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TRINITÉ. L’A. T., LES THÉOPHANIES

sur Ex., xiv, 19 : » À quoi cela ressemble-t-il, l’image de Jahvé conduisant Israël dans le désert ? À un voyageur qui, dans un chemin, faisait marcher son fils devant lui. Des voleurs vinrent pour le lui enlever. Alors, il le fit passer derrière lui. Le loup vint derrière lui ; alors, il le mit devant lui. Les voleurs vinrent par devant et les loups par derrière ; alors, il le prit dans ses bras. Le fils souffrit du soleil : le père étendit son manteau sur lui. Il eut faim ; il lui donna à manger ; il eut soif, il lui donna à boire. Ainsi fit le Saint, béni soit-il. » Ou encore la parabole de R. Antigonus, expliquant, à propos de Ex., xiii, 21, pourquoi Dieu lui-même conduisit les Israélites au lieu d’en remettre le soin aux anges de service, Mekilla, ad loc. : « C’est comme un roi qui, de son trône, rend ses sentences jusqu’à ce qu’il fasse nuit, jusqu’à ce que ses fils soient dans les ténèbres avec lui ; alors, quand il quitte son trône, il prend la lampe et éclaire ses fils. Et les grands du royaume s’approchent et lui disent : « Nous « voulons prendre la lampe et éclairer tes fils. » Mais il répond : « Si je prends la lampe moi-même pour « éclairer mes fils, ce n’est pas que je manque de serviteurs ; mais voilà, je veux vous montrer l’amour que « je porte à mes fils, afin que vous leur rendiez honneur. » Ainsi le Saint, béni soit-il, a manifesté devant les peuples de la terre son amour pour Israël. »

Ces paraboles sont assurément très belles, et l’on pourrait sans peine trouver dans les écrits juifs d’autres passages qui rendent un son analogue. Il reste que, dans l’ensemble, le judaïsme contemporain du Nouveau Testament, ne s’exprime pas de la sorte et tend à reléguer le Seigneur en des lointains inaccessibles, d’où il juge sans appel ses créatures. Cette transcendance même de Jahvé n’amène-t-elle pas les âmes à supposer l’existence d’intermédiaires, qui, participant, d’une manière ou de l’autre, à la nature divine, permettraient de rétablir le contact entre la majesté infinie du Dieu unique et le monde créé.

1° L’ange de Jahvé.

— Les plus anciens livres du Vieux Testament font intervenir, en plusieurs circonstances, un personnage mystérieux, auquel ils donnent le nom d’ange de Jahvé. Ce n’est pas, du moins le plus souvent, un ange ordinaire ; car il prend la parole au nom de Jahvé et il s’exprime parfois comme pourrait le faire Dieu lui-même. On s’est demandé s’il n’y aurait pas là un indice très sûr de la croyance à l’existence d’une hypostase divine, chargée spécialement d’entrer en relations avec les hommes. Pour Philon d’Alexandrie, l’Ange de Jahvé n’est autre que le Verbe, qui préside au gouvernement du monde ; et plusieurs parmi les Pères, Théodoret entre autres, se sont complu à voir dans l’Ange de Jahvé la seconde personne de la très sainte Trinité préludant à l’incarnation par des manifestations où elle se révélait à demi. Ces interprétations sont récentes ; et, dès qu’elles deviennent un tant soit peu précises, elles sont l’œuvre de docteurs chrétiens. En réalité, les premiers récits n’avaient aucun scrupule à faire apparaître Jahvé en personne et à raconter ses interventions dans l’histoire d’Israël ; on trouve sans aucune peine dans la Bible de nombreux passages où Jahvé lui-même se manifeste à Abraham, à Isaac, à Jacob, à Moïse. À la réflexion, on s’aperçut toutefois que de telles apparitions étaient indignes de Dieu et on préféra les attribuer à son ange, à son envoyé. Plusieurs textes furent retouchés en ce sens, « mais avec tant de respect et de mesure qu’on laissa subsister dans la bouche de l’être mystérieux l’affirmation qu’il était Dieu. À quelle époque se produisit ce scrupule ? Il existe déjà dans Osée, et cependant Jérémie voit encore des objets sensibles sans le ministère d’un ange. Il est impossible d’assigner une date : une idée ne devient pas dominante pour être exprimée une fois et par ailleurs elle peut exercer son influence avant d’avoir été écrite. » M.-J. Lagrange, L’ange de Jahvé, dans Rev. bibl, 1903, p. 221-222. Somme toute, l’ange de Jahvé est le produit d’une spéculation théologique : c’est parce qu’il a semblé inconvenant de laisser Jahvé descendre au milieu des hommes, qu’on lui a, à certains endroits, substitué un ange qui parle en son nom.

2° Les théophanies.

— Des remarques analogues peuvent être faites à propos d’autres textes de l’Ancien Testament, qui semblent introduire une sorte de pluralité en Dieu et qu’un bon nombre de Pères ont interprété comme autant d’indices d’une révélation encore incomplète et voilée, mais déjà réelle de la Trinité. « Ainsi, lorsque ces Pères lisent, Gen., i, 16, ces paroles de Dieu : « Faisons l’homme à notre image « et à notre ressemblance » ; ils pensent que ce pluriel indique un dialogue entre les personnes divines. Volontiers ils interprètent de même la parole de Dieu après la chute d’Adam : « Voici qu’Adam est devenu comme « l’un d’entre nous », Gen., iii, 22 ; ou encore, au moment de la confusion des langues : « Descendons et confondons leurs langues », Gen., xi, 7. Plus volontiers encore, ils reconnaissent la pluralité des personnes divines dans le récit des théophanies et, en particulier, dans l’apparition de Mambré où trois personnes apparaissent en même temps. Plusieurs enfin, surtout parmi les théologiens scolastiques, attachent la même signification aux répétitions de mots, ainsi au trisagion d’Isaïe, vi, 3 : Sanctus, sanctus, sanctus, ou encore aux paroles du psaume lxvii, 7-8 : Benedicat nos Deus, Deus nosier, benedicat nos Deus. ou du Deutéronome, vi, 4 : Dominus Deus nosier Dominus unus est. » J. Lebreton, Histoire du dogme de la Trinité, t. 1, Les origines, 6e éd., Paris, 1927. p. 552-554. Ces explications sont assurément légitimes, puisque l’Ancien Testament peut être interprété à la lumière du Nouveau qu’il prépare et dont il est le symbole. Mais elles n’expriment en aucune manière la croyance juive, et il ne serait pas venu à l’idée d’un docteur juif de voir insinué en l’un quelconque de ces textes le mystère de la sainte Trinité. Il a plu au Saint-Esprit, inspirateur de toutes les Écritures, de placer ici et là, comme autant de pierres d’attente, des formules propres à insinuer le mystère et destinées à prendre tout leur sens à la lumière des révélations postérieures : « L’homme est créé à l’image de Dieu, écrit le R. P. Lagrange à propos du Faciamus hominem. L’auteur insiste trop sur ce caractère pour qu’on puisse supposer que le Créateur s’entretient avec les anges. Dieu se parle à lui-même. S’il emploie le pluriel, cela suppose qu’il y a en lui une plénitude d’être telle qu’il peut délibérer avec lui-même, comme plusieurs personnes délibèrent entre elles. Le mystère de la sainte Trinité n’est pas expressément indiqué, mais il donne la meilleure explication de cette tournure qui se représentera encore, Gen., iii, 22 ; xi, 7 ; Is., vi, 8. » Dans Rev. bibl., 1896, p. 387. On ne saurait mieux dire. Les Pères et les interprètes chrétiens ont plus exactement compris la plénitude du Vieux Testament que les Juifs eux-mêmes. Ceux-ci pourtant n’avaient pas le moyen de l’entendre autrement qu’ils ne l’ont fait et ni les récits des théophanies, ni les expressions que nous venons de relever n’étaient de soi capables de les aiguiller dans le sens d’une découverte du mystère trinitaire.

Les mêmes remarques sont-elles valables pour tous les cas ? L’Ancien Testament parle à plusieurs reprises de l’Esprit de Jahvé, de la Sagesse de Jahvé, de la Parole de Jahvé ; et lorsque nous nous rappelons que, dans l’énoncé du mystère chrétien, le Verbe et l’Esprit-Saint prennent place à côté du Père, nous ne pouvons guère nous empêcher de nous demander si nous ne trouvons pas ici les vrais antécédents de la révélation dernière.