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ZW1NGLIANISME. ZWINGLI ET LUTHER


saint Augustin : ou s’il se remit à le lire, ce fut avec des yeux nouveaux, car il avait cette fois un problème religieux qui était à l’unisson. Or, ici encore, nous sommes aiguillés vers Leipzig, s’il est vrai que Carlstadt déclara alors : Einen Origenes, Chrysoslomus, usw. musse man behulsam lesen und es dafùr mit Augustin halten (cf. Usteri, Initia Zwingli, p. 101, note). Ce fut pour Zwingli le signal d’un changement d’obédience. A la suite d’Érasme, il s’était surtout attaché aux Synoptiques, à saint Jérôme, à Origène et aux Pères grecs. Ces derniers avaient confirmé son optimisme théologique et fortifié sa confiance dans le pouvoir de notre libre arbitre. Avec Luther, il acquiert de nouveaux maîtres : saint Paul et saint Augustin, et il accueille d’autant plus volontiers leurs leçons que, nous l’avons vii, il est lui-même désabusé et subitement enclin au pessimisme. En 1527, il confessera avoir perçu toute la portée de l’Évangile à la lecture de saint Paul et du Commentaire de saint Augustin sur saint Jean (Tract, in Ion., C. R., v, 713, 3 sq., avec la note).

d) La dispute de Leipzig eut en outre sur Zwingli une influence psychologique considérable. Jusqu’à cette date, il n’était entré que timidement dans la voie des réformes. S’il avait interdit le culte des saints, il ne l’avait pas supprimé (C. R., v, 395, 23). Arrive Luther, qui d’emblée attaque la papauté en visière. Il est remarquable que les expressions laudatives que Zwingli emploie à son adresse le désignent comme le lutteur : ein treflenlicher stryler goltes (C. R., ii, 147, 14) ; David (ibid., v, 722, 4) ; Hercule (ibid., 723, 1). Voir aussi Èlie (ibid., vii, 250, 11), le précurseur. Sur ce point, Zwingli se sait l’épigone de Luther. L’acte téméraire de Luther libère en lui des énergies latentes : les réformes se succèdent alors à une cadence accélérée — dès 1520, Il s’en prend au Grossmùnsler, à la dîme (cf. infra, col. 3908), et bientôt il accusera Luther de n’être pas assez radical : sur le sujet du purgatoire, du culte des saints, de la confession, 11 « a trop peu parlé > (C. R., ii, 148, 5).

Il semble donc qu’il soit juste de conclure avec W. Kôhler que Luther a agi sur Zwingli moins par ses écrits que par son exemple et le principe qu’il a posé par ses actes. Érasme ne demandait à ses disciples que de faire à la vérité l’hommage de leur esprit. L’ascendant de Luther était d’un autre ordre : ici la volonté et toutes les puissances d’action sont sollicitées de se mettre en branle au service de l’Évangile nouveau. Sans doute l’Intelligence a aussi sa part — d’où le culte voué à saint Augustin — mais des éléments émotifs ont joué chez ZwlngU qui otit achevé de le déterminer. W. Kôhler parle de Wendung vom Inlellekt zum Willen.

3. Le t Pesterlebnis », facteur décisif de révolution intérieure de Zwingli. — Un événement fortuit fit le reste. La peste éclata à Zurich durant l’été 1519. Zwingli était alors aux eaux. Avec cette Intrépidité qui a toujours été la sienne, Il revint dans la ville et faillit être victime de son dévouement. La maladie lui arracha quelques strophes pathétiques. Notons que ses poèmes sont comme autant de jalons qui marquent son itinéraire religieux : si le premier (Das Fabelgedicht vom Ochsen) a une allure politique, le second (Der La ht/ri nlh) est d’inspiration érasmienne, et le troisième (Das Pcsllied) révèle son expérience religieuse Intime. Zwingli se sent devenu comme un jouet entre les mains du Tout-Puissant : qu’il le conserve ou qu’il le « brise » selon son bon plaisir (C. R., i, 67, 24). Dieu est tout, la créature est néant ; le libre arbitre se dissout dans cette Intuition mystique. Nous sommes Ici aux antipodes d’Érasme qui écrit dans son De libero arbitrio : Quelle valeur reste-t-ll à l’homme, si Dieu opère en lui comme le potier travaille l’argile et comme

il pourrait aussi bien opérer sur un caillou ? » Il n’est pas sûr cependant que Zwingli ait senti cette rupture avec l’idéal érasmien (cf. C. R., v, 721, 6) : Érasme a connu la summa religionis aussi bien, sinon mieux, que Luther (ibid., 816, 2) : Luther ne serait rien sans Érasme et les autres humanistes. Aussi bien, comme l’écrit W. Kôhler, « autour du noyau central de sa théologie reçu de Luther, se disposent des éléments érasmiens, qui lui donnent son sertissage original, bien plus ils pénètrent jusqu’au noyau lui-même (Zwingli als Theologe, ut supra, p. 46). Parce qu’elle procède par accrétions successives, la pensée de Zwingli ne se laisse pas aisément définir. Cependant Zwingli n’eût pas réussi à ordonner les divers éléments de son système, s’il n’avait bénéficié à l’origine d’une intuition originale : celle-ci nous paraît donnée dans le Pesterlebnis, et, mieux que ne pourraient toutes les confessions, le Pestlied nous renseigne sur l’intime de l’âme de son auteur.

Là, dans ces jours où il était brûlant de fièvre, Zwingli a vécu l’expérience religieuse fondamentale — le néant de la créature en face de la transcendance divine — dont il chercha dans la suite à se rendre compte à soi-même, en l’illustrant et en l’étayant de vues philosophiques. À la lumière de cette expérience, il interpréta le message luthérien lui-même : c’est dire que son « Évangile ne coïncide pas entièrement avec celui de Luther, car une expérience est toujours vécue comme quelque chose d’original, d’indépendant.

Récemment A. Rich, après d’autres, a cherché à minimiser l’importance de cette expérience (cf. Zwingliana, 1948, t. viii, fasc. 9, p. 530 sq.). Il reporte l’accent sur la déception que Zwingli éprouva à la suite de son essai manqué à Zurich selon la méthode érasmienne, quitte d’ailleurs à ajouter que cet échec lui ouvrit les yeux sur l’impuissance radicale de l’homme à se sauver lui-même et la nécessité d’une intervention divine. Mais le fait que ce critique, pour légitimer ses vues, soit obligé de déplacer la date du Pestlied, ce qui va contre les vraisemblances et le genre littéraire du morceau, montre que cette reconstruction est erronée ou incomplète.

Conclusion.

Rref, « la question Luther et Zwingli

est beaucoup plus difficile et embrouillée qu’on ne le croit généralement » (W. Kôhler, Luther und Zwingli, ut supra, 471). Du côté de Luther, la relation est toute simple (cf. O. Farner, Das Zwinglibild Lulhers, dans Sammlung gemrlnverstândlicher Vortrâge, n. 151, Mohr, 1931), car Luther ne sut presque rien de Zwingli, de ses premiers écrits, de la Réforme à Zurich, jusqu’en 1524. À cette date, il eut connaissance par un rapport de Franz Kolb de ses Idées sur la Cène ; c’était à quelques mois de la diffusion des écrits de Carlstadt. Une collusion se produisit dans son esprit et il est toujours resté sur ce premier jugement, t Ce fut une vraie fatalité que le Wittenbergeois n’ait appris à connaître le Zurichois que sur un point où il s’écartait de lui, et plus encore, sur un point qui était particulièrement sensible à Luther. À l’inverse, tout ce qu’il y avait de commun entre eux. si important que cela fût et en dépit des représentations qui lui furent faites postérieurement, ne vint jamais pour lui en considération » (W. Kôhler, ibid., 462).

En revanche, Zwingli rencontra de bonne heure, à un tournant de sa carrière, le personnage de Luther et Il en eut une impression favorable avant do connaître l’adversaire. Dans la suite il est revenu à ses premières impressions : il a argué de Luther première manière contre l’autre ; Il n’a pas oublié ce qu’il lui devait. Cependant, à part même leur personnalité, le passé de ces deux hommes était trop différent pour qu’ils pussent longtemps cheminer côte à côte, et notamment, avant de rencontrer Luther. Zwingli avait