Page:Alfred Vacant - Dictionnaire de théologie catholique, 1908, Tome 15.2.djvu/1097

Cette page n’a pas encore été corrigée
3723
3724
ZWINGL1. PÉRIODE ÉRASMlKNNE


au surplus lui donne raison et, à la demande de la Diète confédérée, rappelle le franciscain en Italie. Cette affaire n’a joué, dans l’évolution de Zwingli, qu’un rôle très accessoire. Il est même probable qu’elle n’en aurait joué aucun, si les protestations de Luther contre Tetzel n’avaient eu en Allemagne un retentissement aussi profond.

Ce fut au contraire un fait capital dans la vie de Zwingli que son élection, en qualité de vicaire chargé de la paroisse, à l’église du Grand-Munster à Zurich. Cette élection avait été préparée par un ami qui habitait Zurich, Oswald Geisshiiler, surnommé Myconius. Mais celui-ci avait fait connaître à Zwingli les objections faites à son élection, qui était l’affaire du chapitre de la collégiale du Grand-Munster. On le trouvait mondain, il aimait trop la musique profane, on l’accusait enfin d’avoir violé la fille d’un notable important. C’était sur ces faits, dont le dernier tout au moins était si grave, que le chanoine Utinger, lui-même prédicateur austère et vigoureux, était chargé de faire une enquête. On a vu plus haut les aveux formels de Zwingli, au sujet de son inconduite, dans la lettre du 5 décembre 1518. Ces aveux n’étaient pas exempts de quelque cynisme. Tout fier d’avoir respecté les limites qu’il s’était tracées : pas de femmes mariées, pas de jeunes filles innocentes, pas de religieuses, il s’excusait de ses désordres avec une certaine désinvolture. Il ne lui restait que les femmes de mauvaise vie et il ne s’en privait pas. Mais il avait en vain lutté durant dix-huit moisi « Pour l’avenir, ajoutait-il, on dira peut-être que nous sommes enchaînés par l’habitude ; vous répondrez qu’il n’y a pas de danger — je ne promets pourtant rien, me souvenant que je suis entouré d’infirmités —, mais jamais Vénus ne nous a attaché par ses chaînes d’or, au point que Vulcain, le dieu boiteux, ait pu s’emparer de nousl » Opéra, t. vii, p. 112. Ce galimatias mythologique signifiait sans doute que la jalousie d’un mari trompé n’avait jamais eu de prise sur lui, grâce à sa prudence. Quand il écrivait cela, il y avait un an qu’il était retombé dans les fautes de sa jeunesse. Il ne semble pas en éprouver de bien cuisants remords. Visiblement, c’est un homme qui, au point de vue moral, s’est laissé couler à fond. Mais il est fier de sa science, de son latin élégant et recherché, de ses succès oratoires. Cela lui paraît répondre à tout. Il dédaigne ses concurrents. Il possède du reste la confiance de l’abbé-baron de Geroldseck, l’administrateur d’Einsiedeln. Il met donc hardiment le marché en main aux chanoines. Qu’ils en choisissent un plus digne, s’ils le peuvent. L’élection eut lieu le Il décembre 1518 et lui fut favorable. Le 27, il entrait à Zurich ; le 31, il se présentait au chapitre et déclarait hautement son intention d’inaugurer une nouvelle manière de prêcher : au lieu de commenter les pages d’évangile insérées dans la messe de chaque dimanche, il avait résolu d’exposer l’évangile de saint Matthieu, d’un bout à l’autre. Une seule voix, celle du chanoine Conrad Hofmann, s’éleva pour faire objection à cette innovation. Mais l’idée, issue du réformisme érasmien, n’avait rien de contraire aux règles canoniques. Elle était même strictement conforme aux grands exemples des Pères de la primitive Église. Zwingli s’en tint à ce qu’il avait annoncé et fit bien. Le dimanche suivant, qui était le 2 janvier 1519, il monta en chaire pour la première fois, au Grand-Munster. Durant douze ans, sa parole allait dominer Zurich.

L’un des traits de caractère de Zwingli, relevé par un de ses contemporains, c’était la circonspection qu’il savait joindre à sa hardiesse montagnarde. Il avait en chaire toutes les audaces, mais, à la différence de Luther, qui faisait constamment « gémir

la presse « , Il ne publiait rien. Nous ne possédons pas ses sermons. Nous ne connaissons que l’ordre suivi par lui : tout l’évangile de saint Matthieu, puis les Actes des apôtres, ensuite la I re épître à Timothée, l’épître aux Galates, enfin les deux épîtres de saint Pierre. Il ne devait achever le Nouveau Testament qu’en juillet 1526, pour passer alors à l’Ancien. Mais nous ne devons pas imaginer cette prédication comme soigneusement tenue dans le domaine de la pure théologie homilétique. Elle était au contraire, semble-t-il, toute populaire, toute nourrie d’allusions aux faits politiques du jour et même aux potins de la rue. Le chanoine Hofmann, dont l’opposition n’avait pas désarmé, se plaignait, dans son Journal, de ce que le prédicateur livrât à la malignité de ses auditeurs « tout ce qui se passait dans les rues, les cabarets, les auberges, les couvents ou les presbytères ». Tous pouvaient se croire visés. Le mordant orateur n’épargnait personne. Dans le courant de 1519, la grande affaire en Allemagne fut celle de l’élection impériale. Zwingli avait la terreur de voir triompher la candidature de François I er, car il avait, depuis longtemps, une véritable aversion pour les Français.

Cependant, la « tragédie luthérienne », commencée en octobre 1517, prenait de l’ampleur. Dans les premiers mois de 1519, Luther s’apprêtait à affronter, à Leipzig, l’ancienne théologie, en la personne de Jean Eck. C’est dans une lettre adressée à Beatus Rhenanus, du 22 février 1519, que le nom de Luther apparaît, pour la première fois, sous la plume de Zwingli. Il en parle comme d’un « intrépide prédicateur du Christ ». Opéra, t. vii, p. 138. Mais il n’insiste pas davantage et il est peu probable qu’il ait parlé en chaire de la querelle luthérienne. Par contre, il ne I se gêne pas pour s’élever contre Rome. Dans une de I ses lettres de mars 1519, il manifeste le désir « de j dévoiler la turpitude de la prostituée empourprée, j afin qu’Israël voie enfin que la lumière qui est venue dans le monde par le Christ, est avilie par elle ». Ibid., p. 152. Dans la même lettre, il compare les entreprises de Rome contre « la théologie renaissante » à celle du roi de France contre l’Allemagne. Il ne semble pas cependant qu’il ait attaqué ouvertement les dogmes et les usages de l’Église. Il en est encore au réformisme érasmien qui, aux arguments bibliques, ajoutait volontiers, on le sait, le sarcasme et l’ironie. À cette date, l’évêque de Constance lui-même, ainsi que son grand-vicaire, Jean Faber (Heigerlin), l’illustre polémiste antiluthérien des années suivantes, traitent sans beaucoup de ménagements ce frère Sanson, le prédicateur d’indulgences, que Zwingli dénonce à Zurich à la vindicte publique. Lettre de Faber à Zwingli, du 7 juin 1519, contre Sanson, dans Opéra, t. vii, p. 184.

Vers l’automne de 1519, la peste se répandit en Suisse et y fit æ terribles ravages. Zurich ne fut pas épargné : la ville perdit le tiers de ses habitants. La conduite de Zwingli fut admirable. Il était aux eaux, prenant du repos. Il accourut sans retard pour assister ses malades. Bientôt il fut atteint lui-même du fléau et sa vie fut rapidement en danger. Un de ses frères, André, succomba. Au début de novembre, il entra en convalescence. Nous possédons encore un chant de reconnaissance composé et mis en musique par lui, après sa guérison. Le morceau a trois strophes : le début de la maladie, — l’assaut du mal, — la guérison. La première strophe est la plus touchante : « Secourez-moi, Seigneur Dieu, secourez-moi, — dans cette nécessité, — je sens que la mort — est à ma porte. — Venez, ô Christ, à mon aide, — car vous l’avez vaincue ! — Je crie vers vous ; — si c’est votre bon plaisir, — arrachez l’aiguillon, — qui m’a blessé et qui ne me laisse pas une heure — de repos ni de répit ! — Voulez-vous tout de