Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1125

Cette page n’a pas encore été corrigée
3779
3780
ZWINGLIANISME. THÉODICÉE


versalisme spiritualiste. Voir de même, à propos de Act., xvii, 28 : C. R., ta, 646, 27 sq. Bien entendu, cette croyance indistincte et inefficace reste bien inférieure à la foi, qui seule nous renseigne sur la nature intime de Dieu, sur ses attributs, et surtout nous met, par rapport à lui, dans l’attitude convenable ; ici encore Zwingli se plaît à souligner l’origine divine et toute surnaturelle de la foi : Solius ergo dei est, et ut credas deum esse, et eo fidas (ibid., 642, 36).

2. Que penser de la connaissance philosophique de Dieu ? Dans les Schlussreden, la philosophie est synonyme de sagesse et d’invention purement humaine (C. R., ii, 94, 21. 28) ; elle tombe donc sous la censure qui affecte tout ce qui est « chair » (ibid., 98, 29 ; voir aussi C. R., ii, 26, 26). Dans le Commentaire, Zwingli écrit : « Tout ce qui est emprunté par les théologiens à la philosophie sur ce sujet : quid sit deus, est fausse religion » (C. R., iii, 643, 20). Il admet cependant, comme jadis les Pères apostoliques, que « certaines semences » de vérité ont été répandues par Dieu parmi les Gentils, mais avec parcimonie et non sans mélange d’obscurité. Il s’en tiendra donc à ce que la Révélation nous apprend de Dieu. Dans le De Providentiel, les horizons changent : non seulement Zwingli conduit sa preuve en pur dialecticien — lui-même en prend soudain conscience : ne traite-t-il pas son sujet « trop philosophiquement » ? — mais il cite pêle-mêle comme autorités : « Moïse, Paul, Platon, Sénèque » (Sch.-Sch., vol. iv, p. 86) ; il en appelle à la Bible, Platon, Sénèque et les pythagoriciens (ibid., p. 93). C’est que le même Dieu, le Dieu de la Révélation chrétienne, qui est Esprit, est aussi le Dieu des philosophes et des sages de l’Antiquité. « Est divin tout ce qui est vrai, saint et infaillible. Mais Dieu seul est vérité. Qui donc dit la vérité parle sous l’impression de Dieu » (ibid., p. 95). Comme le souligne L. von Murait (Zwinyliana, v, 339), le concept universaliste de vérité n’est pas propre à Zwingli, il le doit à Érasme et aux humanistes ; il lui a seulement communiqué un accent religieux. Quel que soit le canal qu’elle emprunte pour parvenir jusqu’à nous, la vérité est de Dieu, elle mérite qu’on y acquiesce et remonte jusqu’à sa source. Le choix même des termes dont Zwingli se sert pour désigner l’essence de Dieu ou ses attributs s’inspire de ce syncrétisme : tantôt il s’en tient aux appellations traditionnelles et son Dieu rappelle le « Bon Dieu » des chrétiens (cf. C. R., ii, 218, 31) ; tantôt il le désigne comme le Deus optimus maximus des païens et recourt au vocabulaire aristotélicien (primus motor, Sch.-Sch., vol. iv, p. 87 ; Entéléchie, C. R., iii, 645, 30) ou stoïcien (nature, C. R., ta, 641, 16 ; Sch.-Sch., vol. iv, p. 90).

3. Dieu a laissé dans sa création des « images et vestiges de soi » (C. R., iii, 643, 6) ; l’emploi de l’analogie n’est pas exclu (cf. par ex. C. R., ii, 475, 8 sq. ; m, 645, 14 sq. ; Sch.-Sch., vol. ii, t. i, p. 207 ; vol. iv, p. 143, c. med.). Cependant le sentiment qui domine chez Zwingli est celui de la transcendance de Dieu : Multa tribuimus angelis et Deo, quee in se non habent, sed loqui nostro more cogimur (Sch.-Sch., vol. vi, t. ii, p. 221). Nous attribuons à Dieu des qualités ou des mœurs que par nature il n’a pas : c’est ce que Zwingli nomme qôOTroiîa, et il cite comme exemples : la session de Dieu au ciel, les conseils qu’il tient avec ses anges ou avec soi-même (avant la création de l’homme), la venue du Fils de l’Homme du haut du ciel, la Kénôse du Christ, etc. Zwingli ne s’est pas davantage expliqué sur ce procédé, mais, si l’on en croit O. Ritschl, « qu’il n’ait pas hésité à le faire valoir fait de lui le précurseur d’une philosophie religieuse telle qu’elle a trouvé son expression la plus complète — si l’on omet nombre de théologiens réformés où la ressemblance est moins accusée — dans

la critique de la raison pure de Kant, la doctrine des attributs divins chez Schleiermacher, la théorie du pressentiment religieux de Fries, la théologie de de Wette, le symbolo-fidéisme de Sabatier et autres manifestations semblables du protestantisme contemporain » (O. Ritschl, Dogmengeschichle des Protestantismus, m, 1926, p. 66-67).

Il semble du moins que le sentiment si vif qu’il avait de la simplicité et de la transcendance de Dieu ait rendu Zwingli plus accessible aux vues néo-platoniciennes qui avaient cours de son temps, notamment dans le cercle des humanistes italiens, ou dont il eut connaissance par le stoïcisme et la mystique dionysienne. Ainsi la croyance rationnelle en Dieu le cède devant la foi, qui elle-même devient contemplation de Dieu envisagé dans la simplicité de son essence (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 96, 110, c. fin., 114, 116, 141, 142). Toutes les expressions humaines sont ici défaillantes. Finalement il n’y a à nous renseigner sur Dieu que Dieu lui-même, qui par son Esprit se communique à ses fidèles : à ceux-ci Dieu est tout (lis enim deus omnia est ; C. R., ta, 654, 2). C’est pourquoi ils peuvent parler de Dieu. Les termes qu’ils emploient : « être, vie, paternité, lumière, omnipotence », etc., ne sont que l’écho de leurs expériences religieuses intimes. L’Écriture elle-même ne fait pas exception : elle traduit l’expérience religieuse de ses auteurs (quod sancti dei homines experti ; ibid., 654, 4). Zwingli rejoint ici certaines théories modernes. Ce qu’il appelle interna fides (ibid., 9), c.-à-d. une foi qui n’a que faire des objets extérieurs, concepts ou symboles, et ne dépend pour sa substance que de Dieu et de la touche de l’Esprit, est bien près de ce que nous entendons par expérience religieuse personnelle. Ainsi Zwingli, qui plus que personne s’est laissé aller à ratiociner sur Dieu — ses dissertations dans le Commentaire et le De Providentia sont des constructions logistiques à partir d’une idée a priori ou intuition maîtresse : Dieu premier être ou souveraine bonté

— se défend finalement de vouloir enseigner la connaissance de Dieu » en s’appuyant sur des motifs de persuasion humaine » (C. R., iii, 654, 14).

4. Concluons avec L. von Murait : « La connaissance philosophique de Dieu vient ici pour inspirer à l’homme, de quelque manière que ce soit, un vif sentiment de la grandeur et de l’activité infinie de Dieu. Cette connaissance de Dieu n’a de sens que quand elle saisit l’homme et fait qu’il mette en Dieu uniquement sa confiance, quand une relation personnelle s’établit en suite d’elle, qui devient pour l’homme une source d’obligation. Ainsi la connaissance philosophique de Dieu n’est pas pour Zwingli un butoir ; elle est plutôt un appui puissant, du fait qu’il reconnaît intellectuellement la nécessité et la réalité de Dieu et qu’il a su appliquer ces vérités à sa vie pour les rendre fécondes » (Zwinglis dogmaiisches Sondergul, dans Zwingliana, v, 1932, p. 364).

2° Notion de Dieu. Providence et prédestination. — On trouve des éléments de théodicée dans l’Auslegung der Schlussreden (C. R., ii, 40, 13 ; 47, 31 ; 181, 2 ; 224, 6-15 ; 227, 23 ; etc.), mais c’est surtout dans le Commentaire (1525) et le De Providentia (1530), auxquels on peut ajouter (en langue vulgaire) le Sermon de Berne (1528) (Sch.-Sch., vol. ii, t. r, p. 203-208), que Zwingli fait de Dieu l’objet propre de sa considération. Aussi bien, de l’idée que l’on se fait de Dieu découle l’essence de la religion, et « la connaissance de Dieu a une priorité naturelle sur celle du Christ » (C. R., iii, 675, 33).

1. Dans le Commentaire (C. R., iii, 643 sq.), Zwingli part de la notion d’Être premier, existant par soimême et source de tout être. Être suprême, Dieu est souverain bien et absolue perfection. Or celle-ci