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ZWINGLIANISME. LE SPIRITUALISME ZWINGLIEN


affecte tout ce qui relève de l’homme naturel (cf. C. R., ii, 73, 5-7 ; 81, 3), et Zwingli maintient strictement la surnaturalité de la foi. Cependant, plutôt que de croire au miracle eucharistique, c.-à-d., à son jugement, à l’absurde, il préfère donner à la raison ou au sens commun, à côté de la foi, sa place, et finalement il se refuse à séparer la foi de l’ensemble de l’attitude religieuse. Il se meut dès lors dans la ligne du syncrétisme : d’où le caractère de ses derniers ouvrages. Nous ne croyons pas que l’abus que faisaient les anabaptistes de l’Écriture ait contribué à saper à ses yeux l’autorité de celle-ci (cf. W. Kôhler, C. R., ni, p. 233 ; A. E. Burckhardt, op. cit., 39 ; en sens contraire, Sigwart, op. cit., 48, et Spôrri, art. cit.). En revanche il a été conduit par les excès de l’illuminisme à atténuer certaines conséquences qu’on prétendait tirer de son spiritualisme mystique. Mais, quant au principe, celui-ci est demeuré sauf : il est allé sans cesse en s’approfondissant et en s’élargissant.

IV. CONCLUSION : LE SPIRITUALISME ZWINGLIEN. —

Il est difficile d’apprécier dans toute sa vigueur et son ampleur le spiritualisme zwinglien. A. E. Burckhardt, qui s’y est essayé (cf. Das Ceistproblem bei Huldrych Zwingli. dans Quellen und Abhandlungen zur schweizerischen Reformationsgeschichie, îx, Leipzig, 1939), procède par catégories forgées d’avance, sous lesquelles les textes de Zwingli sont invités à se ranger ; il ne parvient pas à donner une vue synthétique du sujet et à montrer le rôle qu’a joué le Geistprinzip dans la conscience et l’œuvre de Zwingli. Principe unificateur et vivant, s’il en fut, où il puise la part la plus notable de son inspiration, et non pas schème abstrait, dont il est intéressant de relever les variations. Ce principe fait échec à celui de la suffisance de l’Écriture, dont pourtant on se réclame, au sola Scriptura, du moins pris dans sa littéralité. P. Wernle tente cependant de les concilier : « Ce que Zwingli entendait exprimer, avec ces formules tranchées sur l’Écriture et l’Esprit, est au fond ceci : pour un cœur pieux, il n’y a, en définitive, point d’autre autorité que Dieu seul. Certes, pour Zwingli, Dieu nous parle à partir des paroles bibliques, mais que la parole de la Bible nous prenne au cœur et à la conscience et qu’elle nous persuade intérieurement, c’est là l’œuvre de Dieu même opérant au plus intime de nous-mêmes ; aucune science humaine n’y atteint… De la sorte, la Bible cesse d’être une autorité étrangère et hétéronome pour devenir un instrument de l’Esprit de Dieu agissant en nous en toute liberté et l’immédiateté de notre accès à Dieu est à nouveau restaurée. C’est là le point central de la pensée zwinglienne sur la Bible et sa compréhension » (Zwingli, 1919, p. 15). Nous ne croyons pas que ce jugement donne parfaitement la mesure du spiritualisme zwinglien. L’instrumentalité de l’Écriture est plus réduite que ne l’estime cet auteur ou, si l’on veut, l’indépendance de l’Esprit plus souveraine (cf. C. R., v, 734, 15 : Potior est… Spirilus).

Il est vrai que l’attitude de Zwingli est ambiguë. Tantôt il nous renvoie à l’Écriture comme à la norme objective de toute croyance (cf. C. R., Il, 504, 19 : A l’origine de bien des désaccords, il y a seulement ceci : nous ne croyons pas tous à la seule parole de Dieu, nous nous refusons à apprendre d’elle seule ce qui est mal et ce qui est bien » ) ; tantôt il affecte de considérer l’ « homme spirituel » comme Instruit directement par Dieu, hors de toute médiation créée : parole du prédicateur, lettre inspirée (cf. C. R., i, 294, 24 : linge ilcrum 6eo5(50tktov aliquem, etc. ; 279, 20). Plus qu’aucun des théologiens contemporains, il avait le culte de la lettre prise dans sa teneur originale, de Vhebraicn viritas ; cependant, il déclare que Dieu est le vrai maître des siens, sans

lequel t toutes les langues et tous les arts ne sont que pièges de malice et d’infidélité » (C. R., m, 463, 10). Mieux encore : « Celui qui est né de l’Esprit de Dieu n’a plus besoin de livre, …car la loi de Dieu est écrite dans son cœur » (C. R., iv, 601, 10). Ainsi, « tantôt l’Esprit est dans l’Écriture, elle est tout entière inspirée, divine (gottgeistlich) ; tantôt il est derrière l’Écriture, au-dessus de l’Écriture ou en dehors de l’Écriture, indépendant d’elle » (E. Nagel, op. cit., p. 56).

L’aisance avec laquelle Zwingli traite le Geistprinzip, les inflexions auxquelles il le soumet selon les nécessités de la polémique tiennent sans doute à sa conviction foncière qu’il y a, entre notre esprit éclairé par l’Esprit divin et l’Écriture, une sorte d’harmonie préétablie (cf. Sch.-Sch., vol. vi, t. i, p. 205 : Spiritui Scriptura consonet… Sic spiritus ille noster cœlesti et divino Spiritu doctus et imbutus, Scripturæ conformis fiet). Cependant, dès l’instant qu’une interprétation s’est imposée à lui qui découle logiquement de son système (dont les principes, sans doute, estime-t-il, reposent sur l’Écriture), aucun argument tiré de la lettre inspirée ne saurait l’en écarter (cf. C. R., iv, 912, 28 : Res enitn sic constat ac firma est, ut, etsi universus orbis elementorum, hoc est, literæ, expositionem respuat, ipsa tamen immota maneat). On est fondé à conclure qu’il s’agit chez lui, non pas tant de l’autorité objective de l’Écriture comme médium de révélation divine, que d’illumination subjective qui s’appuie à la summa Scripturæ. La méthode allégorique, dans l’emploi abusif qu’il en fait, n’est-elle pas elle-même la porte ouverte au subjectivisme ? Ainsi ont pensé de nos jours certains critiques : « La méthode de Schleiermacher, qui puise la doctrine chrétienne à la source, non de la Sainte Écriture, mais de la conscience religieuse ou de l’expérience chrétienne, est la méthode de Zwingli et de Calvin, pour autant que tous deux présentent l’activité de l’Esprit-Saint comme immédiate et non liée à l’Écriture, prise dans sa teneur littérale et extérieure » (Pieper-Mùller, Christliche Dogmatik, S. -Louis, 1946, p. 76).


III. Dogmatique de Zwingli.

On cherche ici à définir de plus près la religion de Zwingli, en étudiant le rapport religieux et ses termes : Dieu (I) et l’homme (II), en même temps que la médiation du Christ (III). Il apparaît que la dogmatique zwinglienne est théocentrique plutôt que christocentrique. La notion du Dieu transcendant et tout-puissant est la clé de voûte du système zwinglien, en même temps qu’elle correspond à l’expérience intime du réformateur, au Pesterlebnis (cf. supra, col. 3761). On y voit à bon droit, avec les effets psychologiques qui en découlent, plutôt que dans la justification (Luther), le principe matériel du zwinglianisme.

I. TUÉODICÊE. —

1° Connaissance de Dieu.

1. Zwingli distingue, avec la scolastique, la connaissance de l’existence de Dieu de celle de sa nature (Comment., C. R., iii, 640, 28). Seule la première ne dépasse pas les limites de la raison. À preuve, le consensus général qui s’est établi à ce sujet. Cependant cette connaissance est déficiente. La plupart des païens qui ont connu Dieu sont tombés dans le polythéisme ou l’athéisme ; seuls quelques-uns (paucissimi ) se sont élevés jusqu’à la connaissance du Dieu unique, mais ils ont négligé de lui rendre un culte (ibid., 641. 35 sq.). Tout cela est suggéré par le texte de saint Paul : Rom., i, 18 sq. Luther en avait de même conclu à une certaine connaissance ration nelle de Dieu. Seulement Zwingli met l’accent mu l’origine divine de cette connaissance (cf. Rom., i, 19 : Dieu le leur a manifesté » ; ibid., 641, 22) ; c’est dire qu’il interprète saint Paul dans le sens « le son uni