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ZWINGLIAN18ME. ZVVINGLI ET LA SCOLASTIQUE


possible. Et ce qui chez l’un est un principe de connaissance devient chez l’autre le fondement d’une conception nouvelle de la religion. Si, d’autre part, il existe une affinité entre ces vues et la doctrine néoplatonicienne des degrés de l’être (dont Zwingli a connaissance par le stoïcisme ou la mystique dyonisienne), ceci n’est pas pour déplaire à l’éclectisme zwinglien qui trouve dans ces spéculations un surcroît de lumière.

II. influence DE L’BUMANisme. — La période de Glarus (1506-1516) marque l’éveil de l’esprit de Zwingli à l’humanisme. Il multiplie ses lectures d’auteurs anciens : historiens, poètes, géographes, philosophes, etc. Il noue des relations avec les humanistes de Paris, notamment avec Lefèvre d’Étaples, grâce à ses amis Glarean et Beatus Rhenanus, qui étudient dans la capitale. De cet auteur, il possède le Psalterium quintuplez (1508) ; on ne sait s’il a connu son commentaire sur saint Paul (1512). Cependant Érasme vient se fixer à Bâle (1514) ; autour de lui se forme rapidement un cercle d’admirateurs et d’amis. Zwingli s’y sent attiré ; son transfert à Einsiedeln (1516) le rapproche du foyer de l’humanisme en Suisse. Dès le printemps 1516, écrivant son second poème politico-religieux, le Labyrinthe, il laisse percer une note érasmienne. Après le tableau des guerres et des dérèglements qui en sont la suite, il s’interrompt : Hat uns das Christus glert ? (C. R., i, 60, vs. 213.) On reconnaît ici le courant de piété érasmienne qui, parti de Deventer (Frères de la vie commune), veut susciter autour du maître, avec une ferveur accrue, un renouveau de vie individuel et social. Il est possible que Zwingli ait pénétré dans l’entourage d’Érasme par le biais de la politique : on y était acquis au pacifisme qui pouvait passer en effet, même au jugement d’un Zwingli, pour la solution de l’heure (cf. infra, col. 3911). Nul doute, en tout cas, que Zwingli ait été séduit par les incidences sociales du programme érasmien. La « renaissance du christianisme », qui en était l’objet, s’entend de l’Église, mais aussi de la société ambiante : à la réforme des abus ecclésiastiques devait s’ajouter la réforme des mœurs publiques. Les aspirations à la fois moralisatrices et patriotiques de Zwingli y trouvaient leur compte. Celui-ci puisait aussi dans l’idéal érasmien un enrichissement personnel — Érasme l’orientait décidément vers les sources de la culture chrétienne et antique — voire une règle de vie. Car la mystique érasmienne, christocentriquc, était doublée d’une ascèse, à laquelle le futur réformateur était prêt à se soumettre (cf. C. R., vii, 110, 8).

De 1516 à 1519, Zwingli fut le parfait disciple d’Érasme : non seulement il modela son idéal sur le sien, le suivit dans son retour aux sources et ses préférences d’érudit, mais il prit au sérieux tous les points de son programme de rénovation et, cloué comme il l’était d’une nature fougueuse, prompte à l’action, il tenta de les mettre en œuvre. A Einsiedeln, et surtout à Zurich dès 1519, Zwingli fut, si l’on en juge par les thèmes de sa prédication, un réformateur d’abus, et cela sous l’impression même qu’il avait reçue de son contact avec Érasme et de tout ce que ce nom symbolisait pour lui. Or ici il achoppa — nous indiquerons bientôt pourquoi - et du même coup les failles de l’idéal érasmien se découvrirent à lui. Cependant l’influence des idées érasmiennes se continua bien après qu’il eut rompu avec le maître ; il ne cessa de la prolonger lui-même en son esprit et tous les fils de sa propre doctrine y conduisent. Cet alliage singulier d’humanisme et de christianisme qui caractérise son système, il rn <i trouur l’indication chez Érasme. Mais, à son tour, [’Influence d’Énume dépasse celui-ci, puisque le principal mérite du maître fut de renvoyer ses disciples à l’antiquité, aux Pères, à l’Écriture surtout,

et de les aider, par ses propres écrits, à s’abreuver à ces sources. Ainsi, à la question : qu’est-ce que Zwingli doit à Érasme ? il y a une double réponse, ou, si l’on veut, l’influence d’Érasme se situe sur deux registres : à côté d’emprunts immédiats, il faut relever les sources auxquelles Zwingli fut conduit par la médiation d’Érasme.

1° Zwingli disciple d’Érasme dans la lecture de l’Écriture et des Pères. — 1. J.-M. Usteri a passé en revue les principales acquisitions de Zwingli dues à sa lecture des Pères (cf. Initia Zwinglii, dans Theol. Studien und Kritiken, 1885, p. 607 sq. ; 1886, p. 95 sq.). Notons qu’il avait accès aux Cappadociens par les traductions de Cono et de Beatus Rhenanus ; qu’il témoigne de bonne heure un intérêt pour les questions trinitaires et christologiques. Il est spécialement redevable à Grégoire de Nysse pour l’anthropologie. Par ailleurs, son intérêt se concentre sur Origène et Jérôme, auxquels on peut ajouter Ambroise (Ambrosiaster ) : c’étaient les auteurs préférés d’Érasme, qui les trouvait plus fertiles d’esprit qu’Augustin. Zwingli recommande au curateur de l’abbaye d’Einsiedeln, Diebold von Geroldzegg, la lecture de saint Jérôme (C. R., ii, 145, 7 ; cꝟ. 212, 6). Lui-même s’intéresse surtout à ses lettres, aux commentaires et au psautier (Psalterium quadruplex, couvert de notes) ; il y cherche plus particulièrement le détail philologique ou archéologique qui facilite l’intelligence du texte sacré. En revanche, à Cyrille d’Alexandrie (il a lu son commentaire sur saint Jean [trad. lat., Paris, 1508] avant la parution du Nouveau Testament d’Érasme) et surtout à Origène, il demande de l’éclairer dans l’interprétation spirituelle de l’Écriture. Ici encore, cette préférence pour le sens spirituel ou allégorique, Zwingli la doit à Érasme. Il la portera si loin que sa dogmatique en recevra l’empreinte (cf. son symbolisme sacramentel, infra, col. 38Il sq.). Par ailleurs, Zwingli unit à ces préoccupations spiritualistes une curiosité très éveillée d’érudit et d’exégète. Pour obtenir la pure doctrine, il faut d’abord se soucier de la pureté du texte sacré : c’est pourquoi il se sert de l’Instrumentum d’Érasme, s’entoure de lexiques et de commentaires. Alors qu’en 1515-1516 Luther commentait doctoralement l’épître aux Romains, Zwingli s’attaquait au même texte un peu plus tard, 1516-1517, non pour l’interpréter d’après des vues personnelles, mais d’abord pour le comprendre. W. Kôhler termine son examen des méthodes de travail de Zwingli par un saisissant parallèle, dont on retiendra la conclusion : « Luther commence là où Zwingli s’arrête » (art. infra cit., 89).

2. On ne peut cependant échapper à la question : si objectif et impersonnel que fût son travail, comment, avec quels yeux Zwingli lisait-il l’Écriture et les Pères ? Or, ici, nous avons pour nous renseigner un document incomparable : le manuscrit des épîtres de saint Paul transcrites par Zwingli au cours de son séjour à Einsiedeln (1516-1517). Érasme conseillait à ses disciples de se faire un résumé de la doctrine du Christ à l’aide des évangiles, des épîtres et des Pères (cf. J.-M. Usteri, Zwingli und Erasmus, 1885, p. 14) ; cette consigne du maître est à l’origine de la tâche que Zwingli s’est imposée : transcrire en grec (avec les fautes du débutant : il avait commencé le grec en 1513) le texte qu’Érasme venait de donner en librairie et l’éclairer à l’aide de gloses marginales : textes parai lèles de l’Écriture et passages des Pères. Les citations de l’Ancien et du Nouveau Testament révèlent déjà j une grande maîtrise du texte sacré et le sentiment de i l’unité organique de la Bible : cette inspiration par-J tait sans doute de Lefèvre d’Étaples, à qui Zwingli doit le principe exégétique de l’interprétation de l’Écriture par elle-même.