvrages antérieurs contiennent en effet quelque réticence, celle-ci ne doit point nous faire illusion : Zwingli est en possession de sa doctrine maîtresse, mais il craint de la révéler à la masse des fidèles ; il préfère s’en entretenir avec quelques initiés. Ainsi a-t-il fait de sa doctrine eucharistique (cf. infra, col. 3826). Ce trait est à retenir, car il montre combien le système zwinglien, de l’aveu même de son auteur, a dès son origine un caractère ésotérique et peut difficilement prétendre à la catholicité. Dans ce cas, c’est sans doute l’anabaptisme qui obligea Zwingli à sortir de sa réserve (cf. A. Hahn, dans Theolog. Sludien und Kritiken, x, 2, 1837, p. 770, 771) et l’on sait, d’autre part, que le sermon prêché à Marburg, devant Philippe de Hesse, fut l’occasion du De Providentia. Mais la doctrine plonge ses racines dans le passé studieux de Zwingli — il a acquis à l’époque de Glarus, preuve que sa curiosité était éveillée de bonne heure sur ce sujet, le Liber de Providentia Dei contra Philosophrastos de Joli. Franz Pic de la Mirandole (Strasbourg, 2e éd., 1509), et le Chrysopassus seu VI Cenluriæ de Prædestinatione de Joh. Eck (Augsbourg, 1514) (cf. Usteri, Initia Zivinylii, ut supra, p. 637 et 647) — et plus encore dans sa conscience religieuse. La notion de Providence entendue comme omniprésence agissante de Dieu (Allwirksamkeit) correspond à ce qu’il y a de plus personnel et décisif dans son expérience religieuse intime (cf. C. R., i, 67, 21, et supra, col. 3762).

Il n’en est pas moins vrai que dans l’opuscule où il traite ex projesso de la question, Zwingli délaisse le terrain de l’expérience et même de l’histoire pour se cantonner dans des considérations purement rationnelles. Il connaît cependant une preuve de la Providence à partir du cours des événements humains (C. R., i, 486, 11 ; ii, 49, 13 ; iii, 908, 17), de même qu’il y a une preuve téléologique de Dieu (cf. Sch.-Sch. , vol. iv, p. 92-93, 99). S’il néglige de produire ici ces témoignages ou ne le fait qu’en appendice, c’est qu’il cherche surtout à convaincre par la rigueur logique de sa thèse ; c’est aussi qu’il craint que la réalité ne vienne donner un semblant de démenti à son optimisme métaphysique. Dieu étant bon, rien n’arrive que pour le bien ; le mal a seulement valeur d’accident dont les conséquences sont vite réparées et tournent à bien. Aucune dérogation au plan divin n’est possible, ou si elle l’était, elle constituerait une brèche faite à l’idée de Dieu, telle que Zwingli la conçoit. Zwingli est ainsi poussé dans la voie du déterminisme : Dieu étant l’auteur ou l’agent universel, et sa causalité toute-puissante et infaillible s’étendant à toutes choses, aussi bien au mal qu’au bien. Plus encore, la contingence ou l’histoire perd son sens dans sa pensée, le déroulement des événements ne semblant avoir d’autre Finalité que de donner aux attribut* divins, à la justice et à la miséricorde tour à tour, l’occasion de s’exercer. Un épisode aussi effroyable que la chute de l’homme passe dans ce contexte presque inaperçu, ou il rentre, grâce à la Rédemption qui la suit et qu’elle appelle infailliblement, dans l.i logique du plan divin (Sch.-Sch., vol. iv, p. 107 sq.).

2. l’assaut de la Providence à la prédestination,

ZwtngH suit la mente logique Implacable, il s’agit de

démontrer que rien n’est soustrait à la prescience et à la toute -puissance divine, pas même la volonté per el obstinée « in pécheur. La prédestination, « pu est synonyme de préordination, résulte de la Provi-