Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1101

Cette page n’a pas encore été corrigée
3731
3732
ZWINGLI. PERIODE RÉVOLUTIONNAIRE


cacher ses sentiments. Il estimait sans doute qu’un bon général tâche toujours de tromper l’ennemi sur ses intentions et de se ménager une ligne de retraite. Cela fait comprendre qu’il n’y ait pas de bulle de condamnation contre lui comme il y en avait eu une contre Luther. Dire que Rome le ménageait, en tant que recruteur militaire, n’est qu’une naïveté, car les mêmes historiens qui nous l’affirment sont empressés à vanter chez Zwingli le haut souci moral avec lequel il avait extirpé de Zurich le Reislauf, c’est-à-dire précisément le recrutement des Suisses pour les guerres au dehors, en sorte que toutes les pensions payées par l’étranger avaient été refusées, à Zurich, au cours de l’année 1522. Si Rome pouvait ignorer à la rigueur les positions doctrinales de Zwingli, elle ne pouvait ignorer que le canton de Zurich était isolé de tous les autres et faisait désormais bande à part, précisément pour la question du recrutement des mercenaires. Seulement, cette dissimulation de Zwingli ne permet pas de dire avec précision à quelle date il a rompu définitivement avec l’Église de son enfance, ni de le croire sur parole, lorsqu’il affirme encore, en juillet 1523, avec la dernière énergie qu’il n’est nullement luthérien. Dans Auslegung des 18. Artikels, Opéra, t. ii, p. 146 sq.

Voici comment nous croyons pouvoir nous représenter sa tactique : ne jamais marcher seul à la bataille. S’appuyer toujours sur le Conseil de la cité. Conduire les membres influents de ce Conseil par la Bible, en sorte qu’ils croient toujours obéir à la seule Parole de Dieu, quand ils n’obéiront qu’au sens personnel de Zwingli. Donc, se cacher derrière des textes bibliques. N’admettre aucun arbitre sur la véritable portée des textes bibliques invoqués par lui, en dehors des naïfs bourgeois du Conseil. Cela était, on le voit, infiniment habile. Par le Conseil on tenait toute la République zurichoise. En tenant les autorités civiles, on pouvait se permettre toutes les innovations religieuses. Luther n’avait eu qu’à gagner son prince. Il s’était servi de son ami Spalatin, chapelain de l’Électeur. Il avait louvoyé, avancé, reculé, forcé la main à son seigneur, quand il croyait pouvoir le faire sans trop de danger. Il avait fini par l’emporter. Zwingli avait affaire à des républicains. Son Église portera toujours l’empreinte républicaine. Il fera donc tout décider par des conférences contradictoires tenues en présence des conseillers. Et Calvin, avec un ton plus dogmatique, plus affinnatif, plus impérieux, fera de même à Genève.

A Zurich, le pas décisif fut fait au début de 1523, lorsque le Conseil de ville, sollicité par Zwingli, lança un mandat, en date du 3 janvier, pour convoquer tous les ecclésiastiques du canton à une dispute publique, fixée au 29 janvier. La mesure était habile. Il y avait quatre ans que Zwingli était le prédicateur en grand renom de la cité, quatre ans qu’il commentait la Bible, à sa façon, devant un auditoire passionnément attentif. Il avait ainsi lentement imbibé de ses propres idées les bourgeois du Grand et du Petit Conseil formant ensemble l’Assemblée générale du canton. Et c’était ces bourgeois, bien incapables, en toute bonne foi, de discuter les idées qui allaient leur être soumises et qui, du reste, n’étaient nulle part dans la Bible désignés pour représenter le magistère infaillible de l’Église, assisté de l’Esprit-Saint, c’était eux, disons-nous, qu’il allait ériger en juges suprêmes du sens des Écritures et du bien-fondé des Ihéories de leur prédicateur attitré, en opposition avec quinze siècles de christianisme et avec la hiérarchie de leur temps ! De fait, c’est le Conseil qui établit le règlement de la dispute du 29 janvier 1523, ce sont les conseillers qui exigent l’emploi exclusif de la Bible comme source de preuves en matière doctrinale, qui imposent

l’usage exclusif de la langue allemande dans les débats, et qui se réservent la sentence finale, à la pluralité des votes, comme s’ils formaient un concile œcuménique irréformable !

La Révolution, c’était cela : un transfert d’autorité souveraine dans l’Église ; un déplacement des valeurs ; le rejet du magistère de l’Église, formé du pape et des évêques ; le rejet du passé catholique ; l’appel à la Bible seule, c’est-à-dire à un Livre sacré entre tous, mais rédigé en des langues inconnues des bourgeois en question, formé de parties très diverses, de textes très compliqués et très profonds, de prescriptions successives et se détruisant parfois les unes les autres, incomplet du reste et muet sur beaucoup de points importants confiés par le Christ à ses apôtres et à leurs successeurs.

La suprême habileté de Zwingli avait été de poser la Bible en fondement de sa prétendue Réforme. Mais la Bible au fond, c’était lui. Devant ses bons bourgeois, il ne parlera qu’allemand sans doute, mais en faisant appel au sens hébreu ou grec des Écritures. Que pourraient-ils lui objecter ? C’est bien lui qui dirige tout. Pour la dispute du 29 janvier 1523, il a extrait arbitrairement de la Bible 67 conclusions. Pourquoi ce nombre, pourquoi pas plus ni moins ? Parce que cela lui a plu. Il soutiendra, seul, ses 67 propositions contre son ancien ami, le vicaire-général Faber. Il publiera ensuite un gros ouvrage, en allemand, pour soutenir devant le grand public ses propres opinions. Et comme il a préparé longuement le terrain, comme il a pris soin de mettre tous les atouts de son côté, il pourra mettre aux voix la théologie nouvelle. Il joue à coup sûr. Les dés sont pipés. Les juges sont gagnés à sa cause. Dans ce petit canton, c’est la cause de l’Église universelle que l’on prétend trancher ! Après la victoire, toutes les places seront pour les amis de Zwingli, puisque c’est le Conseil qui en dispose. Son intime Léo Jud devient curé de l’une des paroisses. Les deux autres sont aux mains de zwingliens avérés. Faber, complètement détrompé sur le caractère de son ancien confrère, pourra écrire à un ami de Afayence, le 3 juin 1523 : « Un second Luther a surgi à Zurich et il est d’autant plus dangereux que son peuple prend plus sérieusement parti pour lui ! » Opéra Zwinglii, t. ii, p. 3.

Il serait pourtant inexact de croire que la victoire si bien préparée qu’elle eût été, pût être assez totale pour réaliser dans la cité la complète unanimité. Il ressort au contraire des écrits du réformateur et de la suite de son histoire, qu’il y avait quatre courants différents dans la ville : en premier lieu, les » évangéliques », c’est-à-dire les partisans de Zwingli, qui ont la majorité au Conseil et dans la cité ; — en second lieu, le groupe radical, dont les chefs sont Simon Stumpf von Hôngg, Conrad Grebel, Félix Manz, et qui trouve que Zwingli ne va pas encore assez loin et considère comme l’idéal « évangélique » une sorte de communisme mystique, calqué sur la première communauté chrétienne de Jérusalem, parti qui évoluera vers la révolte paysanne et anabaptiste ; en troisième lieu, les indifférents, qui acceptent bien « l’Évangile », mais en le subordonnant à des intérêts économiques ou politiques ; enfin, le groupe des catholiques fidèles, que Zwingli stigmatise du nom « d’ennemis du Christ » et qui s’appuient principalement sur la majorité du chapitre du Grand-Mùnster. De même que Luther avait pris nettement parti contre les radicaux, à Wittenberg, c’est-à-dire contre le bas peuple, et s’était appuyé sur l’élément » confortable », c’est-à-dire bourgeois ou seigneurial, Zwingli va faire de même à Zurich. Il prend parti contre les extrémistes de gauche. Mais à la différence de Luther et de Mélanchthon. il ne craint pas de conseiller a ses