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ZWINGLIANISME. ZWINGLf ET LUTHER


Hté de Luther ; — ou, s’il lui attribue quelque mérite, c’est celui d’avoir lu l’Écriture avec une pénétration inégalée et d’avoir fait plus que personne la lumière sur son contenu (C. R., ii, 147, 15).

Mais il y a plus : des raisons tactiques motivent la position prise ici par Zwingli. On sent, à le lire, qu’il est sur la défensive : il a à lutter, à l’intérieur même de la communauté zurichoise, contre une forte opposition catholique (cf. Theodor Pestalozzi, Die Gegner Zwinglis am Grossmùnsterslift in Zurich, Diss., Zurich, 1918). Or l’arme la plus redoutable dont se soit servi contre lui le parti catholique (ainsi encore Joh. Eck, lors de la dispute de Baden), c’est de le confondre avec Luther, et de ce chef de l’envelopper dans la condamnation dont Luther était l’objet. En 15181519, Zwingli suit de très près l’affaire Luther et s’y intéresse, comme si la cause de la réforme zurichoise lui était liée : à présent, tandis que lui parviennent les premières nouvelles de la bulle Exsurge, il dessine un mouvement de repli et commence à se désolidariser d’avec Luther (lettre à Myconius, 24 juillet 1520 ; C. R., vu [n. 151], 344, 1). À partir de cette date, il s’abstient de lire les écrits luthériens (ibid., 344, 23), sans pourtant rapporter le jugement favorable qu’il avait émis auparavant : At quæ vidimus hactenus, in doctrina evangelica non putamus errare (ibid.). Mais ici même on perçoit une certaine réticence : l’Évangile est la norme ; la doctrine de Luther ne se confond déjà plus avec lui.

Zwingli voyait les nuages s’amonceler à l’horizon. Il n’a pas attendu l’édit de Worms (1521) pour séparer sa cause d’avec celle de Luther. On ne saurait donc arguer de l’antériorité de ces assertions par rapport à cette mesure en faveur de leur objectivité (malgré A. Rich, art. cit., dans Zivingliana, p. 514-515). Cependant, ce qui a pu être une parade habile de la part de Zwingli se concilie fort bien avec la vérité objective. De la sorte, la question reste entière et doit être décidée sur d’autres terrains. On peut seulement dire que, dans la perspective des années 1522-1523, Zwingli croyait avoir suivi sa ligne propre, indépendante de celle de Luther, et que cette conviction constitue un préjugé en faveur du fait qu’il est réellement original.

2. Mais l’cst-il réellement ? On se prend à en douter en lisant sa correspondance et ses écrits de l’époque : notamment Von Erkiesen und Freiheit der Speisen, 16 avril 1522 (C. R., i, 74) ; Von Klarheit und Gewissheil des Wortes Golles, 6 septembre 1522 (ibid., 328) ; Eine kurze christliche Einleitung, 17 novembre 1523 (ifci’d., ii, 626) ; et Auslegung der Schlussreden, 14 juillet 1523 (ibid., 1). Ces thèses d’une importance capitale

— elles jouent à l’entrée de la carrière réformatrice de Zwingli un rôle comparable à celui des 95 thèses de Wittenberg pour Luther — n’ont jamais été soumises à un examen critique ; on n’a pas cherché à dégager l’apport luthérien de ce qui est d’origine érasmienne. A première vue, les emprunts faits à Luther et à Mélanchton (Loci : cf. P. VVernlc, Zwingli, 1919, p. 144) paraissent considérables. V. Kôhlcr, résumant l’impression générale qu’il retire de ces écrits, s’exprime ainsi : divers indices (l’acte d’accusation du Chorherr Hofmann, la correspondance de Zwingli) prouvent qu’il manque totalement à l’origine dans la prédication de Zwingli ce qui constituait l’article central et le coeur même de la religiosité luthérienne : la justification par la foi. La morale n’es ! donc pas fonction chez lui de la relation immédiate que l’Ame religieuse entretient avec Dieu. Or un regard sur les écrits de Zwingli et ses Ici 1res depuis 1520, à commencer par le premier écrit réformateur : Von Erkiesen und Freiheil der Speisen, montre que tout est là d’un seul coup. On rencontre à chaque pas des pensées de Luther : les concepts de fol, justification, liberté du chrétien ;

l’antithèse : Loi et Évangile, et même un thème aussi purement érasmien que le culte de Marie est traité d’une manière qui rappelle V Auslegung des Magnificat de Luther. Derrière la Mère se trouve en transparence le Fils ; Marie est quasi une chrétienne avant le Christ [cf. Eine Predigt von der ewig reinen Magd Maria, 17 septembre 1522 ; C. R., i, 385] » (W. Kôhler, Zwingli als Theologe, ut supra, p. 43).

Cependant l’évolution de Zwingli ne s’arrête pas en 1523. D’autres influences sont à l’œuvre dès 1524 : la lettre d’Honius (cf. art. Sacramentaire (Controverse), col. 447, et infra, col. 3832-33) lui apporte l’interprétation symboliste concernant l’eucharistie, dont son esprit était comme en attente. Dans la suite, les voies de Zwingli et de Luther divergent décidément, et la conférence de Marburg ne conduit pas à un rapprochement réel. Sur quinze points que comportent les articles de Marburg, un seul, il est vrai, proclame ouvertement le désaccord, mais les annotations de Zwingli sur ces articles (dont Luther d’ailleurs n’eut jamais connaissance) constituent autant de correctifs ou de rétractations qui annulent chaque concession apparente (cf. Sch.-Sch., ol. iv, p. 183). Enfin, en 1530, Zwingli fait transmettre à la Diète d’Augsbourg une confession de foi séparée, Fidei ratio (ibid., p. 1 sq.). C’est là un indice que dans la pensée du réformateur zurichois son système a pris forme et s’oppose au luthéranisme. A l’inverse du parti luthérien, Zwingli ne désirait pas hâter cette évolution qu’on appelle Bekenntnisbildung : il céda à la pression des événements, qui fut salutaire en ce sens qu’elle le força à mettre plus de rigueur dans ses pensées et à cristalliser celles-ci autour de quelques chefs doctrinaux. Ce fut l’œuvre de la Fidei ratio, dont on rapprochera la Christianæ fidei expositio, légèrement postérieure (Sch.-Sch., vol. iv, p. 42 sq. ; cf. W. Kôhler, Zwinglis Glaubensbekenntnis, dans Zwingliana, v, 1931, p. 242-261). Il faut connaître ces développements avant de juger des écrits de la période initiale : les isoler, c’est s’exposer à prendre pour une dépendance réelle ce qui peut n’être qu’une similitude verbale. Or le danger, quand il s’agit de Zwingli, n’est pas illusoire.

Dès lors qu’on a fréquenté un peu la littérature zwinglienne, on s’aperçoit que son auteur se laisse facilement influencer, dans la rédaction et les expressions employées, par les sources immédiatement consultées. Lui-même confesse le caractère hâtif de ses productions (cf. C. R., iii, 344. 7 ; 91 1, 22 ; i v, 462, 25 sq.). Même une œuvre systématique, longuement mûrie et méditée comme le De Providentia, la seule œuvre parfaite qui soit sortie de sa plume, si l’on excepte les Confessions de foi, trahit les lectures du moment (Sénèque, sans doute aussi Pic). Zwingli a lu tous les écrits de Luther publiés en 1517-1519 (VV. Kôhler, art. cit., p. 34) ; dans sa bibliothèque on en compte vingt-cinq. Rien d’étonnant à ce que ses premiers écrits réformateurs portent le cachet luthérien. Cependant une ressemblance superficielle, verbale, l’adoption des mêmes thèmes ne permettent pas de conclure à une identité de contenu, à moins que nous n’ayons par ailleurs l’évidence que Zwingli a rompu avec Érasme pour s’attacher à Luther et qu’il a dès lors épousé la pensée de celui-ci dans ses contours originaux. Seule une étude de l’évolution Intérieure de Zwingli au cours des années cruciales 1519-1520, si brève soit-elle, peut nous renseigner sur ce point qui est le nœud du problème.

3° Fadeurs m/ant influé sur l’évolution intérieure de Zwingli au moment où il devient réformateur (15191-iiO). — Ils sont de trois ordres : déception éprouvée dam son ministère zurichois, qui n’était mitre que la mise en œuvre de l’idéal érasmien ; rencontre de Luther et du courant réformateur allemand qui gagne la