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ZWINGLIANISME. L’ECRITURE ET L’ESPRIT


croyant. Il faut partir de cette notion pour comprendre la diatribe de Zwingli contre Valentin Compar et la manière dont il entend réfuter l’adage augustinien qu’on lui oppose : Evangelio non crederem, etc. : la foi conçue comme expérience religieuse se passe de magistère (cf. C. R., iv, 64, 18 sq.). Selon une analogie pleine de sens pour ses compatriotes, Zwingli compare l’attitude du croyant devant l’Écriture à celle d’un vieux paysan d’Uri devant le droit écrit de son canton. Ce droit est inscrit dans sa mémoire : mieux que les jeunes qui apportent des livres, il est capable de discerner quel est le vrai droit du pays (ibid., 71, 10). Ailleurs Zwingli explique de la même manière la formation du Canon. Aujourd’hui comme à l’origine, qu’il s’agisse de discerner les Écritures ou de les conserver dans leur intégrité, la conscience religieuse sufFit (cf. C. R., i, 293, 6 sq.).

Il est clair que la lettre de l’Écriture a ici valeur subsidiaire. Zwingli cependant y tient : dans la dispute de Zurich, il ne sépare pas l’Esprit de la lettre (C. R., i, 558, 4 : Den geisl goiles, uss der geschryfft redend ; cf. ii, 111, 11 : Der geisl und wort gottes lliund das). Apprend-il que Faber a proposé au Tagsatzung de Baden (25 juin 1526) de brûler le Nouveau Testament (dans la version nouvelle), il écrit une défense des Livres saints et insiste sur la nécessité d’avoir en mains le texte sacré (cf. Eine kurze Schrifl an die Christen, vor dem unchristlichen Vorhaben Fabers warnend [30 juin 1526] ; C. R., v, 256 sq.).

3. Durant cette période initiale, et en face de ces adversaires, Zwingli ne cherche pas à préciser davantage le lien qui unit Écriture et Esprit ; il se contente d’affirmer les deux termes. D’une part, il reproche aux catholiques de ne pas fouiller assez la lettre de l’Écriture (C. R., ii, 323, 6) ; d’ignorer les langues anciennes (cf. C. R., v, 653, 21 : ils sont tombés dans l’erreur linguarum idiomatumquc Hebraicorum ignoratione). Lui-même délaisse maintenant les commentateurs pour s’appliquer directement à la lecture du texte sacré (C. R., iv, 81, 6 sq.). D’autre part, contre la hiérarchie catholique qui revendique le privilège de l’interprétation de l’Écriture, il fait appel au Geislprinzip du Nouveau Testament (Joa., v, 3941 ; vi, 44 ; x, 16 ; xiv, 26 ; comp. Jer., xxxi, 33), et fait confiance au laïcat : la bonne compréhension de l’Écriture est le fait de tout chrétien droit et sincère qui se laisse guider par l’Esprit (C. R., i, 321, 36 ; 279, 14 sq. [n. 10 et 11] ; 561, 20).

2° Ecrits dirigés contre les anabaptistes (Taufschrift ; In calabaptislarum slrophas elenchus). — Sur tous ces points, Zwingli est contraint, par suite de l’apparition de l’hérésie anabaptiste vers 1525, de reviser ses positions. Les Tûufer, ignorants de la lettre de l’Écriture, se targuent d’avoir pour eux l’Esprit (cf. Sch.-Sch., vol. iii, p. 359 : Quolies enim cumque manifestis Scripturæ locis hue adiguntur, ut dicendum essel : cedo, protinus Spirilum iactant et Scripturam negant. Quasi vero cœlestis Spiritus Scripturæ sensum, quæ eo solo inspirante scripla est, nesciat, nul sibi ipsi sit alicubi contrarius ; cf. C. R., iii, 871, 21). Le véritable Esprit est aussi celui qui parle dans l’Écriture, il ne se contredit pas lui-même. Voici quelques-uns des procédés tactiques employés par Zwingli pour combattre les anabaptistes sur le terrain où ils lui demandent, en vertu des principes édictés contre les catholiques, de le suivre :

1. Culte indUptiuable de In lettre.

En ce qui le concerne, Zwingli est cnrlin à faire droit au primat de l’Esprit. Mais il a affairc à des esprits inquiets et disputeurs (die zenggUchen) qui l’obligent à chercher un point d’appui solide dans l ; i lettre lue flans le texte original (uss den qrùndllirhm tpraaohm) (C. R, , i.

602, 1 ; cf. iv, 419, 3). À rencontre de ses adversaires qui ne reçoivent pas l’Ancien Testament (cf. C. R., ix, 463, 28), Zwingli argue du caractère organique de la Bible (Sch.-Sch., vol. iii, p. 422). Tant par esprit antithétique qu’à raison du caractère « prophétique » de celui-ci, Zwingli voue un culte spécial à l’Ancien Testament, quitte à méconnaître l’origij nalité du Nouveau. Son exégèse de certains passages

du Nouveau Testament, notamment en matière

i sacramentelle (baptême = circoncision ; Cène = ! Pâque juive), s’en ressent.

2. Tout en maintenant la liberté de l’inspiration j individuelle, avec certaines restrictions (d’après I , Cor., xiv), Zwingli tend à enlever le jugement sur j l’Écriture à l’individu pour le remettre à l’Église,

c.-à-d. concrètement aux communautés (cf. C. R.,

! iv, 255, 2 : Denn das urteil der gschri/Jl isl nil min, nit

j din, sondern der kilchen…, dann dero sind die schliissel).

! De même, plutôt qu’au commun des fidèles, il fait

! confiance aux maîtres compétents et qualifiés (cf.

j Von dem Predigtamt (30 juin 1425], C. R., iv, 369 sq. ;

voir infra, col. 3859 ; — cf. la finale de l’Arnica

Exegesis, C. R., v, 758, 12 : Al si quis istuc nondum

compertum habeat, doctum adeat scribam, qui evangelii

rationem exponat, etc.).

3. Zwingli — ce point est capital — resserre le rapport lettre-Esprit, c’est dire qu’au principe de la

! liberté de l’Esprit il apporte des tempéraments.

, L’Esprit, du moins dans le sujet qui le reçoit, a

besoin d’être maintenu dans de certaines limites,

cancellis quibusdam : c’est le rôle de la lettre, qui

sert de frein, de régulateur : Régula et funis est iuxla

i quam omnia dirigenda sunt (Sch.-Sch., vol. vi, t. i,

! p. 205, 679-680 ; cf. C. R., v, 734, 8 sq. ; 773, 20 sq.).

j Zwingli se sert de diverses comparaisons qui inculquent

! toutes la même vérité : entre lettre et Esprit il y a un

j lien de dépendance réciproque (cf. C. R., v, 773, 25 :

i Dann die gschri/Jl muss allein durch den glouben

! verslanden werden und der gloub allein bewært werden,

I ob er gerecht sye, mit und an der gschriffl, die durch

| den glouben rechl verstanden wird). Ces derniers

textes appartiennent à des écrits antiluthériens, mais

ils sont directement motivés par la controverse

anabaptiste (cf. C. R., v, 733, 34 : Qui spiritum

constantissime iaclent).

4. Se croyant lui-même inspiré par l’Esprit, Zwingli ne peut manquer de mettre en doute la légitimité

j de l’inspiration de ses adversaires et d’incriminer leurs intentions. Qu’est-ce qui les fait parler et trou j bler la paix, sinon l’esprit de désordre, Satan ?

I (Cf. C. R., iii, 785, 8 ; 885, 2 ; 899, 12 sq., 26.) Il ne s’agit pas là seulement d’une diatribe personnelle : l’illuminisme nouveau pose une question délicate : celle du discernement des esprits.

A quel critère reconnaître que l’Esprit-Saint parle par ma bouche et que mon interprétation de l’Écriture est la vraie ? Il ne suffît pas d’en appeler à l’Écriture elle-même (cf. C. R., v, 734, 7 : Est ergo …indubilatum, spiritus nostri Lydium esse lapidem Scripturam), car tous arguent de l’Écriture. Dans les ouvrages de cette époque (1524-1525), Zwingli énumère divers critères (cf. C. R., iii, 59, 8 sq. ; 898, 8 sq.). Il faut être attentif aux fruits, c.-à-d. aux œuvres et à la moralité du sujet, comme aussi aux effets sociaux de la doctrine. Le critère général auquel il se plaît à revenir (C. H., iii, 113, 10 ; v, 482, 4) est celui-ci : quiconque se propose de servir l’honneur de Dieu, la vérité, le talul des âmes, est inspiré par l’Esprit de Dieu. En revanche, là où l’on rencontre égoïsme. cupidité, amour des richesses et de la vaine gloire, désir de soustraire au Créateur l’honneur qui lui est du pour l’attribuer aux créatures, nu est en présenee d’un faux culte ou d’une fausse inspiration. Dans