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ZWINGLIANISME. ZWINGLI ET LUTHER


Suisse ; expérience religieuse personnelle et inédite. Faute de considérer le troisième facteur, on serait tenté de se représenter Zwingli comme passant simplement d’une obédience à une autre, d’Érasme à Luther, et d’expliquer son évolution par le jeu des circonstances extérieures. Cette solution facile, à laquelle s’arrêtent nombre d’auteurs, ne satisfait pas, car de toute manière on obtient un reliquat qui n’est ni érasmien ni luthérien, dont on ne saurait minimiser l’importance. N’est-ce pas lui qui fait l’originalité du système zwinglien ?

1. Échec de l’expérience érasmienne.

Les débuts

du ministère de Zwingli à Zurich furent heureux. À la fin de 1519, il enregistrait que près du tiers de la population était conquis (C. R., vii, 245, 15). Six mois plus tard, le ton change. Dans une lettre datée du 24 juillet 1520 (C. R., vii, 341, 6 sq.), il fait part des résistances rencontrées. » Depuis longtemps, écrit-il, l’espérance est née, chez tous ceux qui aiment l’éclat des belles-lettres et de la culture, que ces temps heureux pour la science reviendraient où tous ou peu s’en faut seraient instruits et éclairés. Mais cet espoir a été réduit à néant par le refus opiniâtre, pour ne pas dire éhonté, de certains de s’ouvrir au savoir ; ils préfèrent tout souffrir plutôt que de donner accès à un commencement de savoir et de lumière — bien entendu, ils redoutent que leur manque de culture ne soit ainsi mis à découvert. Ils ont pour alliée la guerre, qui est en constante hostilité avec la sagesse. » C’est le prédicateur humaniste qui parle, V Aufklàrer qui ne sépare pas l’essor de l’Évangile du progrès de la culture.

Voici qui concerne plus directement les vicissitudes de l’Évangile lui-même : « En même temps, l’espérance a surgi, toute vive, d’une renaissance du Christ et de l’Évangile : nombre de chrétiens bons et instruits se sont mis à courir au but de toutes leurs forces, la semence était près de mûrir. Mais voici que cet espoir lui-même est déçu à raison de l’ivraie que l’ennemi a semée, tandis que les gens dormaient et n’étaient pas sur leurs gardes. À présent qu’elle a déjà pris racine, il est à craindre qu’elle soit si intimement liée avec les racines du bon grain qu’on ne puisse en séparer celui-ci sans danger. » Zwingli a prêché la « philosophie du Christ » et, après dix-huit mois de patient labeur, il aboutit à un échec : tandis que certains s’ouvrent à l’Évangile, d’autres le combattent, et leur opposition menace de tout compromettre. Exaspéré, Zwingli pense d’emblée à une intervention diabolique.

A la réflexion cependant, il prend conscience des lacunes et des faux présupposés du système érasmien. La vertu est un savoir, il suffit de l’enseigner pour convertir les cœurs et modifier les mœurs sociales. Ainsi a-t-il pensé à la suite d’Érasme. La réalité a donné un démenti à ses espérances et voilà le bienfondé du système érasmien remis en question (cf. W. Kchler, Zwingli als Theologe, ut supra, p. 25-26, 42).

2. Influence de la réforme luthérienne.

a) Or c’était l’heure où apparaissait Luther. Celui-ci voulait revenir aux sources, à l’Évangile, mais il l’entendait autrement. La renaissance du christianisme » ne rendait pas le même son à Wittenberg et à Bâle. Là on faisait fond moins sur la valeur de l’homme, sa faculté de se hausser jusqu’à l’idéal évangélique, que sur la grâce de Dieu. En 1519, les écrits de Luther pénètrent en Suisse ; les imprimeurs de Bâle, Froben en tête, les éditent. Car c’est un fait qu’on ne saurait trop souligner ici : l’Évangile de la Réforme a pénétré en Suisse par Luther (cf. P. Wernle, Das Verhâltnis der schweizerischen zur deulschen Reformation, 1918, p. 27 sq., et Rudolf Steck, Luthers Bedeutung fur die schweizerische Reformalion, dans Protestantische Monalshefle, 1917, p. 193-200).

Zwingli et ses amis font eux-mêmes œuvre de propagandistes (cf. C. R., vii, n. 53, 82, 86). Parmi les écrits de Luther, certains appuyaient les réformes que lui-même préconisait dans ses sermons du Crossmiinster ; ainsi, concernant l’invocation des saints, il trouvait un témoignage de surcroît dans l’explication du Vaterunser de Luther, et il était heureux de pouvoir se prévaloir de cet accord devant le peuple (C. R., il, 146, 9). Luther est cité comme un témoin (ibid., vu, 181, 9), non comme une autorité.

D’autres écrits du même Luther allaient plus au fond du problème : il est impossible que Zwingli n’y ait pas été attentif. De fait, sa correspondance de cette époque le prouve : t Si, jusque mi 1519, ses lettres ont plutôt le caractère de jolis morceaux de style, à partir de cette date, à l’inverse, le mystère intérieur de la religion évangélique, la grâce et la justification par la foi y résonnent. Le moral sourd du religieux et n’est pas indépendant ; ceci précisément est luthérien » (W. Kôhler, Luther und Zwingli, dans Zeitschr. fur Théologie und Kirche, 1925, fasc. 6, p. 459).

b) D’après Stæhelin (i, 172), la publication de la Bannbulle en Suisse quin 1520) aurait été l’occasion d’un revirement chez Zwingli ; alors, il prit conscience de l’opposition qu’il y avait entre l’évangélisme et l’Église catholique et de sa propre vocation de réformateur. Nous croyons qu’il faut remonter plus haut. Nous savons par H. Bullinger (Diarium, éd. Egli, p. 5) que dans l’entourage de Zwingli on datait la Réforme de la dispute de Leipzig (1519), et à juste titre : c’est là le tournant capital. Les positions se prennent alors — d’un côté Érasme, Glarean, Zasius, de l’autre Luther et Zwingli — et la reconnaissance du droit divin de la papauté est la pierre de touche.

Zwingli semblait prédéterminé par son passé à se ranger aux côtés de Luther. Sans doute, il entretenait les meilleures relations avec la Curie et ses représentants en Suisse. Si Bâle était le centre intellectuel, c’était Zurich qui était alors regardée comme la capitale officielle du catholicisme romain en Suisse. Les légats y résidaient. Zwingli lui-même toucha une pension papale jusque fin 1520. Mais le fait précisément qu’il abordait l’institution sous l’angle de la politique officielle (alliances, mercénariat, etc.) et de la fiscalité ne l’inclinait pas à un jugement favorable. Dans une conversation avec le cardinal Schinner, il exprima librement ses critiques (das das ganlz bapsltuomb einen schlechten grund habe ; C. R., iv, 59, 13). Sa correspondance avec Zasius surtout est instructive (C. R., vii, n. 100, 109, 113, 119, 129). Elle montre, par induction et en tenant compte de la réserve habituelle à Zwingli, qu’il avait cessé lui-même dès lors (1519-1520) de croire au pape comme à l’évêque universel (C. R., vu, 250, 14).

c) Mais la dispute de Leipzig eut un autre effet : refuser de croire à la primauté du pape, c’était du même coup accepter la théorie luthérienne de la Heilsgewissheit qui était la contre-partie du dogme rejeté. Zwingli eut connaissance des thèses défendues à Leipzig, ainsi que de la condamnation des maîtres de Cologne et de Louvain. Si paradoxales que les positions luthériennes parussent à son entourage (cf. lettres de Myconius, C. R., vii, n. 184 ; Zasius, ut supra ; Érasme, ibid., viii, n. 315 ; Faber, ibid., vii, n. 108 ; viii, n. 310, p. 97-98), elles firent impression sur son esprit. Il révisa ses vues sur le libre arbitre. Une lettre de Myconius du 15 juillet 1521 (C. R., vii, 463, 3 sq.) insinue que, au cours des tractations consécutives à la dispute de Leipzig, même dans les cercles de l’Allemagne du Sud et de Suisse, les vues traditionnelles sur la grâce et le libre arbitre furent soumises à révision.

C’est à cette époque aussi que Zwingli se mit à lire