Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1113

Cette page n’a pas encore été corrigée
3755
3756
ZWINGLIANISMK. ZWINGLI ET LUTHER


intervallo Lutherus excellât. Dès ce temps reculé, la tradition zurichoise, sans se prononcer sur le degré d’excellence comparé, tient pour l’indépendance de Zwingli par rapport à Luther. Selon elle, le réformateur suisse aurait été, dès la période de Glarus (15151516), en possession de son message, et cela grâce à Érasme qui, en lui donnant accès à la Bible et aux Pères, l’aurait conduit à une nouvelle compréhension de l’Évangile, celle même qui devait servir de substrat à l’idéal réformé. Ainsi ont pensé, abusés sans doute par certaines déclarations de Zwingli (cf. en particulier C. R., ii, 217, 5 sq.) : Joh. Kaspar Môrikofer (1867), August Baur (1883) et Budolf Stæhelin (1895). Dans sa dissertation magistrale : Ulrich Zwingli, ein Martin Luther ebenbiïrtiger Zeuge des evangelischen Glaubens, dans Festschrift auf die éOOjàhrigen Geburtstage der Reformaloren… (citée par abbrév. : Festschrift), Zurich, 1883, Joh. Martin Usteri se range à cette opinion.

Cependant, deux ans plus tard, il fut contraint de la changer à la suite de l’examen graphologique des gloses marginales du fameux manuscrit de Zurich (texte des épîtres de saint Paul transcrit de la main de Zwingli, cf. supra). Il s’aperçut qu’une légère variante d’écriture, due sans doute à une graphie différente en usage à Zurich, permettait de distinguer les gloses de la période d’Einsiedeln de celles de la période zurichoise. Il était désormais possible, à l’aide de ce détail, qui jusqu’alors avait échappé à l’attention, de se faire une idée de l’évolution de la pensée de Zwingli et de départager les influences qu’il avait subies avant et après la mi-juillet 1519. Or, en fait, alors que les gloses antérieures décèlent un courant de piété érasmienne-humaniste, nourrie de l’étude d’Origène et de Jérôme, les gloses postérieures laissent transparaître une doctrine de la grâce, d’inspiration nettement augustinienne et réformée. Cette impression fut renforcée par la publication entreprise en 19Il de la correspondance de Zwingli pour les années 15101522 sq. (4 vol. du Corp. Réf. ; cf. aussi Huldrych Zwinglis Briefe ùbersetzt von 0. Farner, i, 1512-1523, Zurich, 1918 ; ii, 1524-1526, Zurich, 1920). À la réflexion d’ailleurs, il apparaissait peu probable que Zwingli eût conservé si longtemps pour lui-même une découverte qui devait, plus que tout autre événement, transformer sa vie et lui faire prendre conscience de ce que ses disciples ont appelé sa vocation de réformateur. L’article de J.-M. Usteri, où sont consignés quelques-uns de ces résultats (cf. Initia Zwinglii, dans Theol. Stud. und Krit., 1885, p. 607 sq.), marque donc le passage de l’ancienne interprétation de Zwingli à la nouvelle.

2. Les modernes sont enclins à rapprocher de la date de sa rencontre avec Luther les intuitions maîtresses de Zwingli concernant l’évangile du péché et de la grâce. Ils ne le peuvent sans mettre en question l’indépendance du réformateur suisse par rapport à l’allemand, que leurs devanciers croyaient avoir suffisamment assise en reculant fort en arrière la première appréhension de cette doctrice. Paul Wernle et à son instigation Oskar Farner se sont attaqués à ce problème (cf. Zwingliana, iii, 1913-1915, p. 1-180). La correspondance de Zwingli jusqu’en 1522 fut passée au crible ; on fit le décompte des ouvrages de Luther qu’il avait lus année par année, comparés à ceux d’Érasme, etc. ; et finalement on conclut à l’influence décisive de cette littérature luthérienne sur le cours des pensées de Zwingli : c’était bien à elle qu’il devait d’être devenu, de réformateur d’abus au sens humaniste qu’il était avant le tournant 1518-1519, un réformateur tout court. Restait à disposer des évidences contraires, notamment de ses déclarations répétées et embarrassantes qui parlent en sens inverse : car Zwingli a toujours protesté énergiquement de son

indépendance à l’égard de Luther et on ne pourrait, dans sa carrière, signaler un moment où il se soit placé par rapport à lui dans l’attitude du disciple par rapport au maître, ainsi qu’il advint à l’égard d’Érasme.

3. Aujourd’hui, il semble que le pendule oscille à nouveau en direction opposée. W. Kohler, qui en 1923 affirmait encore sans ambages : « C’est un fait que Zwingli tient l’idée de la Réforme de Luther », devait écrire vingt ans plus tard, dans cette ultime biographie qui condense les résultats de ses recherches sur Zwingli : « Dès lors, non seulement il est facile de comprendre que Zwingli ait pu se croire indépendant de Luther : il l’a en fait été plus que la critique récente ne l’assume communément » (Huldrych Zwingli, 1943, p. 74). À son tour, O. Farner est revenu sur les sources de l’histoire de Zwingli et les a soumises à un examen plus rigoureux. La conclusion de son ouvrage de date récente (cf. Huldrych Zwingli, ii, Seine Entwicklung zum Reformater, 1516-1520, Zurich, 1946) nous oblige à plus de réserve. Si les écrits de Luther ont agi sur l’orientation de la pensée de Zwingli, leur influence n’est pas aussi décisive qu’on l’avait jugé jusqu’ici. Aussi bien, ce n’est pas la quantité qui compte, mais la qualité, entendez le genre de lecture, et l’utilisation que Zwingli a faite des écrits luthériens qui arrivaient jusqu’à lui. C’est ce que rappelle opportunément Arthur Rich (Die Anfànge der Théologie Zwinylis, dans Qucllen und Abhandl. zur Geschichte des schweizer. Protestantismus, vi, Zurich, 1949 ; cf. Zwingliana, t. viii, fasc. 9, 1948 (Zwinglis Weg zur Reformation, p. 511-535). Travaillant de son côté, cet érudit est arrivé, par une autre voie, à une conclusion semblable à celle de O. Farner.

Sources qui nous renseignent sur la relation ZwingliLuther.

Il faut faire état : 1. du témoignage

exprès de Zwingli lui-même ; — 2. de sa correspondance et de ses œuvres.

1. Zwingli s’est expliqué à plusieurs reprises sur l’influence de Luther, et toujours pour démentir une filiation quelconque de ses idées par rapport à celles du réformateur wittenbergeois (cf. Bitte und Ermahnung. .., 13 juillet 1522, C. R., i, 224 ; Architeles, 2223 août 1522, ibid., i, 284, 26 sq. ; et surtout : Auslegung der Schlussreden, art. 18, juillet 1523, ibid., ii, 146 sq. ;

— cf. O. Farner, Zwinglis Aussagen ùber sich selbst, Furche, 1931). Son argumentation se résume en quelques traits : il ne prêche pas autre chose que l’Évangile, et cela depuis 1518, c.-à-d. en un temps où il n’avait pas encore entendu parler de Luther (le nom de Luther est mentionné pour la première fois dans une lettre de B. Rhenanus du 6 décembre 1518 ; C. R., vu, n. 49). Zwingli remonte même à deux années en arrière, jusqu’en 1516, date à laquelle il s’est mis au grec pour lire l’Écriture dans le texte : signe que dès cette époque il avait résolu de s’en tenir à l’Écriture (nachdem ich mich allein der biblischen geschriffi gehalten habe ; C. R., ii, 147, 7). Il est sous-entendu, ici encore, que l’Écriture n’est passible que d’une interprétation et que Luther n’a pu y découvrir autre chose que Zwingli. W. Kohler fait bien de rapprocher ces assertions de celles qui ont inspiré à Zwingli l’opuscule Von Klarheit und Gewissheit des Wortes Gottes, 1522 (cf. Zwingli als Theologe, ut supra, p. 36). La parole de Dieu est * claire et certaine ; on y croit ou on n’y croit pas ; il n’y a pas de troisième terme. A l’origine de la Réforme, l’Évangile n’a qu’un sens : il se définit par opposition à la tradition ecclésiastique. Les divergences n’apparaîtront que plus tard. Arrive Luther : il se place sur le terrain de l’Évangile contre la tradition dite « humaine ». Zwingli, de son côté, adopte une attitude semblable. Dans l’Évangile annoncé par Luther, il croit reconnaître son Évangile, qui est aussi l’Évangile >, et il méconnaît l’origina-