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ZWINGLIANISME. ZWINGLI ET L’HUMANISME


sa théologie : « La chair ne sert de rien » (cf. W. Kôhler, Erasmus, 1917, p. 50). L’idéal moral de Zwingli, tel qu’il est esquissé dans le Lehrbùchlein (C.R., ii, 526 sq.) et qui se résume dans les deux termes de : veritas et innocenlia, est aussi très proche de celui d’Érasme. A Glarus, Zwingli apprenait par cœur les histoires de Valère-Maxime et les exploitait pour l’édification de ses auditeurs. Érasme l’instruisit d’un rapport plus intime entre humanisme et christianisme : celui même qui est donné dans un idéal de perfection humaine couronné par l’Évangile.

Mais, plus encore que le moraliste, c’est le mystique chez Érasme qui a exercé de l’influence sur Zwingli. Cela est si vrai qu’il a pu rapporter à un poème religieux d’Érasme : Expostulatio Jesu, tombé entre ses mains en 1514-1515 (cf. C. R., U, 217, 8 sq.), ses premières impressions de réformateur. Érasme enseignait dans ses écrits le mépris du monde et l’attachement au souverain bien. À son tour, Zwingli déclarait à l’évoque de Constance : « Autant que je peux, j’appelle les âmes loin de toute espérance en une créature quelconque au seul et vrai Dieu et à son Fils unique » (Architeles, C. R., i, 286, 11). Ainsi, entre Dieu et le monde, il y a une rupture. La métaphysique creusera toujours davantage le sillon ouvert ici par la mystique. Le symbolisme devient alors une nécessité, en théodicée (cf. infra, col. 3779) et plus encore en matière sacramentelle. Or ici, à nouveau, l’influence d’Érasme se fait sentir : selon Usteri (Zwingli und Erasmus, 28-29) et V. Kôhler (cf. in/ra, col. 3834-35), Zwingli doit beaucoup à sa mystique sacramentelle.

2. Comme Érasme, Zwingli professe le culte de la vérité, mais il y met plus de sérieux. La vérité reconnue n’est pas seulement objet de jouissance esthétique, elle entraîne une obligation morale (cf. L. von Murait, dans Zivingliana, vi, li » 32, p. 360). En outre, pour le spiritualisme zwinglien, la vérité, où qu’elle se présente, est un don de Dieu (C. R., tu, 664, 27 ; 853, 9). Elle prend donc, même sous sa forme philosophique, valeur religieuse. Ajoutez que pour Zwingli, comme d’ailleurs pour Érasme, la vérité n’est pas le partage exclusif des chrétiens. Partout où tu rencontres quelque chose de vrai, regarde-le comme chrétien , est-il dit dans l’Enchiridion. À son tour, Zwingli accueille les éléments de vérité et de vertu qui existent en dehors de la Révélation chrétienne. Cette réceptivité est développée chez lui par son contact avec l’Académie de Florence. La doctrine des deux Pics, selon qui le divin ne se laisse nulle part sans témoignage dans l’esprit humain, se retrouve dans le De Providentia (cf. Sch.-Sch., vol. iv, p. 93). C’est ce qu’il faut retenir de la thèse de Ch. Sigwarl, Ulrich Zwingli. Der Charukler semer Théologie mit besonderer Riicksicht au) Ficus von Miranduta dargestelll, 1855. Mais il faut renoncer, comme l’a tenté cet auteur, à vouloir expliquer Zwingli par Pic (cf. la critique de E. Zeller, Theol. Jahrbùcher, xv, 1857, p. 45 sq.). -- De Joh. Fie on ne trouve aucune citation dans les ouvrages de Zwingli ou annotations des Pères pour la période initiale (il ne parle que deux fois de Pic : dans l’introduction à lsaïe. Sch.-Sch., vol. v, p. 556, et dans Ueber Lulhers Uekenntnis usw., ibid., vol. ii, t. ii, p. 106). De Joh. -Franz l’ic, il possédait deux écrits qui figurent au catalogue de sa bibliothèque. Il se peut qu’au moment où il composa le De Prooidenlia il s’occupait de Pic et qu’il tomba alors sur des idées qui lui étaient congénitales et qui se présentaient sous une forme adaptée. C’est l’hypothèse d’Ulteri. Si cette lecture est antérieure, elle ne porta ses fruits que plus tard et renforça l’influence d’Érasme.

Au demeurant, Zwingli doit beaucoup à Érasme et l’on comprend l’exclamation de celui-ci à la lecture du

DtCT. DE nu’.. il.. CATHOL.

De vera et falsa religione commentarius (1525), sorte de compendium de la doctrine zwinglienne : t O bon Zwingli, qu’écris-tu là que je n’aie d’abord écritl » (C. R., viii, 333, 28.)

3. Cependant l’influence d’Érasme n’a pas été heureuse à tous les titres. Non seulement Zwingli hérita des faiblesses de sa théologie : conception naturaliste du péché, notion superficielle de la justice de la loi et interprétation de Rom., v, 12 (cf. R. Pfister, Das Problem der Erbsiinde bei Zwingli, ut infra, 1936, p. 106), mais, en suivant Érasme dans l’abandon de la scolastique et le cuite exclusif de l’Écriture et des Pères, il s’habitua à penser en dehors de la tradition ecclésiastique. Une lettre de B. Rhenanus du 6 décembre 1518 nous éclaire sur ce que signifiaient pour Zwingli et ses amis le rejet de la scolastique et le retour aux sources : c’est le concept traditionnel de religion qui est en jeu (cf. C. R., vii, 1 15, 5 sq.) : « Rien ne me fait plus de peine que de voir le peuple chrétien surchargé de cérémonies absolument vaines, bien plus, d’une sottise ridicule. À cela je ne vois point d’autre cause que celle-ci : les prêtres, déçus par ces scolastiques (summularios) et sophistes, enseignent une doctrine païenne ou juive. Je parle du commun des prêtres, car, pour toi et tes pareils, je sais que vous proposez au peuple la très pure doctrine du Christ puisée aux sources mêmes et non pas falsifiée par les interprétations de Scot ou de G. Biel, mais exposée de façon véritable et authentique à l’aide d’Augustin, d’Ainbroise, de Cyprien et de Jérôme. »

La critique des abus ecclésiastiques instituée par Érasme et l’humanisme trouva chez Zwingli un auditeur attentif : lui-même, dans sa lecture des Pères, souligne avec avidité tout ce qui pourrait être interprété comme une critique de la hiérarchie ou des pratiques catholiques de son temps. Érasme pouvait se laisser aller à ces critiques, qui d’ailleurs n’étaient pas dénuées de fondement : il s’y livrait avec la verve de l’humaniste et il gardait au fond du cœur la tidélité essentielle. Zwingli avait un autre tempérament, il était homme d’action : non content de dénoncer les abus, il s’appliquera à les éliminer. D’autre part, il n’était pas arrêté par les mêmes obstacles qu’Érasme : du catholicisme il ne voyait que l’extérieur, encore que selon W. Kôhler il ait connu certains courants spiritualistes du catholicisme de son temps (cf. Zwin gli und Luther, Leipzig, 1924, p. 89, note).

Son attitude contraste aussi avec celle du réformateur allemand. La conscience religieuse de Luther s’est formée au sein d’une tradition ecclésiastique et philosophique : en rompant avec l’Église, il était enclin à conserver ce qui s’accordait en quelque manière avec la foi telle qu’il la concevait. Le génie de Zwingli a grandi beaucoup plus librement : il ne s’attache à aucune tradition ni à aucune école, et l’humanisme a contribué encore à son émancipation. La démarche que Luther accomplit au prix de luttes intimes douloureuses dut lui paraître le terme d’une évolution qui coïncidait avec les étapes successives de sa carrière. Aflranchi intérieurement de toute obédience et disciple d’Érasme, il ne recule pas devant la critique la plus aiguë ; il rejette ce que son intelligence ne peut concevoir comme nécessaire. Ainsi l’explique le radicalisme de sa doctrine et de ses réformes (cf. W. Kôhler, Luther und Zwingli, dans Zeilschr. /tir Théologie und Kirche, 1925, fasc. 6, p. 462).

/II. gWIMQU et LvruKR. — 1° Etat de la question. — 1. On connaît le Jugement de Calvin, daiu s ; i lettre à I u il (4 mars 1540) : Uruntur boni viri (il s’agit des gens de Zurich), si quis Lulherum audit prwjerre Zwlnglio, quasi Evangclium nobis pereat si quid Zwinglio decedit, neque tamen in eo /il ulla Zwinglio iniuria. Et il ajoute : Si inter se compurantur, scis ipse quanto

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