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ZWINGLI. PÉRIODE ÉRASMIENNE


dit. Irrité des intrigues des Français, cf. Gallorum lechnis, Opéra, t. vii, p. 54, Zwingïi se détourne de plus en plus de Rome, dont il était jusque-là un agent si dévoué qu’il recevait une pension du pape, et ce lui est une raison de plus de se jeter dans les études scripturaires.

3° En troisième lieu, l’année 1516 fut marquée dans la vie tout à fait intime de Zwingli, par une sorte de drame intérieur de nature particulièrement délicate, sur lequel les historiens protestants nous paraissent enclins à passer trop rapidement et trop légèrement. La crise de 1516 ne fut pas confinée, pour lui, dans le domaine intellectuel et dans le domaine politique. Ne parler que de cela serait volontairement fermer les yeux sur la profondeur de la tragédie zwinglienne. Pour être différente de la tragédie luthérienne, elle n’en fut pas moins lourde de conséquences. Ici encore, nous ne ferons appel qu’au témoignage personnel du personnage. Le 5 décembre 1518, alors que sa candidature se posait pour la cure de Zurich, il écrivait une longue lettre au chanoine Henri Utinger, pour se défendre contre certaines accusations d’immoralité dont il était l’objet. Dans ce mémorable document, il marque de nouveau l’année 1516 comme l’une des dates capitales de sa vie, et voici en quels termes : c II y a presque trois ans, dit-il, que j’ai pris la résolution de n’avoir aucune relation avec les femmes, parce que Paul déclare qu’il est bon de n’avoir aucun contact avec elles… J’ai tenu ma résolution à Glaris pendant six mois, puis à Einsiedeln pendant un an… Ensuite, hélas 1 je suis tombé et suis devenu ce chien qui retourne à son vomissement dont parle l’apôtre Pierre », Opéra, t. vii, p. 110 sq. Voilà un aveu aussi explicite et aussi précis que possible. Et c’est bien le côté moral intime de la crise que nous analysons. Zwingli avait eu une jeunesse probablement assez relâchée. La suite de la lettre à Utinger nous révèle chez lui des sentiments plutôt bas : il se justifie en effet de son inconduite notoire par deux raisons, la première qu’il n’a eu de relations qu’avec une fille déjà compromise, la seconde qu’il savait se cacher assez bien. La personne en question, explique-t-il, n’était que la fille d’un barbier ; elle a eu d’autres amants au vu et au su de tout le monde 1 Que l’enfant qu’elle porte soit de lui, Zwingli, il veut bien le croire, mais, dit-il, « peut-elle le savoir avec certitude ? » Pour lui, il y a trois choses qu’il s’est toujours promises : de ne jamais corrompre une vierge ; de ne jamais prendre la femme d’un autre ; de ne jamais détourner une personne consacrée à Dieu. Or, ces trois choses, il les a fidèlement observées. Telle est la première partie de sa défense. Quant à la seconde, il altlrme qu’à Glaris tout au moins, « lorsqu’il lui est arrivé de pécher de cette sorte, il l’a fait de telle manière que ses intimes eux-mêmes le savaient à peine ». Ibid., p. 111.

Tout cela jette un jour cru sur le drame intérieur du futur réformateur suisse. Il était très porté aux plaisirs de la chair. Il savait pourtant la rigueur des engagements qu’il avait contractés en recevant le sacerdoce. Il avait honte de ses faiblesses, puisqu’il les dérobait si soigneusement aux regards de son entourage. Il est probable que la vie loin de sa paroisse, sous le climat voluptueux de l’Italie et parmi la licence soldatesque, n’avait pas contribué à le rendre plus austère. Le voici cependant qui s’adonne, au début de 1516, à l’étude passionnée de l’Écriture, dans le texte original. Or, c’était une des t » familières de l’auteur futur des Colloquia, où elle s’étale, que le contact habituel avec le texte grec du Nouveau Testament est un gage assuré de toutes les vertus chrétiennes, y compris la chasteté. Zwingli

DICT. DE TUÉOL. CATIIOL.

en a cru les affirmations d’Érasme, qui était loin d’avoir son tempérament. Il a donc pris, à la lecture de la première épître aux Corinthiens, une grande résolution. À cette date, il n’a aucun doute sur l’opinion de saint Paul concernant le célibat. Il se promet solennellement à lui-même de se convertir. Il le promet à son Dieu. Il se déclare érasmien à fond, dans l’espoir que le remède à toutes les tentations proposé par Érasme se montrera efficace. Il fait un touchant effort vers la chasteté. Il s’attache à l’Écriture, dans son texte grec, comme à une planche de salut, sans réfléchir qu’il serait bien étrange que Dieu eût attaché une telle vertu aux mots d’une langue. C’est le naufragé qui a l’espoir de sortir de l’abîme. Tout cela n’est-il pas un drame intérieur d’une rare puissance ? Pourquoi un tel effort est-il resté vain ? C’est le secret de ce Dieu qui t résiste aux superbes et donne la grâce aux humbles, » Prov., iii, 34 ; I Pet., v, 5 ; Jac, iv, 6. Mais à quelle date pouvons-nous fixer ce que lui-même, d’un mot mystérieux de sa lettre à Érasme d’avril 1516, et que nous lui avons emprunté, a nommé « sa tragédie » ? Il est resté, dit-il, six mois fidèle à ses résolutions, à Glaris. Or, il en est parti le 26 novembre 1516, et la lettre à Érasme est du 29 avril. Il y a là une coïncidence de dates véritablement trop frappante pour être négligée.

Crise intellectuelle, crise politique, crise de moralité sacerdotale très intime, voilà ce qui fait de 1516 une année mémorable dans l’évolution de Zwingli. Il va sans dire cependant que cette triple crise est loin de le porter en un sens absolument opposé à la vraie tradition catholique. Tout au contraire, on devrait dire qu’à l’exemple d’Augustin et au même âge que lui, il a résolu d’être tout à Dieu, tout à son devoir de prêtre, donc tout à l’Église catholique, tout dévoué à la réforme de soi-même et des autres. Mais hélas 1

— l’interjection, on l’a vii, est de Zwingli lui-même —, cette conversion si louable ne s’est pas maintenue. Il fut, au bout de dix-huit mois, c’est lui qui le reconnaît, « comme le chien qui retourne à son vomissement ». Le biblicisme réformiste d’Érasme subit donc, en sa personne, un échec décisif. Il en conçut un dégoût, une amertume qui se traduisirent plus tard par son passage à l’esprit de révolution et de rébellion, à l’exemple de Luther. Pourtant la rupture avec Érasme ne se produira qu’en 1522.

On a dit que Zwingli était passé de Glaris à Einsiedeln en novembre 1516. Einsiedeln, dès cette époque, était le lieu d’un pèlerinage renommé à la sainte Vierge. Si, comme le rapportent les anciens biographes protestants, il s’y est appliqué à mettre en garde les pèlerins contre un excès de confiance dans le fait matériel du pèlerinage, s’il leur a rappelé à tous que l’observation de la loi divine et la confiance en Jésus, unique médiateur, étaient indispensables et suffisants au salut, il n’a fait en cela absolument rien de révolutionnaire. C’était la pure doctrine catholique qu’il rappelait par là, bien que la dévotion à Marie, loin de s’opposer à ces vérités élémentaires, n’en soit qu’une suite logique. Une chose est sûre, c’est qu’à Einsiedeln, Zwingli est encore considéré comme un fils fidèle de l’Église. C’est là qu’il reçoit, le 1° septembre 1518, du légat du Saint-Siège, Pucci, le titre honorifique de chapelain-acolyte du pape. Il est en relations d’amitié avec le cardinal Sclùnner, évéque de Sion et chef du parti papal en Suisse. S’il se dresse contre le prédicateur des indulgences, le franciscain Itemardin Sanson, qu’il lera un peu plus tard expulser de Zurich, ce n’est pas le moins du monde, comme Luther, en vertu d’une myttlqiM personnelle opposée au principe des indulgences, mais en raison des abus très réels auxquels donnait lieu trop souvent la prédication des indulgences. Le papa

T. — XV. — 117.