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ZWINGL1. PÉRIODE REVOLUTIONNAIRE


ecclésiastiques de prêcher l'Évangile et les Épîtres selon l’Esprit de Dieu et d’après l'Écriture sainte, en d’autres termes de ne faire appel qu’aux arguments bibliques. Le biblicisme, à la mode d'Érasme, avait ainsi été érigé en loi de la cité. Sur le terrain de la Bible, Zwingli se croyait imbattable, pour ainsi dire. Au cours de la dispute du 21 juillet 1522. il affirma hautement son autorité et sa responsabilité à l'égard de tous les habitants de la ville : « Je suis, proclama-t-il, dans cette cité de Zurich, évêque et curé et la charge des âmes m’est confiée. J’ai prêté serment à ce sujet et les moines ne l’ont pas fait. Ils me doivent le respect et non moi à euxl » Invité à clore les débats, le bourgmestre, Markus Rôust, donna raison à Zwingli en ces termes : « Oui, Messieurs des ordres, ceci est le sentiment du Conseil, que vous ne devez prêcher que le saint Évangile, saint Paul et les prophètes, parce que c’est la sainte Écriture, et que vous devez laisser de côté et Scot et Thomas (d’Aquin) et tout ce qui est ce cette sorte. » Opéra, t. I, 257-258, note 3. Zwingli triomphait avec éclat. Il écrivait à Rhénanus, le 30 juillet, pour déverser l’ironie sur ses adversaires : « Ces bêtes fauves trouvent la chose si peu de leur goût que le Père lecteur des dominicains nous a quittés. Nous n’en avons pas plus pleuré que si une belle-mère morose et riche était venue à mourir 1° Opéra, t. vii, p. 549. Cette victoire l’enhardit jusqu'à le dresser formellement contre son évêque. Ayant le Conseil avec lui et appuyé sur la Bible, il ne craignait plus rien. L’exemple de Luther, solidement épaulé à la fois par son prince, l'Électeur de Saxe, et par la bourgeoisie influente de Wittenberg, portait ses fruits.

L'évêque de Constance était Hugues de Landenberg. Il avait adressé, le 24 mai, une admonition au clin pitre de Zurich, pour l’inviter à mettre fin aux désordres qui lui avaient été signalés. Le 22 août, Zwingli publia audacieusement le mandement épisc.opal, en l’accompagnant d’une réfutation point par point. Jusque-là, il s'était montré à peu près respectueux envers ses supérieurs ecclésiastiques. Dans son nouvel ouvrage, intitulé Apologeticus archeleles — ce qu’on pourrait traduire : Premier et Dernier mol d’apologie — il déployait une impertinence supérieure et maniait l’ironie de la façon la plus insultante. Feignant de croire que l'évêque n'était point l’auteur du mandement, comme s’il eût été trop ignorant pour le rédiger, il disait à l’adresse de ses conseillers : « J’aurais voulu, puisque vous avez pris tant de temps pour cette fiction, que vous agissiez avec un peu plus de circonspection et que vous n’usiez pas si ridiculement tantôt des menaces, tantôt des prières, tantôt de l'Évangile, pour appuyer vos traditions humaines, tantôt, l'Évangile omis, des traditions humaines seules, afin de vous soustraire M rire public, tandis que l’on voit aujourd’hui, un peu partout, un certain évêque, tourné en dérision, à savoir celui qui gouverne les territoires soumis au r<vrrendissime seigneur de Constance. Ibid., t. i, p. 201.

C'était une véritable déclaration de guerre, une révolte en règle. Il faut rendre retle justice à Érasme qu’il n’hésita pas à blâmer sévèrement et le ton H ii-contenu de {' Archelelu. Des le H septembre, il écrivait à son ancien adorateur : Très savant Zwingli, j’ai In quelque* pages de ion Apttoge&ctu. Je te supplie, par la gloire de l’Evangile, que je sais que tu sers uniquement et que doivent servir Ions reiix qui portent le nom du Christ, si tu publics à l’avenir, de traiter sérieusement un sujet sérieux cl.1. ta ou venir de la modestie et de la prudence évangéliquc. Consulte de doctes anus avant de jeter un ouvrage dan* le. public. le crains que cette Apologie ne te

mette en grand danger et ne nuise à l'Évangile 1° Opéra Zwinglii, t. vii, p. 582. Après avoir peut-être amené la rébellion de Luther, Érasme avait senti que l’on allait trop loin. Il était résolu à freiner. Et c’est pourquoi il essayait de retenir son disciple Zwingli sur la pente de la révolution. Peine perdue. Un peu plus tard, celui-ci publiait un nouvel écrit, non moins violent que le précédent. Mais cette fois, il n’avait pas signé. Feignant d’ignorer qui était l’auteur, Érasme lui écrivit une fois encore le 9 décembre 1522 : « On vient de publier, disait-il, une indigne plaisanterie… Celui qui a écrit cela aurait fait acte de grande folie s’il avait signé son œuvre. Il a préféré ces dangereuses inepties sans titre. Si tous les luthériens sont de ce calibre, ils auront tous de moi la même estime. Je n’ai jamais rien vu de si insensé que ces sottises. Si la brume ne m’enchaînait, je fuirais n’importe où plutôt que d'être contraint d’entendre des imbécillités de cette espècel » Ibid., p. 631-632. La semonce était rude. Zwingli ne répondit pas. Mais on peut être certain que dès lors son ancienne idole perdit tout droit à sa vénération. L’humaniste était mort en lui. Le révolutionnaire était né à sa place. Pourtant la rupture définitive entre lui et Érasme n’eut lieu qu’en 1523, alors que Ulrich de Hutten, poursuivi par la haine d'Érasme, fut accueilli et hébergé à Zurich par Zwingli.

Ici se place un épisode de la vie de Zwingli qui a été passablement discuté. Le 23 janvier 1523 le pape Adrien VI adressait à celui-ci un bref laudatif, où il vantait « sa vertu éminente et son dévouement au Saint-Siège ». Là-dessus, les ennemis de la papauté se sont récriés, en disant : telle est bien la perfidie de Rome, à cette époque. Elle ne pouvait ignorer totalement la conduite publique de Zwingli. Si elle vantait son dévouement, c’est parce qu’elle comptait sur lui comme recruteur de soldats suisses pour le compte du Saint-Siège. Nous croyons que cette accusation, vraisemblable lorsque le pape se nommait Alexandre VI ou même Jules II, ne l’est plus du tout quand il s’agit d’un Adrien VI, pape vraiment zélé et animé de sentiments ardemment réformateurs. Ce qui paraît beaucoup plus explicatif, c’est le fait connu de tous les contemporains de la « circonspection » de Zwingli. Il était loin des hardiesses de Luther. Rappelons ce qui a été dit plus haut. La loi de l’abstinence avait été violée à Zurich, mais il s'était gardé de le faire lui-même. Il s'était marié, contrairement aux lois canoniques, niais il l’avait fait très secrètement et ce ne sera qu’en 1524 qu’il avouera publiquement cl affichera cette liaison. On dut lui savoir gré de n’avoir pas fait comme d’autres prêtres de ses amis, qui n’avaient pas attendu si longtemps pour étaler leur mariage. De son propre aveu, il se fait une loi de dissimuler ses propres senliments, aussi longtemps qu’il sent que le fruit n’est pas mûr. Il écrit, par exemple, en avril 1524, à Bucer, les phrases mystérieuses que voici : « Tu me fais compliment d'être de ceux qui expriment fidèlement et publiquement ce qu’ils pensent. C’est candeur de ta pari ! hst-ce prudence et vérité? À toi d’en juger ! La puissance de l’hypocrisie est si grande, à moins que je ne me trompe du tout au tout, qu’elle corrompt les sentiments, les actes, les paroles de tout le monde, sinon totalement, du moins dans toute la mesure oi"' lit eut ! » Opéra, t. viii, p. 101 sq. Une autre fois, Interrogi Capito, de Strasbourg comme Bucer, sur sa doctrine eucharistique, il répond, le 10 décembre 1521 : Ce que nous penSODi de ce pain et de ce breuvage, <h jà depuis quelques ennétê, nous ne l’avons dit qu'à un petit nombre de personnes et seulement à des amis dont la fidélité nous paraissait sûre. » ibid., p. 375 sq.

Zwingli n’avançait donc qu’avec prudence, n